Article co-écrit avec Sonia Saïb, Avocate au Barreau de Paris

« Sans remettre en cause les formes ni le contenu du message publicitaire qui devient un élément essentiel de notre environnement culturel et sur lequel il serait contraire à notre tradition démocratique de vouloir exercer un contrôle, il faut reconnaître que sa répétition prend parfois un aspect dangereusement agressif envers nos sens. La règle de la vie en société étant le respect de l’autre, le devoir du Gouvernement et du Parlement est d’assurer cet équilibre toujours difficile entre les besoins de la collectivité et l’intimité de la personne. (…) Réglementer la publicité extérieure, c’est permettre à ceux qui auront le pouvoir de décision de mettre en place les dispositifs nécessaires à cette double exigence de la liberté et de l’ordre. (…) ».

C’est sur ces paroles, prononcées lors de la 2ème séance du 17 avril 1979[1], que le député Henri Colombier introduisait le débat sur le projet de loi relatif à la publicité, aux enseignes et préenseignes, ayant donné lieu à la loi n°79-1150 du 29 décembre 1979 à l’intitulé identique.

L’intervention du décret n°2017-1743 du 22 décembre 2017, portant expérimentation de marquages sur les trottoirs à des fins publicitaires, souligne la permanence et l’acuité de l’analyse de leur auteur, plusieurs dizaines d’années après qu’elles aient résonnées dans l’hémicycle.

Outil de la liberté d’expression, mais également de promotion commerciale, enjeu de sécurité routière, souci de limitation de la pollution visuelle et chimique et, plus généralement, enjeu de protection du cadre de vie, moyen de valorisation financière du domaine public, le marquage au sol mêle des problématiques multiples, mises en évidence par la vigueur des réactions, débats voire polémiques suscités par la publication de ce décret.

Le présent article n’a pas vocation à faire la publicité (numérique, cette fois !) de l’une ou l’autre des opinions relayées depuis son intervention, mais plus simplement et modestement, à le resituer dans son contexte en lui apportant un éclairage juridique.

 

Un dispositif expérimental

Le décret du 22 décembre 2017, autorisant les marquages sur les trottoirs à des fins publicitaires, constitue un dispositif expérimental autorisé par l’article 37-1 de la Constitution, selon lequel, «la loi et le règlement peuvent comporter, pour un objet et une durée limités, des dispositions à caractère expérimental ».

C’est sur la base de cet article – au visa duquel le décret a été pris – qu’est autorisée, à titre expérimental, l’apposition de certains marquages publicitaires sur les trottoirs, par dérogation aux dispositions des articles R. 418-3 du code de la route interdisant notamment les marquages sur les trottoirs et R. 581-27 du code de l’environnement, disposant que la publicité non lumineuse ne peut être apposée à moins de 0,50 mètre du niveau du sol.

Le décret autorise cette expérimentation pour une durée de dix-huit mois, sur les territoires des agglomérations de Bordeaux, Lyon et Nantes.

Précisons toutefois que le dispositif est mort-né en ce qui concerne les agglomérations de Bordeaux et Nantes, puisqu’à peine le décret du 22 décembre 2017 publié, un arrêté du 8 janvier 2018 est venu suspendre l’expérimentation à l’intérieur de ces deux agglomérations, seule l’agglomération de Lyon demeurant donc concernée par l’expérimentation.

Le pouvoir réglementaire ne pouvait mieux choisir son moment pour susciter un débat public sur le sujet, la Métropole de Lyon ayant débuté le 22 janvier dernier la concertation pour l’élaboration du règlement local de publicité.

 

Une liberté de diffusion …doublement limitée

Le décret n°2017-1743 du 22 décembre 2017 s’inscrit dans une réglementation complexe, dont les ramifications proviennent à la fois de la loi précitée du 29 décembre 1979 – désormais codifiée dans le code de l’environnement – et du décret n°76-148 du 11 février 1976 – désormais repris aux articles R. 418-2 et s. du code de la route, qui traduisent des préoccupations différentes : protection du cadre de vie pour la première, intérêt de la sécurité routière pour la seconde.

Selon les termes de la doctrine, la réglementation issue de la loi de 1979 « tente d’arbitrer entre d’une part les exigences de l’écologie et d’autre part un impératif d’ordre politique, le respect de la liberté d’expression ». L’article 1er de la loi de 1979 (désormais codifié à l’article L. 581-1 du code de l’environnement), rappelle ainsi que :

« Chacun a le droit d'exprimer et de diffuser informations et idées, quelle qu'en soit la nature, par le moyen de la publicité, d'enseignes et de préenseignes, conformément aux lois en vigueur et sous réserve des dispositions de la présente loi ».

