Paris, le 23 avril 2013
Syndicat de la Magistrature
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Monsieur le président,
Lors de la dernière campagne présidentielle, le Syndicat de la magistrature
présentait 200 propositions pour une révolution judiciaire et appelait à
refonder la justice au service de la démocratie.
Il ne s'agissait pas seulement de réparer les dégâts causés pendant dix
années par ceux qui ont pratiqué la concentration plutôt que la séparation
des pouvoirs, qui ont cassé le service public de la justice à coup d'idéologie
gestionnaire et qui ont fait reculer les droits et libertés.
Il était et il est toujours question de permettre une justice pleine et entière,
c'est à dire réellement indépendante, égalitaire et protectrice des libertés.
Alors candidat, vous sembliez prendre la mesure de l'état catastrophique de
l'institution judiciaire ainsi que de ses besoins, et vous vous engagiez
notamment à « asseoir l'indépendance de la magistrature et garantir une
justice impartiale » ; « faire voter une loi de programme sur deux législatures
pour mettre la justice française au niveau des justices des grands pays
européens » ; « abroger la loi sur les peines planchers ; revenir sur la rétention
de sûreté ; repenser notre système pénitentiaire et ne plus considérer la
prison comme la seule peine possible » ; « supprimer le tribunal correctionnel
pour mineurs » ...
Élu, vous nommiez une garde des Sceaux qui marquait ses premières
interventions sur les mineurs et les prisons d'un humanisme attendu depuis
longtemps place Vendôme, et qui se montrait soucieuse d'améliorer enfin le
dialogue social au sein du ministère.
Autre changement notable, la justice ne se rend plus sous la double pression
de l'intervention de l'exécutif dans les affaires en cours et de
l'instrumentalisation des faits divers dramatiques. Il a d'ailleurs suffi d'une
mise en examen, celle de votre prédécesseur, pour à nouveau subir l'outrance
de ceux qui ne peuvent tolérer l'idée même d'une justice indépendante et
égale pour tous.
Mais à part cela, quoi d'autre ? Rien, ou si peu au regard des enjeux.
Monsieur le président, l'heure n'est plus aux symboles, aux arbitrages a
minima et au report des réformes.
Au moment où la justice retrouve les feux de l'actualité au rythme des
affaires, il serait désastreux que vous calibriez les réponses au gré de cellesci.
Nous demandions de la volonté politique, du courage, de l'audace, il faut
maintenant des actes !
Vous ne pouvez plus faire l'économie de réformes ambitieuses : garantir
l'indépendance de l'institution judiciaire, notamment en étendant les pouvoirs
du Conseil supérieur de la magistrature ainsi qu'en renforçant le statut des
magistrats du siège et du parquet, la doter des moyens d'exercer ses
missions et en premier lieu lui permettre d'être la gardienne efficace des
libertés.
I. Sauver le service public de la justice
La situation, Monsieur le président, est toujours particulièrement alarmante.
1) Une situation budgétaire inquiétante et des effectifs insuffisants
Indiscutablement, la garde des Sceaux a trouvé à son arrivée place Vendôme
une situation catastrophique que nous dénoncions depuis de nombreuses
années : réduction des effectifs dans le cadre d'une refonte absurde de la carte
judiciaire, asphyxie des juridictions par l'absence de crédits suffisants de
fonctionnement, engloutissement des moyens humains et financiers dans la
priorité donnée à la machine pénale.
Ce constat, vous le partagiez avec nous, Monsieur le président, rappelant vousmême
que « les moyens alloués aux juridictions françaises sont parmi les plus
faibles de tous les pays européens ». Vous nous aviez alors précisé que « le
devoir de la gauche sera donc de doter progressivement l'institution des
moyens nécessaires au fonctionnement de la justice civile, pénale, commerciale
et prud'homale, après une discussion avec les professionnels sur les priorités à
retenir. Nous devrons faire voter une loi de programmation sur deux législatures
pour mettre la justice française au niveau des justices des grands pays
européens ».
Alors certes, dans un contexte budgétaire difficile, le budget de la justice a
augmenté de 4,3% en 2013, le ministère de la justice ayant été déclaré
« ministère prioritaire », ce qui a permis la localisation de 142 emplois de
magistrats et de 87 postes de fonctionnaires supplémentaires en 2013.
