L’arlésienne de la vie constitutionnelle française, toujours discutée jamais entérinée, deviendra t’elle enfin réalité ? Votée par les chambres en 1990, ébauchée dans un projet de révision en 1993, neutralisée en 2008 par l’assemblée nationale, ladite mesure ne survécut pas aux diverses embuches jalonnant tout cheminement constitutionnel. 

 

En 2018 pourtant, le projet de loi constitutionnelle, l’avis du Conseil d’Etat, le consensus au parlement, donnent à penser que ce nouvel essai pourrait s’avérer fructueux. Guy Carcassonne, de sa plume fluide et franche assénait : 

« La présence des anciens présidents de la République n’a nulle raison d’être » avant de préconiser qu’ils devinssent plutôt « de droit, sénateurs à vie ». Or, inexorablement, l’art 56 alinéa 2 de la constitution dispose: « font de droit partie à vie du Conseil Constitutionnel les anciens présidents de la République ».

Quelle en était la justification ? La dignité de la fonction nécessitait que la République offrit aux anciens Présidents un traitement adéquat après la cessation de leur fonction.            

Quels sont les éléments modificateurs ? Au nombre de six, ils inclinent à l’abrogation. 

            D’abord, depuis 1971, afin d’inscrire la cinquième République dans un État de droit constitutionnel, l’office du Conseil constitutionnel s’élargit notablement : la conformité de la loi pouvait désormais être contrôlée aux normes de rang constitutionnel. 

            En 1974, ensuite, la fréquence du contrôle s’intensifia par la possibilité donnée à l’opposition de le saisir par 60 parlementaires.

            En troisième lieu, en 2008, le constituant, lui-même, entérina la juridictionnalisation du Conseil et la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) entra en vigueur en 2010. Ainsi, désormais devant le Conseil, chaque audience interrogeant la constitutionnalité d’une loi déjà en vigueur ouvre sur un échange organisé, contradictoire des arguments des parties assistées de leur avocat. Les membres du Conseil tranchent la question « prioritairement » car de la conformité de la loi à la constitution dépendra l’issue d’un procès en cours devant la justice judiciaire ou administrative. Les décisions du Conseil bénéficient de l’autorité la plus haute en ce qu’elles « s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ». 

            Parées de tels atours, elles doivent légitiment offrir une procédure exempte de tout soupçon d’impartialité. Pourtant la présence d’anciens présidents au Conseil interroge. En effet, l’impartialité est duale. Subjective, elle est l’absence de tout parti pris dans le for intérieur du juge. Objective, elle garantit au justiciable un processus décisionnel de nature à prémunir le juge contre toute idée préalable sur la question à trancher, ici la loi à contrôler. Si la récusation existe, elle n’éradique pas le risque qu’un ancien président, jadis chef éminent de la majorité, défendit une loi dont il doit désormais apprécier la constitutionnalité. De fait, la partie soutenant l’inconstitutionnalité, afin d’ emporter son procès questionnera l’impartialité de l’ancien Président. Or la confiance du justiciable implique que justice soit faite mais aussi qu’elle montre toutes garanties qu’elle fut justement rendue. Ainsi tout doute, aussi tenu soit-il, doit être chassé. 

            En quatrième lieu, le texte constitutionnel paraît dépassé. Le rajeunissement de la fonction présidentielle débouche sur une aspiration naturelle d’anciens Présidents à occuper de nouveau des fonctions politiques (MM. Giscard D’Estaing et Sarkozy) ou professionnelles incompatibles avec la qualité de juge constitutionnel.  

            En cinquième lieu, la pratique. Si M. Giscard D’Estaing siège, il renonce à examiner les QPC, déplorant une atteinte trop vive à l’autorité de la loi. MM. Chirac et Sarkozy ne siègent plus, respectivement en raison de leur santé ou d’un retrait volontaire né d’une invalidation des comptes de campagne prononcée par le Conseil. Pourtant, ils restent membres de droit. M. Hollande à l’instar de M. Mitterrand jadis, n’a pas souhaité siéger. Ainsi, l’inapplication pratique du texte sape la cohérence de l’ensemble de l’édifice. 

            Enfin, dans le projet de loi de ratification du protocole n°16, permettant de solliciter des avis de la Cour européenne des droits de l’homme, le Conseil constitutionnel est qualifié de « haute juridiction nationale ». Or, une juridiction doit offrir les meilleures garanties. 

            De même que la réforme de 2008 renforça l’indépendance du Conseil en conditionnant leur nomination à un avis et une audition par les commissions parlementaires, l’impartialité de ceux-ci doit dorénavant être placée hors de tout soupçon, fut-il infondé.

            Dès lors, l’importance aujourd’hui cardinale du Conseil, sa juridictionnalisation, son cortège d’exigences commandent que l’arlésienne se montre enfin pour clore définitivement les portes de la rue de Montpensier aux anciens Présidents.