Assemblée nationale
XVe législature
Session ordinaire de 2019-2020
Compte rendu
intégral (extrait)
Première séance du mardi 25 février 2020
Présidence de M. Richard Ferrand
La parole est à M. Fabrice Brun, pour soutenir l’amendement no 11686.
En revanche, l’article 2 nous fournit le sujet d’un autre débat, qui ne fait que commencer, sur la situation des avocats pour lesquels l’universalité proposée est un leurre. Pourquoi tenons-nous tellement à porter ici la voix des avocats ? Nous voulons témoigner du fait que cette profession est fragilisée par la refonte des tribunaux d’instance, par la réforme de l’aide juridictionnelle et par la numérisation – et même l’uberisation – de la justice.
Il faut mesurer aussi les grandes disparités qui existent dans cette profession. À cet égard, j’aimerais vous entendre dire avec nous que les avocats ne sont pas des nantis. Pour éclairer nos débats, je vais prendre l’exemple de mon département, l’Ardèche, qui compte 330 000 habitants et est donc représentatif de cette belle France des territoires. En Ardèche, les deux tiers des avocats ont des revenus annuels inférieurs à 35 000 euros et, pour la plupart, ils tirent la moitié de leur activité de l’aide juridictionnelle. Rappelons que cette activité est rémunérée à hauteur de 256 euros par dossier.
Nous avons déjà dénoncé le hold-up que vous organisez sur cette caisse autonome qui ne coûte pas un sou au contribuable et qui alimente déjà la solidarité nationale à hauteur de 80 millions d’euros par an. Pour ma part, je voudrais ajouter que, dans ce contexte de fragilité, il est suicidaire d’augmenter leurs cotisations. Ce n’est pas votre abattement sur la contribution sociale généralisée – CSG – qui réglera le problème : cette disposition est insuffisante mais aussi nulle et non avenue puisqu’elle est inconstitutionnelle.
Une fois de plus, dans cet hémicycle, nous vous alertons solennellement sur le risque de voir disparaître les avocats de proximité, avec tout ce que cela comporte comme menaces pour les greffes et les emplois induits. Après les déserts médicaux, se profilent les déserts judiciaires.
En ce qui concerne les avocats, vous avez fait un très bon diagnostic de la situation, comme ce fut le cas, hier, pour les agriculteurs. Les avocats sont plus nombreux et certains d’entre eux rencontrent des difficultés, notamment parce que leur activité dépend beaucoup de l’aide juridictionnelle et de dossiers liés au droit de la famille qui sont parfois mal rémunérés. Si certains avocats ont des situations confortables, beaucoup d’entre eux ont des difficultés.
Nous devons répondre aux difficultés de ces avocats comme nous devons le faire pour les agriculteurs ou les pêcheurs : la retraite n’est que le reflet de la vie professionnelle ; la pension est faible quand les revenus l’ont été.
Quant à vous, monsieur Quatennens, il va falloir renouveler vos arguments. Pour résumer, vos interventions portent tantôt sur la contestation de l’existence de quarante-deux régimes – hier, à un moment où vous étiez absent, j’ai indiqué que ces quarante-deux régimes étaient parfaitement définis à la page 194 du rapport –,…
Notre projet propose une large universalité. Le vôtre consiste à la limiter à un PASS, en laissant vivre des cas spécifiques par statut et par métier.
Mon avis est donc défavorable, mais je voulais prendre le temps de renouer le dialogue en dépit de la controverse.
Du reste, pourquoi répète-t-il ses arguments ? Parce que l’une de nos collègues, Mme Fabre, a dit qu’elle ne nous comprenait pas. Si vous ne nous comprenez pas, on vous explique.
Il est donc parfaitement naturel de parler du régime de retraite des marins qui, cela a été rappelé, a quatre siècle, même s’il a évidemment changé depuis sa création. Il faut dire que la marine faisait l’objet d’un soin méticuleux. Figurez-vous que le roi Louis XIV alla jusqu’à faire planter, dans la forêt de la Joux, des sapins dont certains s’y trouvent toujours.
Ma surprise vient plutôt de vous, mes chers collègues qui siégez sur les bancs de droite, dont j’attendrais éventuellement une clarification. Dans vos programmes successifs, vous vous êtes prononcés contre les régimes spéciaux. De même, au cours des débats – M. Woerth, par exemple, l’a dit hier à propos de la pénibilité – vous avez réclamé un socle d’universalité. Êtes-vous, oui ou non, pour la fin des régimes spéciaux ? Dites-le nous pour que nous puissions enfin comprendre votre position, au lieu de nous balader en disant une fois oui, une fois non. (Applaudissements sur les quelques bancs du groupe LaREM.)