Mais ces emplois de magistrats, compte tenu de la prévision de 165 postes
vacants au 1er septembre 2013 (selon le projet de circulaire de localisation des
emplois) et des délais de formation des magistrats recrutés, ne pourront pas
être pourvus dans l'année ; ladite circulaire indique que certains de ces postes
ne le seront qu'en 2016, ce dont on peut même douter compte tenu du nombre
prévisible de départs en retraite (250 à 300 par an selon les chiffres du
ministère) qui ne sont pas compensés par les recrutements opérés ...
S'agissant des emplois de personnels de greffe, les postes supplémentaires
localisés pour l'année 2013 sont totalement engloutis par le renforcement (+
90 postes) des effectifs des services administratifs régionaux (SAR) ; par
ailleurs, les départs en retraite estimés à 700 à 800 agents par an sont à peine
compensés en 2013 par les recrutements prévus.
Nos inquiétudes sont particulièrement grandes, Monsieur le président, au regard
de cette situation et des prévisions budgétaires pour 2014. En effet, dans un
entretien au Journal du dimanche du 9 mars 2013, votre ancien ministre
délégué au budget annonçait 5 milliards d'euros d'économies à réaliser par
l'ensemble des ministères, dans le cadre du programme de « stabilité
budgétaire » et précisait qu'aucun ministère n'était « intouchable » ; et il
ajoutait que seuls ceux de l'Education nationale, la police et la gendarmerie
seraient exemptés d'efforts sur les effectifs.
Nous sommes conscients de la situation budgétaire difficile de la France mais le
service public de la justice, déjà très mal en point, ne peut supporter de subir de
nouvelles restrictions budgétaires.
2) Des justiciables maltraités et des personnels en souffrance
La situation de la justice civile et sociale continue de se dégrader dans de
nombreuses juridictions au préjudice souvent des justiciables les plus
défavorisés.
Les taxes de 35 € et de 150 € en appel qui constituent un obstacle
insupportable à l'accès au juge, plus particulièrement pour les personnes en
grande difficulté (locataire souhaitant récupérer sa caution, salarié licencié
souhaitant obtenir la délivrance de son attestation Assedic, ...) n'ont toujours
pas été abrogées malgré les promesses.
Les délais de traitement des affaires dans les conseils de prud'hommes et les
chambres sociales des cours d'appel sont toujours anormalement longs et ont
valu encore récemment à l'Etat une condamnation pour dysfonctionnement du
service public de la justice. Et pourtant, le projet de circulaire de localisation des
emplois pour 2013 prévoit la suppression de près de 40 postes de
fonctionnaires de greffe dans les CPH !
Les tribunaux d'instance ayant survécu à la réforme calamiteuse de la carte
judiciaire sont également en grande difficulté, en raison notamment de la
révision de l'ensemble des mesures de protection d'ici le 1er janvier 2014 ; nous
avons alerté la garde des Sceaux à plusieurs reprises mais, pour toute réponse,
alors qu'un report du délai butoir semble s'imposer, la direction des services
judiciaires a distribué un guide méthodologique aux services concernés !
Seulement 9 postes supplémentaires de juge d'instance ont été localisés en
2013 et la situation n'est pas plus favorable du côté fonctionnaires, la
chancellerie misant sans doute sur les effets magiques de la perspective de
fusion des tribunaux d'instance au sein d'un TPI envisagée par certains ...
La mutualisation de la pénurie n'est pas le bon remède, Monsieur le président,
elle se fera au préjudice de cette justice du quotidien, dernier rempart
protecteur pour les plus faibles.
Cette pénurie empêche de même la mise en oeuvre d'autres réformes pourtant
votées, comme la collégialité de l'instruction censée entrer en vigueur en janvier
2014. Malgré les postes supplémentaires mentionnés sur la circulaire de
localisation - avec les aléas rappelés ci-dessus -, la plus grande incertitude pèse
sur le devenir de cette réforme. En outre le retard pris dans les arbitrages prive
les magistrats de la nécessaire visibilité dans le choix de leur poste.
Cette situation dégradée est source de souffrance pour les personnels,
magistrats et fonctionnaires, qui se trouvent relégués - sous la pression
statistique qui tient souvent lieu de seul véritable projet de juridiction - au rang
d'opérateurs susceptibles ou non de réaliser mécaniquement les
« performances » attendues, sans débat possible sur le sens qu'ils souhaitent
donner à leurs missions.
