La non-conformité aux normes parasismiques constitue un désordre de nature décennale, dès lors que les travaux de rénovation entrepris avaient pour objet des modifications importantes sur la structure du bâtiment existant.

Cet arrêt vient également confirmer que le non-respect des normes parasismiques peut être considéré comme un désordre de nature décennale, si, ces normes étaient applicables au moment du dépôt du permis de construire.

 

  1. LES FAITS

 

 

En 2006, une société civile immobilière C … H … (ci-après dénommée la « SCI ») a entrepris la rénovation immobilière d’une ferme pour la transformer en appartements destinés à la location.

 

La SCI, maître de l’ouvrage, a confié :

 

  • le lot terrassement, maçonnerie, béton armé à la société C … bâtiment, (ci-après dénommée la « société C »), assurée auprès la compagnie MAAF assurances (ci - après, dénommée, la compagnie « MAAF ») ;

 

  • le lot  charpente et couverture à M. V, puis à la société PEGORIER, assurée auprès la compagnie GAN ASSURANCES (ci-après dénommée, la compagnie « GAN »).

 

La réception tacite des travaux de terrassement, maçonnerie, béton armé entre la SCI et la société C a eu lieu entre le 2 février 2007.

 

Quant aux travaux de charpente et couverture, ils ont été réceptionnés le 25 janvier 2008.

 

Tant les travaux de maçonnerie que de charpente ont été exécutés de façon traditionnelle, mais sans respect des normes parasismiques.

 

Le maître de l’ouvrage s’est plaint de la non-conformité de l’immeuble ainsi rénové aux normes parasismiques.

 

De sorte que la SCI a assigné les sociétés C et PEGORIER en référé pour obtenir la désignation d’un Expert Judiciaire.

 

Aux termes de son rapport du 12 décembre 2009, l’Expert Judiciaire conclut à l’applicabilité des normes parasismiques, lesquelles sont d’ordre public. 

 

L’Expert Judiciaire a constaté que les travaux réalisés par les entreprises de maçonnerie – gros œuvre et de charpente, à savoir :

 

  • la réfection du dallage du rez-de-chaussée ;
  • le remplacement du plancher haut du rez-de-chaussée en bois par une dalle pleine de BA ;
  • la construction de murs BA porteur intérieur dans le haut du 1er étage -construction de murs intérieurs en agglo dans la hauteur du comble ;
  • le renforcement et l’isolation des murs extérieurs (poteaux, poutres, pans de bois ;

 

 

Ne respectaient pas les normes parasismiques et notamment, les normes PS MI89 révisées 92, qui ont vocation à s’appliquer à des habitations individuelles.

 

Les sociétés C et PEGORIER et leurs assureurs respectifs ont été condamnés tant en première instance qu’en appel, à payer à la SCI, maître de l’ouvrage, la somme de 35.000 euros à titre de provision, à valoir sur les travaux de mise en conformité aux normes parasismiques sur le fondement de la responsabilité décennale des constructeur de l’article 1792 du code civil.

 

Les compagnies MAAF et GAN, considérant que les travaux réalisés par leurs assurées n’étaient pas soumis au respect des normes parasismiques, et ce notamment, parce qu’ils ne portaient pas sur le remplacement total des planchers en superstructure, ont formé un pourvoi en cassation pour défaut de base légale au regard de l’article 1792 du code civil.

 

La Cour de cassation rejettera ce pourvoi en rappelant que le non-respect des normes parasismiques qui existent à la date du dépôt du permis de construire et ce pour des travaux ayant pour objet des modifications importantes de la structure du bâtiment existant, constitue un désordre de nature décennale.

 

 

  1. LA POSITION DE LA COUR D’APPEL DE CHAMBERY

 

Il est constant qu’en application de l’article 1792 du code civil, tout constructeur est responsable de plein droit envers le maître de l’ouvrage pour les dommages, même résultant d’un vice du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage  ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination.

 

La Cour d’appel s’est fondée sur la jurisprudence constante de la Cour de cassation sur le non - respect des normes parasismiques à caractère obligatoire.

 

Elle prend notamment appui sur un arrêt rendu le 11 mai 2011 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation:

 

« le dommage consistant dans la non-conformité de l'ouvrage aux règles parasismiques obligatoires dans la région où se trouve la maison, facteur certain de risque de perte par séisme, compromet sa solidité et la rend impropre à sa destination, la cour d'appel a violé le texte susvisé » (Cass. Civ.3ème du 11/05/2011, n°10-11713).

 

Et elle en déduit que le non - respect des normes parasismiques applicables par un constructeur constitue en lui-même un dommage, qui compromet la solidité de l’ouvrage et engage la responsabilité décennale du constructeur sur le fondement de l’article 1792 du code civil.

Or à la date où le permis de construire a été délivré, ce sont les normes prévues au décret n°91-461 du 14 mai 1991, relatif à la prévention du risque sismique, qui s’appliquaient.