Pour autant, cette liberté est immédiatement encadrée afin « d’assurer la protection du cadre de vie ». C’est cet impératif qui justifie, par exemple, que toute publicité soit interdite sur les immeubles classés ou inscrits au titre des monuments historiques ainsi que sur les monuments naturels et dans les sites classés.

De même, et en application des dispositions du code de la route, c’est dans l’intérêt de la sécurité routière qu’il est notamment interdit d’apposer tout marquage sur les trottoirs.

La coexistence de ces deux dispositifs a pu susciter une multiplicité d’interrogations quant à la portée et aux limites de ces réglementations qui se côtoient mais ne se parlent pas, le dispositif étant source de complexité, et donc d’insécurité juridique[3].

Le décret du 22 décembre 2017 est donc venu supprimer, à titre expérimental, une interdiction trouvant son origine dans deux textes distincts, qui coexistent et se cumulent.

Ainsi, la Chambre criminelle de la Cour de cassation[4] a déjà eu l’occasion de censurer une décision de Cour d’appel au double visa de la loi de 1979 et du décret de 1976.

Le non-respect de ces deux réglementations est, en effet, passible de sanctions pénales, prévues aux articles L. 581-34 et suivants du code de l’environnement, et à l’article R. 418-9 du code de la route, le non-respect de la première étant plus sévèrement réprimé.

Le non-respect des dispositions du code de l’environnement peut notamment donner lieu à la condamnation à une amende de 7500 euros par publicité, enseigne ou préenseigne en infraction alors que le non-respect des dispositions du code de la route entraîne l’application de l’amende prévue pour les contraventions de la 5ème classe, d’un montant maximal de 1500 euros s’agissant des personnes physiques, conformément aux dispositions de l’article 131-13 du code pénal.

 

Un dispositif expérimental très encadré

Si le décret du 22 décembre 2017 vient donc déroger à une interdiction dont l’objectif est à la fois de protéger le cadre de vie et d’assurer la sécurité routière, et a pu, à ce titre, faire l’objet de critiques, il n’en demeure pas moins que le dispositif est très encadré, ses dispositions attestant de la prise en compte de préoccupations environnementales et de sécurité.

Ainsi, outre le fait qu’en vertu de son caractère expérimental, le dispositif est limité géographiquement, désormais au seul ressort de l’agglomération lyonnaise mais également dans sa durée, limitée à 18 mois, l’article 2 du décret pose des conditions auxquelles les marquages devront répondre pour pouvoir être apposés sur les trottoirs de l’agglomération lyonnaise.

Parmi ces conditions, l’impératif de sécurité routière est sous-jacent dans l’exigence du traitement antidéparant qui doit être effectué sur le marquage mais encore du fait des caractéristiques d’adhérence du trottoir qui ne doivent être diminuées du fait du marquage.

De même, le souci de la protection du cadre de vie se manifeste dans la distance minimale obligatoire de 80 mètres entre chacune des publicités apposées au sol, ou la limitation de la surface de chaque publicité à 2,50 m², conditions dont on peut imaginer qu’elles visent à limiter la pollution visuelle. Il peut également être relevé que la publicité demeure interdite sur les trottoirs des zones visées à l’article L. 581-8 du code de l’environnement, c’est-à-dire notamment aux abords des monuments historiques, dans le périmètre des sites patrimoniaux remarquables, dans les parcs naturels régionaux ou encore dans les sites inscrits.

Le dispositif tient compte en outre des préoccupations environnementales, puisque le marquage doit être réalisé soit grâce à la combinaison d’une projection d’eau et d’un pochoir (système dit du clean-tag, qui consiste ainsi à faire apparaître un marquage en nettoyant les zones concernées du trottoir), soit grâce à de la peinture biodégradable à base aqueuse ou à base de craie.

Enfin, l’enjeu de promotion commerciale peut se percevoir dans le contenu de l’évaluation prévue à l’article 4 du décret, qui doit comporter des indications sur le nombre et la typologie des commanditaires, ainsi que « l’impact financier pour les agglomérations concernées », le décret ne précisant pas si l’on doit examiner l’impact lié à la perception de redevances d’occupation du domaine public, ou d’augmentation de la fréquentation commerciale des lieux concernés par les marquages.

 

Quelles modalités de mise en œuvre ?

