Lors d'un recours en indemnisation du handicap subi par un enfant pendant l'accouchement, un arrêt rendu le 19 novembre 2020 par la cour administrative d'appel de Nancy revient sur les critères complexes de l'appréciation du lien de causalité.

Après une erreur médicale médicale pendant l'accouchement et la naissance d'un enfant atteint d'une infirmité motrice d'origine cérébrale (IMOC), appelée aussi paralysie cérébrale (PC), l'indemnisation de la victime nécessite une expertise afin d'analyser la prise en charge (notamment du gynécologue obstétricien et la sage-femme de la maternité), le dommage corporel et - sur la base de critères médicolégaux - l'imputabilité du second à la première.

En conséquence, le juge est souvent confronté aux contestations des avocats en droit de la santé relatives à ces critères.

I. Application des critères par les deux ordres de juridictions

1. CAA Nancy : arrêt du 19 novembre 2020

Statuant sur le lien de causalité juridique, la Cour administrative d'appel de Nancy fait une application stricte des critères par un arrêt du 19 novembre 2020 (CAA de NANCY, 1ère chambre, 19 nov. 2020, n° 18NC01973).

Dans cette affaire, Mme E... a donné naissance à un deuxième enfant, C..., atteint d'une IMOC. La naissance a eu lieu par voie basse après une bradycardie du rythme cardiaque fœtal qui a duré 30 minutes.

Bien qu'elle constate un retard de l'appel du gynécologue-obstétricien par la sage-femme, la cour administrative d'appel écarte le lien causal se la base des critères d'imputabilité soulevés par les experts :

« ainsi que le relèvent les experts, il ressort des recommandations relatives aux modalités de surveillance foetale pendant le travail publiées par les sociétés savantes américaines en 2003 que l'imputabilité d'une encéphalopathie néonatale ou d'une paralysie cérébrale à une asphyxie per partum dépend de quatre critères essentiels, outre des critères non spécifiques. Un unique critère se retrouve pour C..., celui de la bradycardie prolongée, alors que, si certains examens, qui n'étaient pas nécessaires au regard de l'état de santé de l'enfant, n'ont pas été réalisés, l'échographie transfontanelle réalisée cinq jours après la naissance était normale, que les analyses de réanimation pédiatrique n'ont pas retrouvé d'atteinte multisystémique et que le score d'Apgar évalué 5 minutes après la naissance n'était pas dans les limites du dernier critère. »

Ce faisant le juge administratif fait une application contestable des critères vu la durée de 30 minutes de la bradycardie, l'absence de résultat d'un pH et la mauvaise performance de l'échographie transfontanelle pour la détection des lésions d'anoxo-ischémie.

2. Une décision similaire sanctionnée par la Haute juridiction de l'ordre judiciaire

L'affaire rapportée évoque une espèce similaire examinée par la cour d'appel de Paris qui a rejeté le lien de causalité au motif suivant (Cour d'Appel de Paris, 15 Juin 2017, RG n° 16/03869) :

« Considérant que la clinique produit un rapport du docteur P..., chirurgien gynécologue accoucheur des hôpitaux, expert près la cour d'appel de Paris, qui affirme que, ainsi que les experts judiciaires le reconnaissent, l'hypothèse d'une asphyxie aiguë n'est pas documentée par l'état de l'enfant à la naissance, par son évolution clinique sans signe d'encéphalopathie anoxique et de défaillance polyviscerale, par l'absence de tout déficit moteur séquellaire et par les données de l'imagerie IRM, qui ne rapporte pas les lésions caractéristiques de l'anoxo-ischémie per-partum ; qu'il ajoute que l'absence des critères retenus par Mac Lennan et l'American Collège of Obstetrics and Gynecology écarte l'hypothèse d'une anoxo-ischémie du travail ; Considérant que les critères de Mac Lennan ont été adoptés par les Recommandations du Collège National des Gynécologues Obstétriciens Français, publiées en 2007 produites aux débats ; qu'ils sont utilisés pour attribuer une encéphalopathie néonatale ou une paralysie cérébrale à une asphyxie per-partum et consiste en la mise en évidence de plusieurs critères cumulatifs, une acidose métabolique foetale per-partum au cordon sur l'artère ombilicale ou précocement chez le nouveau-né, une encéphalopathie précoce modérée à sévère chez un enfant né au moins à 34 semaines d'âge gestationnel, une paralysie cérébrale de type quadriplégie spastique ou de type dyskinétique, et enfin l'exclusion des autres causes : traumatisme, troubles de coagulation, pathologie infectieuse, problème génétique ; Considérant que, si le premier critère de la mise en évidence d'une acidose métabolique n'a pu être vérifié faute de prélèvement sur le cordon ombilical, pratique non couramment utilisée en France, et que le deuxième peut être discuté compte tenu des troubles neurologiques présentés par Z... D... après la naissance, il est constant que celle-ci n'a pas présenté de paralysie cérébrale de type quadriplégie ou de type dyskinétique et, principalement, il est avéré et non contesté que l'enfant présentait un retard de croissance intra-utérin pouvant à lui seul expliquer son retard actuel ; Que le tableau des critères de Mac Lennan, intégré aux recommandations précitées, précise que les quatre premiers critères qualifiés d'essentiels doivent être tous présents, ce qui n'est pas le cas ; Considérant que, dans ces conditions, l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre les retards fautifs tant de la sage-femme que du docteur O... dans la mise en oeuvre de l'extraction du bébé par césarienne et l'état de l'enfant à la naissance n'est pas démontrée, de sorte que les demandes de Mme S... et de M. D... en réparation des préjudices subis du fait de l'état de leur fille ne pouvaient être accueillies par le tribunal, fût-ce sur le terrain de la perte de chance...»