Dans ce contexte, l'amélioration des garanties statutaires des magistrats
s'avère d'autant plus nécessaire qu'ils se trouvent fréquemment soumis à des
injonctions paradoxales, le recueil des obligations déontologiques leur imposant -
à juste titre - « le respect des règles procédurales et légales, de la qualité des
décisions et de l'écoute du justiciable » alors que la logique productiviste dans
des juridictions asphyxiées les met dans l'incapacité de respecter ces règles.
II. Garantir l'indépendance de la justice
L'indépendance de la justice a été sérieusement mise à mal sous le précédent
quinquennat par celui qui pourtant prétendait vouloir la rapprocher des citoyens,
la mettre à leur service, omettant sans doute que cette indépendance est
justement une garantie essentielle pour ces citoyens : celle que leur affaire soit
examinée et jugée par un magistrat qui ne soit pas « sous influence ».
Vous partagez ce constat, Monsieur le président, et vous avez à de nombreuses
reprises signifié votre volonté de rendre la justice indépendante.
Le projet de loi constitutionnelle, malgré quelques avancées, ne répond
toutefois pas à cette ambition, qu'il s'agisse de la composition du Conseil
supérieur de la magistrature (CSM) ou des pouvoirs qui lui sont reconnus.
L'indépendance de la justice exige aussi une révision en profondeur du statut
des magistrats du siège et du parquet ainsi que des dispositions qui portent
atteinte à cette indépendance au quotidien. Les quelques mesures
indispensables mais largement insuffisantes concernant les relations
chancellerie / parquet ne sauraient en tenir lieu.
1) Un projet de réforme a minima du Conseil supérieur de la
magistrature
La composition, les conditions de nomination de ses membres et l'étendue
des pouvoirs reconnus au CSM sont des marqueurs de l'importance que les
pouvoirs politiques en place accordent à l'indépendance des magistrats.
À cet égard, Monsieur le président, le projet de réforme n'est manifestement
pas à la hauteur de l'ambition affichée, les améliorations apportées étant
insuffisantes.
Au regard de sa mission
Le projet de loi constitutionnelle modifie l'article 64 de la Constitution, qui
prévoit que le Président de la République est garant de l'indépendance de
l'autorité judiciaire et qu'« il est assisté par le Conseil supérieur de la
magistrature ». Il est prévu désormais que « le Conseil supérieur de la
magistrature concourt, par ses avis et ses décisions, à garantir cette
indépendance ».
Si cette modification conduit à renforcer le rôle du CSM, qui concourt
directement à garantir l'indépendance de l'autorité judiciaire, il reste qu'il
n'est pas souhaitable, dans une démocratie comme la nôtre où le président de
la République est de fait chef de l'exécutif, que celui-ci soit le garant - et le
seul ! - de l'indépendance de la justice, le CSM n'ayant qu'un rôle mineur.
Le pouvoir exécutif ne peut avoir cette mission, le CSM rénové, pluraliste et
démocratique, doit être le seul garant de cette indépendance.
Au regard de sa composition et des modalités de désignation de
ses membres
Un CSM pluraliste, à l'abri des pressions politiques et des réseaux de toutes
sortes, doit être composé d'une majorité de personnalités extérieures
nommées dans des conditions lui garantissant une forte légitimité
démocratique.
La composition du CSM
Le projet de réforme constitutionnelle revient sur la composition du CSM en
introduisant un article 65-1. Il prévoit que le CSM sera désormais composé de
8 magistrats du siège élus par les magistrats du siège, de 8 magistrats du
parquet élus par les magistrats du parquet, et de 7 personnalités extérieures,
soit un conseiller d'Etat, un avocat et 5 personnalités qualifiées n'appartenant
ni au Parlement, ni à l'ordre judiciaire ni à l'ordre administratif, ni aux
barreaux.
Et pourtant, la commission parlementaire constituée suite à l'affaire dite
«d'Outreau» avait, dans son rapport déposé le 6 juin 2006, recommandé que
le CSM soit composé d'une parité de magistrats et de non-magistrats pour
éviter tout risque de corporatisme.
La réforme de 2008 a d'ailleurs profondément modifié la composition du CSM
en introduisant une majorité de personnalités extérieures.
Le Syndicat de la magistrature a toujours été très favorable à cette
composition, seule à même d'éloigner les soupçons de corporatisme et de
clientélisme décrédibilisant cette institution. La majorité de magistrats n'a en
effet été le gage ni d'une grande exemplarité, ni d'une grande transparence.