  • Quel type d’autorisation ?

La mise en œuvre du dispositif expérimental devra donner lieu - le marquage étant réalisé sur le trottoir, appartenant au domaine public - à une autorisation d’occupation du domaine public. Rappelons qu’en vertu de l’article L. 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques (CG3P), toute occupation d’une dépendance du domaine public doit donner lieu à une autorisation d’occupation, consentie unilatéralement ou par la voie conventionnelle.

L’article L. 113-2 du code de la voirie routière précise que lorsque l'occupation du domaine public concerne le domaine public routier - auquel appartiennent en principe les trottoirs en tant que dépendance nécessaire de la voie publique -, l’autorisation concernée est soit une permission de voirie dans le cas où elle donne lieu à emprise, soit un permis de stationnement dans les autres cas.

Une emprise existe lorsque l’occupation modifie « l'assiette du domaine à occuper ». Les juridictions administratives ont pu ainsi considérer que ne donnait pas lieu à emprise, et nécessitait donc un permis de stationnement, l’occupation du domaine public routier par un camion pizza deux fois par semaine, ou par un cantonnement de chantier (alors même qu’il comportait le coulage d’une dalle de béton, mais au motif que celle-ci était isolée de « la chaussée pavée par une feuille de polyane »).

A l’inverse, en cas d’emprise au sol, une permission de voirie est nécessaire, comme dans l’hypothèse de palissades de chantier ancrées au sol, ou de la réalisation d’un emmarchement permettant l’accès à des places de parking privatives.

C’est donc l’incorporation au sol qui délimite le champ respectif de la permission de voirie et du permis de stationnement.

Dans le cas d’une autorisation consentie à des fins publicitaires par l’apposition de marquage sur le trottoir, l’application des critères dégagés par la jurisprudence pourrait susciter quelques interrogations, puisque le marquage fait bien « corps » avec le trottoir, qui en est le support.

La frontière pourrait finalement résider dans l’obligation, posée par le pouvoir réglementaire, de remise en état de l’emplacement, à l’issue de l’occupation, dans « son état antérieur », combinée à l’obligation faite d’utiliser de l’eau ou des peintures biodégradables, qui doivent préserver l’« adhérence » du trottoir. En encadrant les techniques de marquage et en imposant la remise du support « dans son état antérieur », le pouvoir réglementaire s’est assuré de la préservation de l’assiette du domaine occupé.

C’est donc un permis de stationnement qui sera requis, ce qui est implicitement confirmé par l’article 3 du décret, faisant référence au permis de stationnement.

 

  • Quelle autorité compétente pour délivrer le permis de stationnement ?

La détermination du type d’autorisation nécessaire (permis de stationnement ou permission de voirie) n’est pas neutre, puisque l’autorité compétente pour délivrer chacune de ces autorisations est différente :

  • les permissions de voirie sont délivrées par l’autorité compétente en matière de gestion de la voirie. Ainsi que le rappelle un auteur, « la permission de voirie met en œuvre des pouvoirs de gestion domaniale »[5], puisqu’elle modifie l’assiette du domaine occupé, et nécessite donc l’accord du propriétaire (ou du gestionnaire). La compétence concernée est fréquemment exercée par les intercommunalités : elle fait ainsi partie des compétences obligatoires des  communautés de communes (article L. 5214-16 du CGCT), des communautés urbaines (article L. 5215-20 du CGCT) et des métropoles (article L. 5217-2 du CGCT) ;
  • le permis de stationnement est délivré par l’autorité chargée de la police de la circulation, au titre de son pouvoir de police, « la conservation du domaine public n’étant pas mise en cause »[6].

Le décret pose la question de l’autorité compétente pour délivrer le permis de stationnement qui permettra l’apposition du marquage publicitaire sur le trottoir. En effet, il résulte des dispositions combinées des articles L. 2213-1 et L. 2213-6 du code général des collectivités territoriales (CGCT), que le maire, en sa qualité d’autorité compétente en matière de police de la circulation sur les voies de communication situées à l'intérieur des agglomérations, est, en principe compétent pour délivrer des permis de stationnement sur ces mêmes voies.

Dans le cas de la Métropole de Lyon – qui demeure seule concernée, à ce jour, par l’expérimentation -, il convient de tenir compte des dispositions spécifiques qui lui sont applicables.

