Il arrive que l’Administration soit informée par un tiers de la commission d’un crime ou d’un délit par l’un de ses agents. Que faire dans une telle situation ? Dans quelles conditions la mise en oeuvre d’une procédure disciplinaire et/ou d’une mesure de suspension doit-elle être envisagée ?

Le deuxième alinéa de l’article 40 du Code de procédure pénale impose à « toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou à d’un délit », une obligation de dénonciation au Procureur de la République.

Au regard de ces dispositions, les supérieurs hiérarchiques d’un agent public qui auraient été informés de la commission par ce dernier de faits susceptibles de relever le la qualification de crimes ou de délits (à savoir, les infractions les plus graves ), doivent d’abord procéder à un signalement auprès du Procureur de la République, étant précisé que le texte n’assortit la violation de cette obligation d’aucune sanction.

Cette information doit être faite « sans délai » et n’est pas soumise à des règles de formes particulières (la neutralité des termes employés devra être privilégiée, surtout si le signalement fait suite à une dénonciation par un tiers).

Les autorités administratives concernées sont également tenues de transmettre au Parquet tous les renseignements, procès-verbaux et actes relatifs à l’infraction portée à leur connaissance.

L’administration ne peut voir sa responsabilité engagée à ce titre, et ce, quand bien même l’accusation portant les faits à sa connaissance serait en réalité dénuée de tout fondement.

Il ressort sur ce point de la jurisprudence, que l’autorité administrative n’est pas tenue de diligenter une enquête administrative préalablement au signalement des faits au Parquet.

De plus, l’obligation de dénonciation auprès de l’autorité judiciaire des faits susceptibles d’être qualifiés de délictueux ou criminels n’est pas limitée au seul cas dans lequel l’autorité administrative a acquis la certitude de l’exactitude des faits reprochés à l’agent, et il suffit que les révélations ou informations portées à sa connaissance présentent un caractère de vraisemblance suffisant (CAA Nancy, 30 novembre 2006, n° 05NC00618).

Dans une telle situation, se pose également la question de l’éventuelle mise en œuvre d’une procédure disciplinaire à l’encontre de l’agent concerné.

Il faut préciser à ce sujet que l’action disciplinaire est indépendante de toute action pénale, et qu’un même fait peut être sanctionné à la fois pénalement et disciplinairement. A contrario, un même fait peut être sanctionné pénalement sans l’être disciplinairement, ou encore, donner lieu à sanction disciplinaire, sans donner lieu à sanction pénale.

Lorsque les faits à l’origine de la mise en œuvre d’une procédure disciplinaire sont susceptibles de relever d’une qualification d’infraction pénale, cette situation peut entraîner une interaction entre les deux procédures. Dans certains cas, la matérialité des faits ayant donné lieu à l’engagement d’une procédure disciplinaire sera révélée et établie dans le cadre de l’enquête pénale.

Les Parquets ont l’obligation d’aviser l’administration des poursuites engagées et des condamnations définitives prononcées à l’encontre des agents du secteur public, et le Code de procédure pénale prévoit expressément que le juge d’instruction doit prévenir l’employeur ou l’autorité hiérarchique s’il rend une ordonnance de mise sous contrôle judiciaire avec l’obligation de ne pas se livrer à certaines activités professionnelles ou sociales (article R.18).

Face à la seule dénonciation des faits par un tiers, la prudence est de mise. Avant toute procédure disciplinaire l’administration doit s’assurer que les faits portés à sa connaissance sont suffisamment matérialisés pour fonder une procédure disciplinaire, et conserver des preuves sur ce point.

En effet, une dénonciation non circonstanciée de faits susceptibles de relever d’une qualification pénale ne saurait suffire à fonder la mise en œuvre d’une procédure disciplinaire à l’encontre d’un agent public. Mieux vaut donc s’abstenir de toute action disciplinaire dans le cas où les faits ne seraient pas suffisamment établis par des pièces et éléments probants.

Si la faute disciplinaire reprochée a également fait l’objet d’une action pénale, et en cas de remise en cause par le juge pénal de la matérialité des faits, l’agent peut alors solliciter un réexamen de sa situation par l’administration.

Le Conseil d’Etat considère sur ce point que « la personne qui a fait l’objet d’une sanction disciplinaire a droit à ce que sa situation soit réexaminée en vue, notamment, de sa réintégration dans son grade, lorsque les faits qui ont motivé la sanction et qui avaient fait l’objet de poursuites pénales ont donné lieu à un jugement de relaxe » (CE, 6 décembre 2002, n°237518).

On notera que l’inaptitude temporaire et médicalement constatée d’un agent à l’exercice de ses fonctions ne fait pas obstacle à l’engagement de l’action disciplinaire (CE, 13 mai 1992, n° 106098).

Le fonctionnaire territorial peut ainsi faire l’objet d’une sanction disciplinaire, y compris alors qu’il se trouverait en congé de maladie. Les sanctions disciplinaires seront néanmoins exécutées postérieurement à l’expiration du congé de maladie dont l’agent bénéficie (QE de Marie-Jo Zimmermann, n° 50000, JO de l’Assemblée nationale du 6 mai 2014).

Enfin, l’autorité administrative peut envisager le prononcé, à titre conservatoire, d’une mesure de suspension de l’agent de ses fonctions sur le fondement de l’article 30 de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983, étant rappelé qu’une telle mesure n’est pas constitutive de sanction.

La suspension de fonctions à titre conservatoire est en principe limitée à quatre mois. Elle est mise en œuvre dans l’intérêt du service, dans le but de préserver la sérénité et la réputation du service, et de protéger les autres agents avant qu’il ne soit statué disciplinairement sur la situation de l’intéressé.

En cas de contentieux, l’administration devra être à même de démontrer que les faits relevés à la charge de l’agent présentent un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité pour justifier une telle mesure (CE, 29 juillet 1994, n°135102).

C’est ainsi qu’une mesure de suspension prise sur la seule base d’un seul témoignage non circonstancié ne saurait laisser présumer, d’emblée, la commission d’une faute grave justifiant le prononcé d’une mesure de suspension (CAA Lyon, n 19 juin 2001, n°99LY02140).

Lorsqu’un agent fait l’objet de poursuites pénales, il pourra être suspendu de ses fonctions dans les conditions fixées par l’article 30 de la loi du 13 juillet 1983 susmentionné.

En revanche, en cas de non-lieu, relaxe, acquittement ou mise hors de cause, l’autorité hiérarchique devra procéder au rétablissement dans ses fonctions du fonctionnaire.

Pour finir, relevons qu’une mesure de suspension peut être régulièrement prononcée à l’encontre d’un agent bénéficiant d’un congé de maladie, mais ne peut être effective pendant un tel congé.

Sur ce point, le Conseil d’Etat a récemment précisé que (CE, 30 mars 2017, n° 388109, publié aux tables) :
• une telle mesure n’entre en vigueur qu’à compter de la date à laquelle le congé de maladie prend fin, et ce, y compris dans le cas où la décision de suspension ne prévoit pas expressément une entrée en vigueur différée ;
• quel que soit le délai de report de la mesure du fait du congé de maladie, le décompte de la durée de la période de suspension se fait à compter de la signature de la décision qui prononce la mesure de suspension.

En l’absence de poursuites pénales, la mesure de suspension prendra donc fin de plein droit dans un délai de quatre mois à compter de la signature de la décision de suspension, et non de son entrée en vigueur effective.


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