Pour notre part, nous sommes cohérents depuis le début. Nous sommes favorables au régime universel. Pourquoi ? En regroupant tous les Français et en mettant plus d’argent, nous créons un régime beaucoup plus robuste, pérenne et capable de résister aux fluctuations démographiques de tel ou tel métier.
Pour notre part, nous souhaitons un socle commun de droits – nous avons retenu un seuil de prélèvement de un PASS – et des régimes autonomes pour tenir compte des particularités de certaines professions.
En réalité, c’est la CSG et la ponction sur la caisse des avocats qui paieront le régime de transition pour les avocats. Il s’agit, en quelque sorte, d’un droit d’adhésion au régime universel !
Vous ne cessez de répéter, enfin, que des travaux sont en cours sur le projet de loi. Il ne devrait y avoir, selon moi, qu’un seul lieu possible pour ces travaux : l’Assemblée nationale ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
J’entends les avocats, notamment ceux de ma circonscription, dire que 40 % des cabinets vont fermer, mais ce n’est pas sérieux !
Vous le voyez, chers collègues, il plus difficile d’agir que de critiquer ! Vous avez eu cinq ans pour réformer les régimes spéciaux, le président Sarkozy vous l’avait demandé, mais vous ne l’avez pas fait. (Vives protestations sur les bancs du groupe LR.)
Certaines professions ont légitimement acquis des droits : ce sont les fameux régimes spéciaux. Grâce à cela, elles bénéficient de pensions convenables et même meilleures que d’autres salariés. Néanmoins, et nous vous le répéterons tant qu’il faudra, l’objectif de nos différentes propositions est de tirer vers le haut les pensions de retraite et non, sous couvert de présenter le nouveau système comme universel, de tirer vers le bas les régimes spéciaux ! Or – revenons, ici aussi, aux fondamentaux – des recettes sont disponibles pour améliorer les droits à la retraite d’autres professions.
Je pense notamment aux salariés d’une filière en forte croissance, celle du traitement des déchets – nous avons tous en mémoire la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire récemment adoptée. Le caractère pénible des conditions de travail de ces salariés sur le terrain doivent, selon nous, être reconnu afin qu’ils bénéficient de pensions bien supérieures à celles que vous promettez. Il en va de même de la filière de l’hôtellerie et de la restauration,…
Je saisis l’occasion pour vous interroger de nouveau sur les différences qui existeront entre deux personnes qui auront eu une carrière similaire mais qui seront nées pour l’une en 1974 et pour l’autre en 1976. Pouvez-vous me confirmer, toutes choses égales par ailleurs, que leur âge de départ à la retraite et leur niveau de pension seront différents, et qu’il en sera de même pour deux personnes à la carrière similaire et nées pour l’une en 2003 et pour l’autre en 2005 ?
La différence qui existera entre une personne née en 1974 et une personne née en 1976 sera la même qu’entre une personne née en 1972 et une personne née en 1973. Dans les deux cas, l’une bénéficiera d’un trimestre supplémentaire, conformément à la loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites, dite loi Touraine. Dans les deux cas, il s’agit d’une période de transition.
Pour une personne née en 1976, un an de la carrière sera pris en compte par le système universel de retraite : un sur quarante-trois ans. C’est donc de manière très progressive que nous allons passer d’un système à l’autre. Nous prenons le temps de la transition entre les deux différents systèmes.
Il est normal qu’une personne proche de la retraite – moins de dix-sept ans –, qui a formé son projet de retraite dans des conditions différentes d’aujourd’hui, ne soit pas concernée par le nouveau système. Pour ceux qui en sont un peu plus éloignés, les conséquences du nouveau système seront très progressives.
Avis défavorable.
Monsieur le secrétaire d’État, je ne vous comprends pas très bien. Vous affirmez qu’il n’est aucunement question d’utiliser les réserves des avocats dans le cadre de la réforme, mais l’amendement no 42467 du Gouvernement après l’article 2 – je vous fais grâce du dispositif, je me bornerai à vous lire le début de l’exposé sommaire – « vise à confier à la CNBF la gestion d’un dispositif de solidarité permettant de prendre en charge tout ou partie de la hausse de cotisations pour les avocats, libéraux et salariés, dont le revenu est inférieur à trois PASS. »
Par le biais de cet amendement, vous dites clairement aux avocats qu’ils doivent utiliser les réserves de leur caisse autonome pour financer la transition entre des cotisations de 14 % et des cotisations de 28 % !
