Prescription de l'action en responsabilité professionnelle du notaire

 

Cour de cassation - Chambre civile 1

  • N° de pourvoi : 22-17.079
  • ECLI:FR:CCASS:2024:C100021
  • Non publié au bulletin
  • Solution : Cassation

Audience publique du mercredi 24 janvier 2024

Décision attaquée : Cour d'appel d'Angers, du 29 mars 2022

Président

Mme Champalaune (président)

Avocat(s)

SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Poupet & Kacenelenbogen

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1
SA9

COUR DE CASSATION
_____________________
Audience publique du 24 janvier 2024
Cassation
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 21 F-D
Pourvoi n° U 22-17.079
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 24 JANVIER 2024

Mme [F] [E], domiciliée [Adresse 4], a formé le pourvoi n° U 22-17.079 contre l'arrêt rendu le 29 mars 2022 par la cour d'appel d'Angers (chambre A - civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à Mme [U] [R], domiciliée [Adresse 3],

2°/ à la société MMA IARD assurances mutuelles, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],

3°/ à M. [K] [P], domicilié chez Mme [W] [Adresse 1],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Bruyère, conseiller, les observations de la SCP de Nervo et Poupet, avocat de Mme [E], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de Mme [R], de la société MMA IARD assurances mutuelles, après débats en l'audience publique du 28 novembre 2023 où étaient présents Mme Champalaune, président, M. Bruyère, conseiller rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Angers, 29 mars 2022), Mme [R] (la notaire) a établi, le 24 septembre 2007, le projet d'acte de liquidation et partage du régime matrimonial de Mme [E] et M. [P], qui a été homologué par le jugement de divorce du 17 mars 2008.

2. Il a été notamment prévu l'attribution à M. [P] de la pleine propriété d'un appartement et à Mme [E] de celle d'une maison, dont les acquisitions avaient été financées à l'aide de prêts souscrits solidairement par les époux.

3. Les parts des sociétés civiles immobilières dont les époux étaient associés et dont ils avaient cautionné les emprunts ont été attribuées à M. [P].

4. Reprochant à la notaire un manquement à ses obligations d'information et de conseil, ainsi qu'un défaut d'efficacité de l'acte de liquidation et partage du régime matrimonial, au motif qu'elle n'avait pas effectué les diligences nécessaires pour obtenir en sa faveur la désolidarisation des engagements pris au titre des prêts immobiliers, Mme [E] l'a, par actes des 18 et 23 janvier 2017, assignée avec son assureur, la société MMA Iard Assurances mutuelles (l'assureur), en responsabilité et indemnisation de ses préjudices.

5. La notaire et son assureur ont invoqué la prescription de l'action.

Examen du moyen

6. Mme [E] fait grief à l'arrêt de déclarer l'action en responsabilité qu'elle a engagée contre la notaire et son assureur en responsabilité professionnelle prescrite et donc irrecevable, alors « que la prescription d'une action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance ; que, dans ses conclusions récapitulatives, Mme [E] soutenait que le point de départ de son action contre Mme [R], notaire qui n'avait pas effectué les diligences nécessaires pour obtenir la désolidarisation des prêts mentionnés à l'acte de partage qu'il avait établi était le jour où elle avait reçu assignation de la banque, manifestant son dommage, soit le 28 octobre 2014 ; que, pour déclarer prescrite l'action en responsabilité engagée par Mme [E] contre la notaire, par actes des 18 et 23 janvier 2017, la cour d'appel énonce que dès l'année 2009, Mme [E] savait ou aurait dû savoir que les diligences n'avaient pas efficacement été faites pour obtenir cette désolidarisation et qu'il ne peut qu'être considéré qu'elle était avisée qu'elle demeurait redevable des prêts souscrits au temps du mariage, le préjudice ne pouvant être considéré comme latent dès lors qu'elle se savait tenue solidairement du passif commun, c'est-à-dire débitrice du tout à l'égard des créanciers prêteurs ; qu'en statuant ainsi, quand le préjudice subi par Mme [E] du fait de l'absence de désolidarisation des prêts n'est devenu certain qu'à partir du moment où elle a fait l'objet de poursuites de la part des créanciers, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil ».

Réponse de la Cour

Vu l'article 2224 du code civil ;

5. Selon ce texte, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître, les faits lui permettant de l'exercer.

7. Pour déclarer prescrite l'action en responsabilité engagée contre la notaire et son assureur, l'arrêt retient, d'abord, que, dès l'année 2009, Mme [E] savait ou aurait dû savoir que les diligences n'avaient pas efficacement été faites pour obtenir la désolidarisation mentionnée à I'acte de partage et qu'elle était avisée qu'elle demeurait redevable des prêts souscrits au temps du mariage, le préjudice ne pouvant être considéré comme latent dès lors qu'elle se savait tenue solidairement du passif commun.

8. Il relève ensuite que, dès la rédaction de I'acte de partage, elle ne pouvait que se savoir tenue par les engagements solidaires qu'elle avait par ailleurs pris au bénéfice de sociétés dont le capital social commun avait été attribué à son époux.

9. En statuant ainsi, alors que le dommage dont Mme [E] demandait réparation ne s'était pas manifesté aussi longtemps que les établissements de crédit n'avaient pas exigé l'exécution des engagements dont elle soutient qu'elle aurait dû être déliée par l'acte liquidatif et de partage, soit au plus tôt le 28 octobre 2014, de sorte que, à la date des assignations qu'elle a fait signifier à la notaire et à son assureur, les 18 et 23 janvier 2017, la prescription n'était pas acquise, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 29 mars 2022, entre les parties, par la cour d'appel d'Angers ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes ;

Condamne Mme [R] et la société MMA Iard Assurances mutuelles aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [R] et la société MMA Iard Assurances mutuelles et les condamne à payer à Mme [E] la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre janvier deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:C100021

Publié par ALBERT CASTON à 15:42  

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