L’article L. 3642-2 du CGCT distingue selon les compétences concernées :

  • le pouvoir de police de la circulation est exercé par le président du conseil de la Métropole « sur l’ensemble des voies de communication à l’intérieur des agglomérations » (sous réserve du pouvoir du préfet du département sur les routes à grande circulation) ;
  • toutefois, les maires demeurent compétents pour exercer « les prérogatives relatives à la police du stationnement » sous réserve que tout projet d’acte réglementaire en matière de stationnement soit transmis pour avis au président du conseil de la métropole.

Ce sont ainsi les maires des communes situées sur le territoire de la Métropole qui demeureraient compétents pour délivrer le permis d’apposer des marquages publicitaires sur les trottoirs, sous réserve de recueillir l’avis du président du conseil de la métropole sur leurs projets d’acte.

Cet enchevêtrement devrait obliger les échelons concernés à se coordonner au titre de leurs compétences respectives, puisque le nettoyage de la voirie[7] (compétence exercée par la Métropole) devra s’effectuer de manière à assurer au titulaire du permis de stationnement une jouissance paisible de l’autorisation consentie (par la commune), et donc éviter de nettoyer le trottoir, et risquer d’effacer le marquage (biodégradable), à peine apposé…

Enfin, ce permis de stationnement devra nécessairement comporter une contrepartie financière, par application des règles générales relatives à l’occupation du domaine public.

 

  • Quelles modalités d’octroi ?

Compte tenu de l’intervention de l’ordonnance n° 2017-562 du 19 avril 2017 relative à la propriété des personnes publiques, se pose la question de l’éventuelle mise en concurrence des autorisations de marquage des trottoirs.

Il ressort, en effet désormais du premier alinéa de l’article L. 2122-1-1 du code général de la propriété des personnes publiques qu’en principe, dès lors que le titre d’occupation du domaine public permet à son titulaire d’utiliser le domaine public en vue d’une exploitation économique, ce qui sera le cas du marquage publicitaire, une procédure de sélection préalable doit être organisée, présentant toutes les garanties d'impartialité et de transparence, et comportant des mesures de publicité permettant aux candidats potentiels de se manifester.

Toutefois, il nous semble que dès lors que le marquage publicitaire ne peut être autorisé que pour une durée maximale de 10 jours, vraisemblablement qualifiable de « courte durée », l’exception prévue au second alinéa de cette disposition pourrait s’appliquer.

Dans cette hypothèse, les maires ne seraient tenus qu’ « à une publicité préalable à la délivrance du titre, de nature à permettre la manifestation d'un intérêt pertinent et à informer les candidats potentiels sur les conditions générales d'attribution ».

Ses modalités n’étant pas précisées à ce jour, le support adéquat restera à identifier, qui permettrait « la manifestation d’un intérêt pertinent » de la part des « candidats potentiels », dans le domaine du marquage publicitaire des trottoirs.

Le pouvoir réglementaire laisse ici libre cours à la créativité des autorités compétentes, en leur laissant le libre choix de la publicité qu’elles mettront elles-mêmes en œuvre avant de l’autoriser sur leurs trottoirs.

Il restera à évaluer l’expérimentation, notamment à l’aune du rapport final d’évaluation, qui permettra à la fois de vérifier si un tel dispositif a pu avoir une incidence négative sur la sécurité routière (éventuel lien entre des accidents ou des chutes sur le trottoir et les marquages au sol) mais également de mesurer un éventuel impact sur la redynamisation des centres villes et sur la valorisation du domaine public de l’agglomération lyonnaise (nombre de commerçants, artisans, exploitants de sites culturels et d’annonceurs ayant mené une action de communication et impact financier pour l’agglomération, notamment en termes de retombées financières).

 

Crédit photo: CB NEWS


[1] Compte-rendu intégral, p.2662.

[2] G. Heidsieck, JCP G n°13, 25 mars 1987, II 20762

[3] AJDI 2000, p. 403, P. Strebler, « Affichage publicitaire : il faut abroger le décret du 11 février 1976 ! ».

[4] JCP G n°13, 25 mars 1987, II 20762, Cass. crim., 18 mars 1986.

[5] « L’usage du domaine public à des fins publicitaires », J.-P. Strebler, AJDI 1996.462.

[6] « L’usage du domaine public à des fins publicitaires », J.-P. Strebler, AJDI 1996.462.

[7] « Considérant que la collectivité gestionnaire des voies publiques est tenue, par un nettoyage régulier, d'assurer la propreté qu'exige notamment la sécurité des piétons », lesdites voies publiques incluant les trottoirs (CAA Marseille, 11 janv. 2010, req. n°07MA03276).