Du point de vue de l'application des critères d'imputabilité de l'IMOC à une anoxie fœtale survenue pendant l'accouchement, les faits de cette espèce sont aussi délicats que ceux de la décision rapportée de l'ordre administratif. Cependant la cour d'appel a été sanctionnée par la Cour de cassation dans un arrêt du 24 octobre 2019 qui lui reproche de ne pas avoir poussé sa recherche plus loin (Cass. Civ. 1e, 24 octobre 2019, pourvoi n° 18-19459) :

« Attendu que, pour rejeter les demandes de Mme S... et de M. D..., après avoir admis un retard fautif dans l'extraction de l'enfant, imputable au praticien et à la sage-femme salariée de la clinique, l'arrêt relève, au vu d'éléments versés aux débats par les parties et contrairement aux énonciations des experts, que l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre ces fautes et l'état de santé de Mme Z... D... n'est pas démontrée, de sorte que les demandes de réparation ne peuvent être accueillies, même sur le terrain de la perte de chance ;

Qu'en se déterminant ainsi, sans constater qu'il pouvait être tenu pour certain que les fautes n'avaient pas eu de conséquences sur l'état de santé de Mme Z... D..., alors qu'une perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition d'une éventualité favorable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ; »

La Cour de cassation fait ainsi une application de sa jurisprudence classique du préjudice spécifique de la perte de chance dans le domaine des critères relatifs au lien entre l'IMOC et une faute de la sage-femme.

La différence entre la décision rapportée et celle examinée par la Cour de cassation est que celle-ci a constaté une faute à l'origine d'un retard dans l'extraction de l'enfant contrairement à celle-là. Cependant cette difficulté peut être surmontée par la victime avec des éléments de preuve tels qu'un rapport critique d'un médecin conseil spécialiste en gynécologie-obstétrique.

II. Rappel des neuf critères

Les critères d'imputabilité médicolégale d'une IMOC à une anoxie cérébrale survenue pendant l'accouchement ont été publiés pour la première fois en 1999 (BMJ 1999;319(7216):1054-9) puis modifiés en 2003 (Obstet Gynecol. 2004;103:780-781) avant d'être adoptés par le Collège national des gynécologues obstétriciens français en 2007 (Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français. Modalités de surveillance fœtale pendant le travail, 31es journées nationales, 12 décembre 2007). Depuis, ils ont été mis à jour en 2014 (Obstet Gynecol. 2014;123:896-901).

Les critères eux-mêmes sont divisés en deux groupes dont un premier groupe qui comporte quatre critères qui doivent être tous présents :

  1. Mise en évidence d’une acidose métabolique à la naissance ou peu après à savoir un pH inférieur à 7,00 / déficit de base supérieur ou égal à 12 mmol/l (Ndlr : malheureusement avant 2010, donc la date de l'introduction de l'hypothermie thérapeutique exposée dans la section III, ce critère faisait souvent défaut comme c'était le cas dans l'affaire rapporté et l'autre affaire examinée par la Cour de cassation) ;
  2. Encéphalopathie précoce (modérée ou sévère) chez un enfant né à un âge gestationnel supérieur ou égal à 34 semaines ;
  3. Infirmité motrice d'origine cérébrale (paralysie cérébrale) de type quadriplégie spastique ou de type dyskinétique ;
  4. Exclusion des autres causes : traumatisme, troubles de la coagulation, infection, problème génétique.