Comme en témoignent les dérives dont la presse s'est fait l'écho, les anciens
CSM n'ont en effet jamais fait preuve de réelle indépendance dans les
nominations, et les décisions qu'ils ont été amenés à prendre ont surtout été
marquées par des stratégies de réseau et par un manque de pluralisme,
particulièrement prégnant pour les postes hiérarchiques.
Cette majorité de magistrats, contrairement à ce que certains soutiennent,
n'est pas exigée par les "standards européens" dans les "conseils de justice"
pour garantir l'indépendance des magistrats : la charte européenne sur le
statut des juges comme le comité des ministres du Conseil de l'Europe
recommandent de fait une parité.
La « Charte européenne sur le statut des juges » adoptée par le Conseil de
l'Europe le 10 juillet 1998 prévoit une instance « au sein de laquelle siègent
au moins pour moitié des juges élus par leurs pairs suivant des modalités
garantissant la représentation la plus large de ceux-ci ».
La recommandation du comité des ministres du Conseil de l'Europe du 17
novembre 2010 préconise de même, alors que le Conseil consultatif des juges
européens -exclusivement composés de juges en exercice - proposait un
conseil majoritairement composé de magistrats, « qu'au moins la moitié des
membres de ces conseils devraient être des juges choisis par leurs pairs issus
de tous les niveaux du pouvoir judiciaire et dans le plein respect du pluralisme
au sein du système judiciaire ».
Dans votre courrier du 14 avril 2012 en réponse à nos questions sur vos
intentions en matière de justice, vous nous aviez d'ailleurs indiqué, Monsieur
le président, que le futur CSM serait composé « à parité de magistrats et de
non-magistrats » ...
Revenir à un CSM composé majoritairement de magistrats n'est donc ni
souhaitable, ni nécessaire : le fonctionnement, beaucoup moins critiquable de
l'actuel CSM, l'a d'ailleurs démontré.
Mais surtout, un CSM composé majoritairement de personnalités extérieures
qualifiées et incontestables et donc libéré de l'entre soi et pluraliste, est un
gage de confiance et de crédibilité de cette institution à l'égard de l'opinion
publique, ce qui est indispensable si on veut lui voir confier l'exercice de
compétences étendues au service d'une justice indépendante.
Monsieur le président, le Syndicat de la magistrature, pour l'ensemble de ces
raisons, est fermement opposé à ce qu'une majorité de magistrats soit
réintroduite dans la composition du CSM.
Le mode de désignation des membres du CSM
Pour être légitimes, les membres du CSM ne doivent faire l'objet d'aucun
soupçon d'allégeance au pouvoir politique.
Le projet de réforme prévoit que les personnalités extérieures seront
désormais désignées conjointement par le vice-président du conseil d'Etat, le
président du Conseil économique, social et environnemental, le Défenseur des
droits, le premier président de la Cour de cassation, le procureur général près
la Cour de cassation, le premier président de la Cour des comptes et un
professeur des universités. Il est également prévu que dans chaque
assemblée parlementaire, une commission permanente désignée par la loi se
prononce par un avis public sur la liste des personnes ainsi désignées, et
qu'aucune ne peut être nommée si l'addition des votes défavorables à cette
liste dans chaque commission représente au moins les trois cinquièmes des
suffrages exprimés au sein des deux commissions.
Ces dispositions, qui divergent de l'avant-projet qui nous avait été présenté
par la Chancellerie, posent problème sur deux points :
- d'une part, quant à la composition du « collège » chargé de désigner les
personnalités extérieures : la présence dans ce collège du vice-président du
Conseil d'Etat - qui, par ailleurs, désigne le conseiller d'Etat membre du CSM -
alors que d'importantes autorités représentantes de la société civile - telles
que le président de la Commission nationale consultative des droits de
l'homme ou le Contrôleur général des lieux de privation de libertés - sont
absentes pose question ;
- d'autre part, les désignations de ces personnalités qualifiées, pour être tout
à fait à l'abri du soupçon d'être partisanes, doivent être validées par les
3/5èmes des commissions (et non par les 2/5ème !) ; d'ailleurs, vous en êtes
parfaitement conscient, Monsieur le président, puisque, lorsque nous vous
avions interrogé sur cette question, vous nous aviez indiqué que la
nomination de ces personnalités extérieures ne deviendrait effective
« qu'après avoir été approuvée par une majorité des 3/5ème des commissions
des lois de l'Assemblée nationale et de Sénat ».
