• Les faits

Une personne a porté plainte et s'est constituée partie civile du chef d'abus de faiblesse à l'encontre de l'épouse de son père ayant bénéficié d’une assurance-vie à raison du jeu de la clause-type « le conjoint survivant, à défaut les enfants ».

Elle a exposé que son père était atteint de la maladie d'Alzheimer depuis plusieurs années et qu'elle avait appris incidemment qu’il avait épousé en seconde noce Mme Y. alors que son père lui avait toujours dit ne pas vouloir se remarier.

M. Z fut ensuite placé sous tutelle et un mandataire judiciaire désigné en qualité de tuteur.

Au décès de M. Z. son épouse a perçu le capital des assurances-vie qu’il avait souscrites.

Le juge d'instruction a prononcé un non-lieu.

La fille du défunt a relevé appel de cette décision.

  • Arguments invoqués à l’appui du recours

" 1°/ que lorsque la victime d'un abus de faiblesse est une personne particulièrement vulnérable, ledit abus est punissable sans qu'il soit nécessaire que son auteur ait exercé sur cette personne des pressions graves ou réitérées ou des techniques propres à altérer son jugement ;

Qu'en se fondant, pour dire n'y avoir lieu à poursuivre, sur la circonstance que si M. Z. était en état de faiblesse et que cet état était connu de son épouse, aucun élément ne venait pour autant démontrer que celle-ci aurait exercé à l'encontre de celui-là des pressions graves ou réitérées ou des techniques propres à altérer son jugement, la chambre de l'instruction a méconnu les textes et le principe ci-dessus mentionnés ;

2°/ que constitue un acte gravement préjudiciable le fait pour une personne vulnérable de désigner comme bénéficiaire d'une assurance-vie la personne l'ayant conduite à cette disposition ;

Qu'en se fondant également, pour dire n'y avoir lieu à poursuivre, sur la circonstance que les contrats d'assurance-vie souscrits par M. Z et désignant Mme comme bénéficiaire ne lui avait pas porté préjudice, la chambre de l'instruction a méconnu les textes et le principe ci-dessus mentionnés. "

Pour confirmer l'ordonnance de non-lieu, l'arrêt attaqué rappelle que le mariage des époux Z. était fondé sur des sentiments sincères et que les différentes auditions des personnes ayant connu le couple ont démontré qu'il existait entre eux une relation affective incontestable, que leur mariage était venu conforter, sans qu'il soit possible de considérer que cette décision ait été dictée par une volonté de tirer un avantage d'une situation de vulnérabilité.

La juridiction d’appel ajoute que les contrats d'assurance-vie, dont il n'est nullement démontré qu'ils aient d'une manière ou d'une autre porté préjudice à M. Z, figurent dans les rapports transmis au juge des tutelles et n'ont donné lieu à aucune observation de la part de ce magistrat, le simple fait que le bénéficiaire de ces contrats puisse être l'épouse et non la fille de l'intéressé ne pouvant, en soi, constituer une décision portant préjudice au majeur protégé.

Par ailleurs si, lors du mariage, M. Z. pouvait être en état de faiblesse, cet état étant connu de sa nouvelle épouse, aucun élément ne vient pour autant démontrer que celle-ci aurait par l'existence de pressions graves ou réitérées ou par des techniques propres à altérer le jugement de M. Z.

En conséquence, la Cour de cassation confirme la décision de rejet en considérant :

  • d'une part, que les juges ont,par une appréciation souveraine des faits, exclu tout vice du consentement altérant la conclusion du mariage entre les époux Z.
  • D'autre part, il n'y a pas eu de la part de M. Z d'actes consistant à modifier les bénéficiaires desassurances-vie, la clause bénéficiaire précisant "le conjoint survivant, à défaut les enfants", issue de la clause-type, découlant automatiquement de ce mariage et ne pouvant être constitutive d'un acte gravement préjudiciable à son patrimoine.

L’essentiel à retenir : l’abus de faiblesse (C. pénal, art. 223-15-2) n’est pas caractérisé en l’absence d’actes du souscripteur remarié consistant à modifier les bénéficiaires des assurances-vie, la clause bénéficiaire issue de la clause-type, découlant automatiquement du mariage, ne pouvant dans le cas d’espèce être constitutive d’un acte gravement préjudiciable.

L'appréciation souveraine des faits dans le cas précis de cette action pénale, n'écarte pas l'éventualité d'une contestation sur le plan civil en cas notamment de non-respect de la réserve héréditaire et/ou d'insanité d'esprit (trouble mental) de la personne protégée ou enfin de non-respect des règles relatives à la souscription d'une assurance-vie dans le cadre de la tutelle.


Claudia CANINI

Avocat à la Cour - Droit des majeurs protégés

www.canini-avocat.com


Sources : Crim. 22 avril 2020 n°19-80.889