Résumé :

  • Le Tribunal rappelle clairement qu’on ne peut pas reproduire une œuvre protégée par le droit d’auteur (ici l’affaire du festival) dans une vidéo
  • Le fait de laisser croire à un partenariat avec le Festival de cannes dans une story Instagram est constitutif de parasitisme

 

 

L’ambush marketing peut se définir comme la stratégie « qui consiste pour une entreprise en 'une stratégie publicitaire mise en place par une entreprise afin d’associer son image commerciale à celle d’un événement et donc de profiter de l’impact médiatique dudit événement sans s’acquitter des droits qui y sont relatifs et sans avoir obtenu au préalable l’autorisation de l’organisateur de l’événement » (CA Paris 8 juin 2018 n°17/12912).

Ces pratiques sont souvent associées au domaine du sport (jeux olympiques, coupe du monde de football) mais peuvent concerner tous types d’évènements. Dans l’affaire jugée par le Tribunal le 11 décembre 2020, l’Association Française du Festival International Du Film, qui organise le Festival de Cannes, a assigné une des plus grandes maisons de luxe françaises en contrefaçon de droit d’auteur, de marques, et pour parasitisme en invoquant des pratiques d’ambush marketing.

Au vu de stories Instagram concernant les égéries de la marque à l’occasion du Festival de Cannes, l’AFFIF reprochait notamment à DIOR (i) d’utiliser ses droits de propriété intellectuelles (affiche du Festival, marques) et (ii) de laisser croire qu’elle serait un partenaire officiel du Festival.

La décision est riche sur le plan juridique mais deux points méritent plus particulièrement l’attention.

 

1. Les actes de contrefaçon de droit d’auteur

 

Il était reproché à DIOR une reproduction de l’affiche du Festival lors des vidéos, affiche reconnue originale par le Tribunal.

Ce premier point est plutôt classique mais DIOR contestait l’atteinte au droit d’auteur en invoquant des exceptions au droit d’auteur et notamment caractère furtif de la reproduction (théorie de l’accessoire), la nécessité d’informer le public de l’évènement ainsi que la conciliation nécessaire entre le droit d’auteur et la liberté d’expression.

Le jugement réfute ces exceptions et reconnait la contrefaçon : « quand bien même l’affiche du Festival n’était en elle-même pas le coeur du sujet des vidéos litigieuses, il ne peut être raisonnablement soutenu que la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR n’avait pas d’autre possibilité, pour afficher sa présence ou celle de ses égéries à Cannes durant le Festival, que de filmer le Palais des Festivals et son fronton, sur lequel l’affiche litigieuse est parfaitement visible et reconnaissable en arrière-plan des vidéos, de sorte qu’elle ne peut se prévaloir ni du caractère accessoire des vues de l’affiche ni d’un but d’information du public, d’autant plus que les vidéos litigieuses avaient un objectif promotionnel clairement affiché et ne peuvent s’apparenter à des reportages à but informatif, et qu’il n’est pas fait mention, au crédit des vidéos, de la source et du nom de l’auteure de ladite affiche. »

En ce qui concerne la balance des intérêts avec la liberté d’expression, l’argument est également écarté car DIOR « ne démontre une impossibilité de s’exprimer autrement qu’en s’affranchissant de l’autorisation préalable du titulaire des droits ».

En conclusion, le jugement rappelle clairement qu’on ne peut pas reproduire une œuvre protégée par le droit d’auteur (ici l’affaire du festival) dans une vidéo publicitaire.

 

2. Les pratiques d’ambush marketing

 

L’AFFIF soutenait que les vidéos laissaient croire à l’existence d’un partenariat officiel entre la maison de luxe et le Festival alors que tel n’était pas le cas.

Le Tribunal retient des actes de parasitisme au terme d’un jugement très détaillé reproduit ci-dessous :

« Ainsi, l’incrustation à l’image des signes de la Maison DIOR, reproduits sur le visuel de l’affiche tend à laisser croire à l’existence d’un partenariat, quand bien même à aucun moment la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR ne revendique expressément le statut de partenaire officiel du Festival de Cannes.