Les magistrats élus doivent, quant à eux, représenter la diversité du corps
judiciaire, ce qui n'est pas le cas actuellement puisque sur les 14 magistrats
du CSM, seuls six sont issus - suite à un scrutin indirect via des grands
électeurs - du collège des cours et tribunaux. Ce système favorise une
représentation disproportionnée d'une hiérarchie pourtant minoritaire dans le
corps (moins de 10%), et favorise le fait syndical majoritaire. Ce qui est là
bien sûr contraire aux «standards européens» qui préconisent une instance
composée de magistrats «élus par leurs pairs suivant des modalités
garantissant la représentation la plus large de ceux-ci ».
Il est donc impératif que la loi organique à venir modifie le mode de scrutin de
l'élection des magistrats membres du CSM, pour qu'ils soient élus au sein d'un
collège unique et au scrutin direct à la proportionnelle, seules modalités à
même de permettre une représentation exacte du corps.
La présidence du CSM
Actuellement, il n'y a pas un président du CSM, mais un président pour
chacune des formations, la formation siège étant présidée par le premier
président de la Cour de cassation, la formation parquet étant présidée par le
procureur général près de la même cour. L'article 65 prévoit en outre que la
formation plénière (qui n'est pas la réunion des deux formations mais qui
comprend 3 magistrats du siège, 3 magistrats du parquet et les 8
personnalités extérieures) est présidée par le premier président de la cour de
cassation, qui peut être substitué par le procureur général. Il existe ainsi
quasiment « deux CSM » autonomes, la formation plénière n'ayant qu'une
compétence limitée aux saisines du président de la République ou du garde
des Sceaux.
Le projet de réforme augmente les pouvoirs de la formation plénière, qui sera
désormais présidée par un président unique élu par les membres de cette
formation parmi les personnalités extérieures (hors le conseiller d'Etat et
l'avocat).
Le Syndicat de la magistrature est favorable à cette évolution, considérant
que la présidence du CSM par un président unique élu démocratiquement
parmi les personnalités extérieures est de nature à asseoir l'autorité de la
formation plénière. Il ne souhaite pas que la présidence soit confiée à un
magistrat, ou que ce président soit élu parmi l'ensemble des membres de la
formation plénière, tant il est important que le CSM soit à l'abri de tout
soupçon de corporatisme. En outre, il considère que la présidence du CSM par
un magistrat n'est pas un gage en soi d'une plus grande indépendance de ce
conseil.
Au regard des pouvoirs qui lui sont confiés
Des modalités de saisine de la formation plénière trop restreintes
Selon l'article 65 actuel de la constitution, le CSM se réunit en formation
plénière pour répondre aux demandes d'avis formulées par le président de la
République au titre de l'article 64. Il se prononce, dans la même formation,
sur les questions relatives à la déontologie des magistrats ainsi que sur toute
question relative au fonctionnement de la justice dont le saisit le ministre de
la justice.
Le projet de réforme constitutionnelle prévoit que désormais le CSM pourra
en outre « se saisir d'office des questions relatives à l'indépendance de
l'autorité judiciaire et à la déontologie des magistrats ».
Cette possibilité de se saisir d'office, qui existait de fait avant la réforme de
2008, qui l'a ensuite interdite, était réclamée depuis longtemps par le
Syndicat de la magistrature. Le Conseil issu de la réforme de 2008 est en
effet muselé, interdit de s'exprimer lorsque l'indépendance de la justice est
mise en cause, sauf à attendre une saisine du président de la République ou
du ministre de la justice. Dans les faits, le conseil issu de la réforme n'a été
saisi que 3 fois : en 2011 dans l'affaire dite de « Pornic », en 2013 sur la
limitation des fonctions spécialisées à 10 ans et il vient d'être saisi par la
garde des Sceaux d'une question relative au fonctionnement de l'institution
judiciaire dans l'affaire dite « Bettencourt ».
Il était donc tout à fait nécessaire que ce Conseil, qui bénéficiera d'une
légitimité rénovée, puisse se saisir d'office de toute question relative à
l'indépendance de la justice ou à la déontologie des magistrats.
Mais il nous paraît tout aussi essentiel que les magistrats puissent saisir euxmêmes
le CSM lorsqu'ils estiment que leur indépendance est menacée ou que
se pose une question de déontologie. Or, s'ils pourront, avec la réforme,
demander au CSM de se saisir d'office, c'est sans aucune garantie que le CSM
acceptera cette saisine. Pourtant, rien ne justifie que le CSM puisse être saisi
par le président de la République, par le ministre de la justice, par les
autorités hiérarchiques des magistrats et par le citoyen, et que le magistrat
soit le seul à ne pas pouvoir saisir un organisme dont la mission même est de
garantir son indépendance.