 

L’article 5 prévoyaient des mesures préventives et notamment des règles de construction, d'aménagement et d'exploitation parasismiques doivent s’appliquer aux bâtiments, équipements et installations de la catégorie dite " à risque normal ", appartenant aux classes B, C et D et situés dans les zones de sismicité I a, I b, II et III, respectivement définies aux articles 3 et 4 du présent décret.

 

Pour l'application de ces mesures, des arrêtés ont été pris pour définir les mesures préventives à prendre et la nature, les caractéristiques des bâtiments, des équipements et des installations concernées.

 

La Cour d’appel a bien relevé que le bâtiment, objet de la rénovation se situait dans une zone de sismicité Ib et qu’il appartenait à la classe B.

 

L’article 5 du décret du 14 mai 1991 a été modifié par le décret n° 2000-892 du 13 septembre 2000, lequel a ajouté un aliéna prévoyant que :

 

« L'article 5 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les dispositions ci-dessus s'appliquent :

- aux équipements, installations et bâtiments nouveaux ;

- aux additions aux bâtiments existants par juxtaposition, surélévation ou création de surfaces nouvelles ;

- aux modifications importantes des structures des bâtiments existants. »

 

Prenant appui sur le rapport d’expertise judiciaire, la Cour d’appel a relevé que les travaux réalisés par les sociétés C et PEGORIER étaient des travaux importants affectant la structure du bâtiment existant.

 

De sorte que le non - respect des règles parasismiques constituait, de facto, un désordre de nature décennale pouvant de façon subséquente porter atteinte à la solidité de l’ouvrage en cas de séisme.

 

 

  1. LA CRITIQUE DU POURVOI

 

Les compagnies MAAF et GAN considéraient que les travaux réalisés par leurs assurées n’étaient pas soumis à l’obligation de respecter les règles parasismiques, en ce que l’arrêt du 29 mai 1997, pris en application du décret du 14 mai 1991 précisait que ces normes s’appliquant :

 

« aux bâtiments existants des classes B, C et D dans les lesquels il est procédé au remplacement total des planchers en superstructure ».

 

 

Or, la Cour d’appel avait par ailleurs admis que ces modifications importantes sur la structure du bâtiment n’incluaient pas le remplacement total des planchers.

 

De sorte que cela aurait dû placer, selon le pourvoi, les travaux réalisés par les sociétés C et PEGORIER en dehors de l’obligation de respecter les normes parasismiques.

 

 

  1. LA POSITION DE LA COUR DE CASSATION

 

La Cour de cassation reprenant le raisonnement de la Cour d’appel et considère qu’il résulte de la combinaison de ces deux textes, à savoir, le décret du 14 mai 1991 et celui du 13 septembre 2000, qui est venu modifié le précédent décret, que ces travaux de maçonnerie et de charpente étaient soumis au respect des normes parasismiques, dès lors que ces travaux portaient sur des modifications importantes de la structure du bâtiment existant et ne tient pas compte du détail sur le remplacement ou non de l’intégralité du plancher.

 

Cet arrêt s’inscrit dans le prolongement de l’arrêt du 11 mai 2011 rendu par la Cour de cassation, selon lequel le simple fait de ne pas respecter les règles parasismiques obligatoires dans une région où le risque sismique existe, peu important que celui-ci ne se soit pas produit dans le délai décennal, constitue en soi un désordre de nature décennal, dès lors que, si, ce risque se produisait le bâtiment serait perdu (Cass. Civ.3ème du 11 mai 2011, n°10-11713).                                                                                                                                                                                                                                          

 

Cet arrêt vient également confirmer l’arrêt du 1er décembre 2010, dont il pouvait être déduit que le non-respect des règles parasismiques pouvait être retenu comme un désordre de nature décennale, dès lors que ces normes parasismiques étaient applicables au moment du dépôt du permis de construire (Cass. Civ.3ème, 1er décembre 2010, n°09-15.282).

 

Cet arrêt est une évolution au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation de 2005 et 2007, où il était autrefois nécessaire, pour être qualifié de désordre de nature décennal de démontrer :

 

  • des défauts multiples
  • portant sur des éléments essentiels de la construction,
  • pouvant avoir la conséquence de la perte de l’ouvrage,
  • dans une région où le risque sismique existe
  • faisant courir un danger sur les personnes (Cass. Civ.3ème du 7 octobre 2009 n° 08-17620 ; Cass. Civ.3ème du 25 mai 2005, n°03-20247).

 

L’arrêt du 19 septembre 2019 va encore plus loin, puisque constitue un désordre de nature décennale, le simple fait de réaliser des travaux ayant pour objet la modification importante de la structure du bâtiment et soumis au respect des normes parasismiques en vigueur lors du dépôt du permis de construire.

 

Il faut donc en conclure que la responsabilité des constructeurs pour non-respect des normes parasismiques dans leurs travaux peut être engagée plus facilement.