L’utilisation de hashtags (#diorcannes, #diormakeup, #diorbackstage, #diorskin, #diorshow), habilement positionnés à certains moments clés des vidéos litigieuses, atteste ensuite du caractère promotionnel et commercial de celles-ci, dans la mesure où ils permettent un renvoi vers le site marchand de la défenderesse, et participe ainsi, au même titre que l’incrustation des marques DIOR, d’une tentative de s’associer à l’image du Festival de Cannes et de profiter de sa valeur économique.

Enfin, la reproduction non autorisée de la marque semi-figurative no 02 3 157 459 de l’AFFIF, quand bien même elle n’est visible que pendant un temps très court dans la vidéo incriminée, dès lors qu’elle est aisément identifiable et reconnaissable, constitue une atteinte à celle-ci comme à la marque no 10 3 722 922 qui y est identique à l’exclusion de l’élément verbal « Festival de Cannes », au sens de l’article L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle dès lors que leur renommée a été reconnue. Etant entendu qu’il ne peut être soutenu que cette reproduction ne constituerait pas un usage à titre de marque mais une simple information du public, ce que contredit la reproduction intégrale de la marque no 02 3 157 459 elle-même, et non de la simple palme, sans l’ovale ni la mention « Festival de Cannes » qui la composent.

Or, s’il est effectivement possible de faire référence à la tenue du Festival de Cannes et même de représenter le Palais des Festivals, notamment en raison de son actualité au moment même où il se déroule, c’est à la condition de ne pas se placer dans le sillage de son organisateur, en tentant de contourner le caractère exclusif des partenariats promotionnels mis en place par l’AFFIF pour y associer ses propres marques et tenter ainsi de bénéficier de l’image de prestige et de glamour que véhicule cet événement auprès du public et capter une clientèle attirée par celle-ci. Etant relevé qu’une source majeure de revenus pour l’AFFIF, donc de financement de l’organisation du Festival, est issue de sa politique de partenariats commerciaux, laquelle repose en premier lieu sur l’exclusivité promise aux partenaires officiels, en contrepartie d’importants investissements financiers, d’associer leur image à celle du Festival, exclusivité mise à mal dès lors que des opérateurs tiers entrent de manière illégitime en concurrence avec lesdits partenaires. Et étant encore entendu que l’existence d’un risque de confusion n’est pas requise en matière de parasitisme et que le fait que les vidéos litigieuses n’ont été diffusées que sur les réseaux sociaux de la défenderesse ne vient pas amoindrir le profit induit de manière injustifiée par l’association ainsi créée.

Il ressort en définitive de la campagne promotionnelle litigieuse appréhendée dans sa globalité, que, quand bien même la défenderesse ne se présente à aucun moment comme « Partenaire officiel » du Festival de Cannes, les choix opérés par la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR dans la mise en place de sa campagne, alors que rien ne l’obligeait à recourir comme elle l’a fait à l’incrustation de ses marques sur l’affiche ou au contraire à celles, renommées, de l’AFFIF, durant l’interview d’une de ses égéries, traduisent indéniablement une volonté fautive de profiter, de manière indue puisque sans avoir à supporter les coûts d’un tel partenariat officiel, des retombées en termes de notoriété et d’aura du Festival, lequel constitue bien, en tant qu’événement annuel incontournable du cinéma international et mondialement reconnu (« majeur » selon les termes mêmes de la défenderesse), une valeur économique indubitable résultant de près 50 ans d’investissements, qui seule peut expliquer la décision de grandes marques, telle L’OREAL PARIS, de recourir pendant de très nombreuses années à de coûteux contrats de partenariat ».

 

 

Cette décision – qui fait probablement l’objet d’un appel – illustre les risques associés à la communication sur les réseaux sociaux. Contrairement à un sport publicitaire, une story Instagram est réalisée rapidement sans validation préalable du service juridique. Elle peut cependant placer l’entreprise en situation de contrefaçon ou de parasitisme tout autant qu’une publicité classique.

Dans cette affaire, la motivation retenue semble sévère car il est peu probable qu’il y ait eu une volonté délibérée de DIOR de profiter indûment de la notoriété du Festival de Cannes.  Pour autant, l’ambush marketing vise à protéger les partenariats conclus par les organisateurs d’évènements et toute association à un évènement en dehors d’un cadre contractuel est sanctionnée.