La Charte européenne sur le statut des juges prévoit d'ailleurs dans son
article 1.4 que le statut doit « offrir à toute juge ou toute juge qui estiment
que leurs droits statutaires, ou plus généralement leur indépendance ou
celle de la justice sont menacés ou méconnus d'une manière quelconque la
possibilité de saisir une telle instance indépendante disposant de moyens
effectifs pour y remédier ou proposer d'y remédier ».
Vous nous aviez d'ailleurs vous-même assuré, Monsieur le président, dans
votre courrier du 14 avril 2012, que « tout juge estimant que son
affectation ou l'attribution d'un dossier résulte d'une raison étrangère à
une bonne administration de la justice et porte atteinte à l'indépendance
devrait pouvoir saisir le CSM » ...
Fort de cet engagement, le Syndicat de la magistrature réclame donc
instamment, Monsieur le président, que soit inscrit dans la constitution le
droit pour les magistrats de saisir le CSM sur les questions relatives à leur
indépendance ou leur déontologie.
Des pouvoirs insuffisants sur les nominations
Si le CSM dispose à l'heure actuelle du pouvoir de proposition des magistrats
aux postes de premier président de cour d'appel, président de tribunal de
grande instance et à tous les postes de la cour de cassation, la carrière de la
majorité des magistrats reste encore entre les mains de l'exécutif, situation
totalement incompatible avec l'exigence d'indépendance et d'impartialité
objective pesant sur le service public de la justice.
Quelques exemples récents ont encore montré à quel point la tentation était
grande pour le pouvoir en place d'utiliser ses attributions en la matière pour
nommer ceux ayant « bien servi » à des postes importants. Le ministère a
ainsi cru possible de proposer et de nommer, avec l'aval de l'ancien CSM,
François Molins comme avocat général à la cour de cassation, fonction qu'il
n'a jamais exercée puisqu'il était directeur de cabinet du garde des Sceaux. Il
aura fallu un recours du Syndicat de la magistrature devant le Conseil d'Etat
pour voir annuler cette promotion qui était intervenue pour ordre dans le seul
but de faire bénéficier l'intéressé d'avantages liés à la fonction.
Il est absolument nécessaire de mettre fin à ces pratiques en confiant la
nomination et la gestion de la carrière de l'ensemble des magistrats du siège
et du parquet à un CSM rénové.
C'est à cette seule condition que l'indépendance des magistrats sera
réellement garantie, et que leur nomination ne sera plus entachée de
soupçon.
L'article 65 de la constitution aurait dû, Monsieur le président, être modifié en
ce sens et votre projet de réforme constitutionnelle, prévoyant que les
nominations au parquet interviendraient désormais sur avis conforme du CSM,
constitue à cet égard une avancée extrêmement limitée.
En effet, dans la pratique, les avis du CSM parquet sont déjà largement suivis,
sans que cela ne garantisse des nominations fondées uniquement sur des
critères de compétence et non par des considérations partisanes.
Car, en l'état de la réforme proposée, le nouveau CSM, pas plus que l'ancien
ne sera en capacité de vérifier (sauf recours) que les magistrats dont la
nomination est proposée par le pouvoir exécutif sont bien les plus
compétents.
Il est donc tout à fait nécessaire que les propositions de nominations de
l'ensemble des magistrats soient confiées à un CSM rénové auquel serait
rattachée l'actuelle sous-direction de la magistrature de la direction des
services judiciaires. Ce transfert de compétences ne priverait nullement le
ministère, comme cela a pu être craint par certains, de ses prérogatives en
termes de localisation des emplois.
En tout état de cause, il est parfaitement inconcevable - et incohérent ! - que
les conditions de nomination des magistrats du parquet ne soient pas alignées
sur celles du siège et que le CSM ne se voit pas au moins confier le pouvoir de
proposition des magistrats du parquet aux postes de la cour de cassation, de
procureur général et de procureur de la République.
A l'heure où la nécessité du renforcement de l'indépendance de la justice est
revendiquée, reconnue et admise, il n'est pas concevable que les parquets,
qui exercent l'action publique au nom de la loi, soient maintenus dans un lien
de dépendance avec le pouvoir exécutif qui les prive de fait de toute
autonomie dans l'exercice de leurs missions.