Assumez, monsieur le secrétaire d’État ! Assumez de vouloir prendre les milliards que les avocats ont mis de côté pour financer votre réforme pourrie ! (Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.)
Vous voulez prendre ces milliards non pas pour qu’ils aient une meilleure retraite ou qu’ils puissent préserver leurs petits cabinets, non ! Vous voulez les prendre pour financer votre réforme pourrie ! (Mêmes mouvements.)
Vous n’avez pas ce courage-là, mesdames et messieurs de la majorité. En revanche, vous avez eu le culot d’imaginer une période de transition de quarante années – quarante années, c’est à peine croyable !
J’aimerais également rappeler aux élus de la majorité que la caisse de retraite des avocats et celle des professions libérales sont des caisses autonomes. Il ne s’agit donc pas, comme vous voulez le faire penser, de régimes spéciaux.
Les régimes spéciaux coûtent généralement à la solidarité nationale. Or la caisse des avocats est non seulement excédentaire de 2 milliards d’euros,…
Que faites-vous, pour finir, de la protection sociale des avocats et, en particulier, de l’assurance maladie ? Vous ne nous avez toujours pas répondu sur le devenir de la caisse autonome des avocats en matière de protection sociale. Nous aimerions pouvoir avoir enfin une réponse sur le sujet. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
Pour les marins et pour bien d’autres professions, le nouveau système de retraite ne sera pas universel, mais inéquitable ! Le leitmotiv « chaque euro cotisé donnera les mêmes droits » est faux. Pourquoi ? Tout simplement parce que l’espérance de vie n’est pas la même selon les catégories socioprofessionnelles.
Votre système serait juste si chacun d’entre nous disparaissait lorsqu’il atteint l’âge moyen d’espérance de vie. Ce n’est malheureusement pas le cas. Ceux qui vivent plus longtemps se font donc payer leur retraite en partie par ceux qui vivent moins longtemps. Ce n’est pas une loterie ; nous savons que certaines catégories – les ouvriers, les métiers de nuit – vivront en moyenne moins longtemps.
Sur le plan théorique, votre système est donc totalement inéquitable, d’autant que ces Français usés par un travail difficile subiront une décote s’ils partent à la retraite avant l’âge d’équilibre. C’est inacceptable !
En réalité, votre système prolonge les inégalités de la vie. C’est pourquoi nous devons parler de la pénibilité. Ce ne serait que justice que ces Français partent plus tôt à la retraite, et sans décote ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI.)
Prenons l’exemple d’un chauffeur de bus travaillant à Paris…
Par contre, avec notre réforme, le chauffeur de bus né en 2008, qu’il travaille à Tourcoing ou à Paris, bénéficiera de la même pension et partira à la retraite au même âge. (Exclamations sur les bancs des groupes FI et GDR.)
Je ne sais pas ce que cela donnerait, mais cela nous empêcherait de sortir de l’hémicycle pour entendre les questions que se posent les gens. Nous ne pourrions pas rencontrer les jeunes qui se demandent combien ils percevront de pension et à quel âge – je pense ainsi au jeune avocat qui vient de commencer son activité : comment va-t-il pouvoir payer ses cotisations qui vont être doublées ?
Pour les marins, c’est exactement la même chose : aucun d’entre eux n’est certain aujourd’hui que la valeur de son point sera financièrement garantie au moment de la liquidation. Leur régime de retraite trouve son origine à Fort-Mardyck, à Dunkerque dont mon ami Paul Christophe et moi-même sommes les députés, et il est extrêmement solidaire. Mais qu’est-ce qui garantit dans ce projet de loi qu’il le sera encore ? Rien !
Je vous demande de sortir de votre confinement, de renoncer à ce système universel qui ne l’est pas, de mettre fin à ces incertitudes permanentes et au risque que vous faites courir à la justice parce que les avocats qui défendent les causes les plus difficiles ne sont pas forcément ceux qui défendent les violeurs les plus abominables, ce sont aussi ceux qui aident les gens impécunieux lorsqu’ils sont parties civiles. C’est 40 % de cabinets d’avocats que vous risquez de mettre en grande difficulté.
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