La question de la computation des délais, qui est au cœur de l'arrêt du 12 décembre 2018 auquel la Cour de cassation a donné une large portée (FS-P+B+I), démontre qu’une telle stratégie n’est pas toujours promise au succès. Le code de procédure civile réglemente avec soin la computation des délais. Il prévoit des règles de calcul très précises, tant s’agissant du dies a quo (point de départ) que du dies ad quem (point d’échéance) des délais. La question est de savoir si les modes de calcul ainsi prévus ont vocation à s’appliquer au calcul de tous les délais, notamment aux délais de prescription.

Au cas d’espèce, une société avait confié à un agent immobilier un mandat de recherche de tous types d’immeuble, en vue d’un achat. Par acte sous seing privé, une promesse de vente a été conclue. Elle prévoyait le règlement, par l’acquéreur, d’une commission au profit de l’agent immobilier. La société ayant réitéré la vente par acte authentique, un arrêt du 22 mars 2012 l’a condamnée à payer une certaine somme au titre de la clause pénale. Le 19 juin 2013, l’agent immobilier a assigné la société en paiement de la commission convenue et de dommages-intérêts.

Une fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action a été soulevée par le défendeur mais les juges du fond l’ont rejetée. Ces derniers ont estimé qu’en application de l’article 26, II, de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, le délai quinquennal a commencé à courir à compter du jour de l’entrée en vigueur de la loi, soit le 19 juin 2008.

Selon eux, aux termes des articles 641 et 642 du code de procédure civile, lorsqu’un délai est exprimé en mois ou en années, ce délai expire le jour du dernier mois ou de la dernière année qui porte le même quantième que le jour de l’acte, de l’événement, de la décision ou de la notification qui fait courir le délai, et que tout délai expire le dernier jour à 24 heures, pour en déduire que le délai de prescription applicable en l’espèce expirait le 19 juin 2013 à 24 heures

L’arrêt est cassé au visa des articles 1er, 2222, alinéa 2, 2228 et 2229 du code civil. Pour la Haute juridiction, la prescription est acquise lorsque le dernier jour du terme est accompli. Les règles de computation des délais de procédure énoncées aux articles 641 et 642 du code de procédure civile, prévoyant que le délai expire à la fin du jour portant le même quantième que celui du point de départ, sont sans application en matière de prescription.

C’est une solution très pratique que livre ici la Cour de cassation, ce qui explique qu’elle l’ait diffusé largement en la publiant notamment sur son site internet. La solution n’est pourtant pas inédite, bien au contraire (V. déjà dans le même sens : Com., 10 janv. 2006, F+B+R+I, n° 04-10.482, D. 2006. 301 , obs. A. Lienhard ; ibid. 2250, obs. F.-X. Lucas et P.-M. Le Corre ). La Cour estime que le plaideur ne peut transposer les règles de computation prévues par le code de procédure civile au calcul des délais de prescription. Selon la formule utilisée, « les règles de computation des délais de prescription doivent être distinguées de celles régissant les délais de procédure » (Civ. 2e, 7 avr. 2016, n° 15-12.960 P, Dalloz actualité, 22 avr. 2016, obs. N. Kilgus ). Ils s’en distinguent car leurs champs d’application ne sont pas les mêmes. Cela ne va pourtant pas de soi. Lorsqu’il évoque les règles de computation, le code de procédure civile le fait dans un chapitre spécifique relatif à « la computation des délais », sans autre forme de précision. La généralité des termes de cet intitulé ne doit pourtant pas conduire à en extrapoler la portée : ce sont bien les délais de procédure qui sont visés et non tous les délais. La Cour de cassation s’emploie à en faire respecter la spécificité, notamment en s’opposant à ce qui soient transposés aux délais de prescription.

La précision de ce champ d’application est essentielle. Les règles de calcul varient selon le type de délai envisagé, notamment en ce qui concerne l’échéance du délai. Sur ce point, l’article 641 du code de procédure civile prévoit que lorsqu’un délai est exprimé en mois ou en années, ce délai expire le jour du dernier mois ou de la dernière année qui porte le même quantième que le jour de l’acte, de l’événement, de la décision ou de la notification qui fait courir le délai. L’article 642 du même code ajoute que tout délai expire le dernier jour à 24 heures. Le second alinéa de ce texte précise que le délai qui expirerait normalement un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé est prorogé jusqu’au premier jour ouvrable suivant. Il résulte de cet article 642 que le jour d’échéance – le dies ad quem – est compris dans le délai. Les délais de procédure sont des délais non francs, ce qui induit que la formalité ou l’acte doivent être accomplis le dernier jour du délai et non le premier jour suivant.