Ce lien entre le parquet et le politique est d'ailleurs fortement critiqué par la
jurisprudence européenne et identifié par des organisations européennes,
notamment par l'OCDE, comme l'un des obstacles à la poursuite des
infractions économiques et financières dans des conditions satisfaisantes. À
cet égard, la création d'un « procureur à compétence nationale en matière de
fraude fiscale et de corruption », qui centraliserait les poursuites, et dont les
conditions de nomination et le statut ne seraient pas modifiés, ne
constituerait en rien une avancée.
La persistance du risque d'instrumentalisation en matière disciplinaire
Le projet de réforme constitutionnelle modifie la procédure disciplinaire
applicable aux magistrats du parquet en ce que la formation parquet statuera
dorénavant comme conseil de discipline, alors qu'elle ne dispose à l'heure
actuelle que du pouvoir de donner un avis sur les sanctions disciplinaires
proposées et décidées par le ministre de la justice. Cette modification, qui
consiste à aligner le statut des magistrats du parquet sur le statut des
magistrats du siège en matière disciplinaire, ne peut qu'être approuvée.
Le CSM doit continuer à assumer la charge des procédures disciplinaires à
l'encontre des magistrats, et ainsi veiller à ce que l'autorité judiciaire soit
exemplaire. La possibilité pour les citoyens de saisir le CSM directement en
matière disciplinaire doit être maintenue et améliorée. En effet, cette mesure,
indissociable de l'indépendance des magistrats, est de nature à restaurer la
confiance des justiciables envers l'institution judiciaire.
Mais cette réforme constitutionnelle devra s'accompagner d'une réforme
statutaire des magistrats, la procédure disciplinaire actuelle étant loin de
permettre aux magistrats de bénéficier des garanties d'un procès équitable.
L'instrumentalisation par le pouvoir politique de l'inspection des services
judiciaires, dépendante de l'exécutif, a donné lieu, en effet dans le passé, à
bien des dérives. Il ne pourra être mis fin à ces pratiques sans que l'IGSJ soit
rattachée au CSM afin de garantir son indépendance, et sans que la procédure
disciplinaire soit entièrement repensée et rénovée. Elle devra respecter le
principe du contradictoire et des droits de la défense, ces droits étant définis
et intégrés dans le statut de la magistrature et non dans des projets de
service internes à l'IGSJ, dépourvus de toute valeur contraignante.
2) Des garanties statutaires toujours insuffisantes
Un statut insuffisamment protecteur pour les magistrats du
parquet
Garantir l'indépendance de la justice, c'est aussi réformer en profondeur le
statut des parquetiers afin que ceux-ci puissent exercer pleinement la mission
de poursuite qui est la leur, à l'abri de toute pression et de tout soupçon de
partialité induits par le lien hiérarchique avec le pouvoir exécutif.
La réforme du ministère public est en effet une urgence démocratique. La Cour
européenne des droits de l'homme nous l'a rappelé à maintes reprises, et la
Conférence nationale des procureurs de la République, dans sa résolution du 08
décembre 2011, n'a pas hésité à appeler « solennellement l'attention sur la
gravité de la situation dans laquelle se trouvent les parquets, et l'urgence de
leur donner les conditions d'exercer dignement leurs nombreuses missions ».
Les deux projets annoncés, celui « relatif aux attributions du garde des Sceaux
et des magistrats du ministère public en matière d'action publique et de
politique pénale » et celui concernant la réforme du CSM sont pourtant loin,
monsieur le président, de répondre à cette exigence.
L'interdiction pour le garde des Sceaux de donner des instructions individuelles
écrites - qui ne confère pas l'assurance de voir cesser les très nombreuses
instructions téléphoniques ayant eu cours naguère ... -, et la seule nomination
des magistrats du parquet sur avis conforme du CSM, qui sont déjà en
vigueur dans la pratique, constituent en effet une réforme a minima qui ne
garantira pas réellement l'indépendance des magistrats du parquet.
Les quelques exemples suivants en sont malheureusement la preuve.
Ainsi il est encore d'usage dans de nombreux parquets d'imposer aux substituts
de demander à leurs supérieurs hiérarchiques l'autorisation d'ouvrir une
information judiciaire, ou de faire signer par ces mêmes supérieurs leurs
réquisitoires définitifs en matière criminelle. Il n'est de même pas inhabituel que
des parquetiers soient dessaisis d'un dossier quand leur décision n'a pas eu
l'heur de plaire au procureur de la juridiction...