Dans l'autre groupe, il y a cinq critères dits non essentiels qui suggèrent une origine du handicap pendant le travail et l'accouchement :

  1. Événement hypoxique survenant immédiatement avant ou pendant le travail ;
  2. Altération prononcée et prolongée du rythme cardiaque fœtal faisant suit à un tracé normal ;
  3. Score d’Apgar inférieur à 7 à 5 minutes de vie (critère version 1999) devenu un score inférieur à 4 à 5 minutes de vie (critère version 2003) devenu un score inférieur à 6 à 10 minutes de vie (critère version 2014) étant ajouté que le score d'Apgar doit souvent être corrigé vers le bas pour toute réanimation/intubation néonatale ;
  4. Altérations multiorganiques précoces (foie, coeur, rein, poumon) ;
  5. Imagerie néonatale précoce montrant des anomalies non focales.

Plus d'informations sur ces critères sont disponibles sur notre site internet dans la rubrique des erreurs médicales pendant l'accouchement et la naissance.

III. Hypothermie thérapeutique invite les avocats en droit de la santé à la vigilence

L'arrêt rapporté du juge administratif concerne des faits suvenus en 2007 cependant la solution aurait pu être différente pour des faits postérieurs à 2010.

En effet, l'année 2010 marque l'arrivée de la révolution de l'hypothermie contrôlée.

Cette neuroprotection du nouveau-né est une occasion unique pour l'avocat en droit de la santé d'être en possession de la décision du service de réanimation néonatale sur l'origine des dommages bien avant l'expertise (Naturellement, il convient d'examiner aussi les critères qui ne sont pas disponibles lorsque la décision de l'hypothermie est prise dans les premières heures de vie : il faut donc vérifier le résultat de l'IRM cérébrale précoce, l'exclusion d'autres causes et ultérieurement le type d'IMOC.)

En effet, l'hypothermie contrôlée est proposée uniquement aux enfants atteints d'une encéphalopathie modéré ou sévère en raison d'une anoxie subie pendant l'accouchement et la naissance.

Ce traitement majeur permet aussi aux avocats de remarquer que les critères d'imputabilité médicolégale sont plus stricts que ceux de la sélection des enfants pour l'hypothermie.

En effet, les protocoles français d'hypothermie repèrent le nouveau-né atteint d'encéphalopathie (modérée ou sévère) par anoxie au moyen d'un électroencéphalogramme et d'un des critères suivants (Recommandations du Groupe hypothermie Ile-de-France. Hypothermie contrôleé du nouveau-né à terme après asphyxie périnatale. Archives de Pédiatrie 2010;17:282-289) :

  1. Acidose au cordon ou dans la première heure de vie définie par un pH inférieur à 7, un déficit de base supérieur à 16 mmol/l ou taux de lactates supérieur à 11 mmol/l ou sinon
  2. Apgar moins de 6 à dix minutes de vie ou sinon
  3. Réanimation ventilatoire (intubation trachéale ou ventilation au masque) poursuivie à dix minutes de vie

Cependant, dans le cas où le pH serait entre 7,0 et 7,15, les protocoles d'hypothermie ajoutent qu'un enfant atteint d'encéphalopathie est selectionné pour l'hypothermie lorsqu'il est né dans un contexte obstétrical d'asphyxie et qu'il présente soit le critère 1, soit le critère 2 cité ci-dessus (Saliba E, Debillon T. Neuroprotection par hypothermie contrôlée dans l’encéphalopathie hypoxique-ischémique du nouveau-né à terme. Archives de Pediatrie, 2010 ; 17 : S67-S77. ; Saliba E, Hypothermie : un standard de traitement de l’encéphalopathie hypoxique-ischémique néonatale. Réalités Pédiatriques, n° 163, 2011, pp. 29-34).

Les critères d'hypothermie montrent ainsi une souplesse qui fait défaut dans les critères d'imputabilité médicolégale.

Dans l'arrêt rapporté où le lien de causalité était écarté, l'enfant est né en 2007 donc avant l'utilisation de l'hypothermie en France. L'avocat en droit de la santé peut légitimement se poser la question si aujourd'hui cet enfant aurait bénéficié d'un traitement par hypothermie et d'une solution différente du lien de causalité.

Dimitri PHILOPOULOS - Avocat et Docteur en médecine 

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