En matière de prescription, les règles de calcul sont différentes. L’article 2228 du code civil dispose que la prescription se compte par jours, et non par heures. Il est complété par l’article 2229 qui souligne quant à lui qu’elle est acquise lorsque le dernier jour du terme est accompli. C’est au regard de la combinaison de ces règles que les délais de prescription doivent être décomptés, la Haute juridiction refusant classiquement de faire application des règles du code de procédure. C’est par exemple en ce sens qu’elle s’est prononcée en considérant que le délai de prescription de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 relatif à la diffamation se décomptant de quantième à quantième, de sorte que les dispositions de l’article 642 sont sans application (Civ. 2e, 5 févr. 2004, no 02-14.218 P, Gaz. Pal. 13-15 mars 2005, p. 19, obs. du Rusquec). Dans le même ordre d’idée, elle refuse de faire application de la règle de prorogation des délais expirant un jour non ouvrable aux délais de prescription (Com. 10 janv. 2006, n° 04-10.482, préc. ; Act. proc. coll. 2006, n° 31, obs. Le Bars ; JCP E 2006. 1569, n° 15, obs. Pétel ; Civ. 2e, 7 avr. 2016, n° 15-12.960, préc.).

La question présentait un intérêt majeur en l’occurrence. Le dies a quo de ce délai de prescription (5 ans) était fixé au 19 juin 2008. À partir de là, deux cas de figure étaient envisageables :

en faisant application des articles 641 et 642 du code de procédure civile, le délai de prescription devait expirer le jour portant le même quantième que le dies a quo, à vingt-quatre heures ;
en faisant application articles 2228 et 2229 du civil, la prescription était acquise le dernier jour du terme accompli.
C’est en faveur de la deuxième branche que se prononce la Haute juridiction. Techniquement, l’article 641 précité n’étant pas applicable, il n’y avait pas lieu de considérer que le délai devait expirer à la fin du jour portant le même quantième que celui du point de départ (19 juin 2008 – 19 juin 2013, jour de l’assignation). Partant, le dernier jour du terme accompli était le 18 juin 2013 à 24h (ce qui est techniquement plus précis que le 19 juin 2013 à 0h). La volonté du demandeur de bénéficier des dispositions du code de procédure civile se comprend car cela lui aurait permis d’agir dans les temps. Il n’était pourtant pas question de déroger à l’inapplication de ces règles pour sauver un plaideur ayant agi un jour trop tard… Dura lex Sed lex.

Au-delà de l’intérêt pratique majeur qu’il présente, que retenir de cet arrêt ? A l’analyse, c’est toute la spécificité des délais de procédure que souligne la Cour de cassation. Elle suggère, par le rappel auquel elle procède, que ces délais sont soumis à un régime juridique particulier, ce qui nécessite de les distinguer des autres, en particulier des délais de prescription. Ces derniers ont une nature propre : ce sont des délais pour agir qui ne peuvent être assimilés aux autres. Le temps de l’instance est lui-même singulier et obéit à une logique propre, celle qui consiste à assurer la bonne marche du procès. Pour ce faire, le code de procédure civile soumet les plaideurs à des délais pour accomplir des actes de procédure. Le droit tente ainsi de parvenir à l’équilibre entre d’un côté la nécessaire célérité de l’instance, condition du respect du fondamental « délai raisonnable », et, de l’autre, l’excès de rapidité qui pourrait nuire à l’efficacité de la procédure et, par voie de conséquence, du jugement à intervenir. Ni excès de lenteur, ni excès de vitesse. En bref, « le temps de l’action en justice n’est pas celui de l’instance » (N. Cayrol, Procédure civile, Dalloz, coll. « Cours », 2017, n° 735, p. 358). Il est de ce point de vue parfaitement logique que les règles de computation prévues par le code de procédure civile, qui ne sont que des modalités d’application des délais de procédure, soient réservées au calcul de ces derniers. C’est la preuve de l’autonomie du droit du procès civil que de prévoir des règles qui lui sont propres.