Chaque magistrat du parquet est pourtant censé, aux termes de la loi, pouvoir
choisir les modalités de poursuites qu'il estime adaptées. La Cour de cassation a
d'ailleurs rappelé qu'un parquetier « puise en sa seule qualité, en dehors de
toute délégation de pouvoir, le droit d'accomplir tous les actes rentrant dans
l'exercice de l'action publique ».
Les deux mesures phares proposées n'ont visiblement pas suffi, vous en
conviendrez, à rompre la chaîne hiérarchique privant le substitut de son libre
exercice de l'opportunité des poursuites.
Les convocations à la chancellerie pour explication n'ont pas non plus disparu.
Ainsi suite à l'enlèvement d'un nouveau-né dans une maternité, le parquet
général, avisé dans la nuit par le parquet local, a cru pouvoir attendre le
lendemain matin pour en aviser la chancellerie. Erreur fatale visiblement ! Bien
que l'alerte enlèvement ait été déclenchée dans la matinée et l'enfant retrouvé
peu de temps après, le procureur et des membres du parquet général ont été
convoqués à la chancellerie pour rendre compte et s'expliquer sur leur façon de
diriger cette affaire et sur le défaut d'information « en temps utile »... Cela
démontre s'il en était besoin que le pouvoir d'appréciation des parquets
demeure des plus restreints et que seul prime le devoir d'information de la
chancellerie.
Cette frénésie du « rapport » est d'ailleurs théorisée par la nouvelle directrice
des affaires criminelles et des grâces qui n'hésite pas à affirmer que la
contrepartie de la suppression des instructions individuelles serait une obligation
accrue d'information envers la chancellerie... Logique imparable d'un exécutif
qui a visiblement du mal à admettre qu'en dehors des instructions de politique
pénale générales et d'éventuels rapports périodiques sur leur application, il n'a
pas à être informé de la moindre affaire locale dont la gestion dépend des
attributions confiées par la loi aux magistrats du parquet.
Il faut donc, pour garantir l'autonomie des magistrats du parquet au quotidien,
renforcer considérablement leur statut.
Cela passera d'abord par une clarification des rapports au sein des parquets de
première instance, entre le procureur et les substituts, les deux articles du Code
de l'organisation judiciaire, seuls textes en la matière, étant notoirement
insuffisants, on l'a vu. Il faudra notamment prévoir des mécanismes objectifs
d'attribution des services et des dossiers, par exemple par le biais d'une
« ordonnance de roulement » soumise à l'avis conforme de l'assemblée générale
des magistrats du parquet, instance qui devra être rendue obligatoire comme
l'est celle des magistrats du siège. De même, si le procureur entend se
démarquer de cette attribution, il devra motiver sa décision de non attribution
ou de dessaisissement. Le substitut devra alors disposer d'un droit de recours,
par exemple auprès du Conseil supérieur de la magistrature, comme c'est le cas
en Italie (cf. « Le parquet dans le système institutionnel italien » de Nicolo
Zanon, professeur à l'université de Milan et membre du CSM italien, in « Le
statut constitutionnel du parquet » chez Dalloz). Ce recours pourrait s'inscrire
dans la possibilité pour tout magistrat de saisir le Conseil en cas d'atteinte à son
indépendance, et il pourrait être réfléchi à une procédure d'urgence en cette
matière.
De même si les circulaires de politique pénale générales du ministre peuvent
perdurer et si les procureurs peuvent adresser des rapports périodiques sur leur
application, les instructions orales et écrites devront être prohibées, tout
comme les rapports incessants sur les affaires particulières demandés par les
parquets généraux et la chancellerie. Les compétences des parquets généraux
devront d'ailleurs être limitées au traitement des procédures d'appel, leur
pouvoir hiérarchique sur les procureurs n'ayant pas lieu d'être.
C'est a minima à ces conditions monsieur le président que, comme cela est
inscrit dans l'exposé des motifs sur le projet de loi sur les relations entre la
chancellerie et le parquet, sera assuré « à nos concitoyens un service public de
la justice à l'impartialité insoupçonnable, inspirant à chacun la conviction que les
décisions prises ne le sont que dans l'intérêt de la loi et des justiciables ».
[suite et fin au billet suivant]
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