Aux termes d’un avis en date du 1er décembre 2021 (Cass. Com. Avis, 1er déc. 2021, n° 20-15.164), la Chambre commerciale de la Cour de cassation s’est, pour la première fois, prononcée sur la question de la qualité et des droits d’un usufruitier de parts sociales au sein d’une SCI : il n’a pas la qualité d’associé, ne peut se voir reconnaître cette qualité, mais dispose néanmoins des prérogatives attachées à celle-ci.

Pour fondement juridique, la Cour de cassation rappelle la définition de l’usufruit, posé par l’article 578 du Code civil, aux termes duquel :

« L’usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance »

 

La Chambre commerciale de la Cour de cassation (spécialisée en la matière), avait été consultée par la Troisième chambre de cette même cour, avant de statuer sur le pourvoi formé contre l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Bordeaux le 11 février 2020 (CA Bordeaux 11 février 2020 n° 19/03127).

Aux termes de cet arrêt, les juges de la Cour d’appel de Bordeaux avaient refusé aux deux usufruitiers détenant plus de 80 % des parts sociales d’une SCI, le droit de provoquer une délibération tendant à révoquer sa gérante et désigner ses successeurs, aux motifs que ces derniers « ont la seule qualité d’usufruitiers titulaires d’un droit de vote et non la qualité d’associés ».

Il serait utile de rappeler ici, tel que le fait également la Cour de cassation, que le décret n° 78-704 du 3 juillet 1978, ouvre le droit à un associé non gérant d'une société civile, de demander au gérant de provoquer une délibération des associés sur une question déterminée et ce, par LRAR et à tout moment.

Étant précisé que si le gérant s'oppose à la demande ou garde le silence, l'associé demandeur peut, à l'expiration du délai d'un mois à compter de sa demande, solliciter du président du Tribunal de grande instance (désormais, le Président du Tribunal Judiciaire), statuant en la forme des référés (désormais, selon la procédure accélérée au fond), la désignation d'un mandataire chargé de provoquer la délibération des associés.

 

Toutefois, tout en refusant à l’usufruitier la qualité d’associé, dans un second temps, la Cour de cassation semble tempérer les conséquences qui en découlent.

En effet, cette dernière indique que l’usufruitier peut provoquer une délibération des associés sur une question susceptible d'avoir une incidence directe sur son droit de jouissance.

 

Aller plus loin :

Les conséquences de l’affirmation selon laquelle l’usufruitier n’est pas associé et ne peut se voir reconnaître cette qualité, sont nombreuses. A titre d’exemple, l’usufruitier ne pourra :

  • jouir de droits et actions (notamment en justice), qui sont directement rattachés à la qualité d’associé,
  • être comptabilisé dans le nombre d’associés pour connaître la forme juridique de la société ou pour savoir si elle est dotée d’un nombre nécessaire d’associés à sa constitution,
  • être tenu des dettes sociales.

 

Néanmoins, en tempérant son avis, la Cour de cassation ouvre à l’usufruitier - sous la condition de l’incidence directe sur son droit de jouissance des parts sociales - le droit d’user des prérogatives que la loi réserve aux seuls associés.

Toutefois, il n’est pas aisé de définir ce qui peut ou non, avoir une incidence directe sur le droit de jouissance de l’usufruitier de ses parts ou actions.

En cela, il semblerait que l’avis de la Cour de cassation, pose plus de questions qu’il n’en règle et ouvre ainsi la porte à l’insécurité juridique qui pourrait en découler.

Ce d’autant plus que, la limite de l’exercice par l’usufruitier de son droit sur les parts et actions sociales, est expressément prévue par l’article 578 du Code civil, lequel dispose que l’usufruitier peut se comporter comme le nu-propriétaire, c’est-à-dire, l’associé lui-même, dès lorsqu’il en conserve la substance.

Il ressort de ce texte que, les seules limites dont le droit de jouissance de l’usufruitier sur les parts ou actions sociales devrait souffrir, tiennent à l’aliénation de la société (ex : sa dissolution).

 

Samedi, 12 février 2022