Par décision du 12 mars 2021 avec effet immédiat, le Conseil Constitutionnel a abrogé les dispositions interdisant aux responsables et employés des services à la personne, intervenant au domicile des personnes âgées ou handicapées, de percevoir des dons et des legs de leur part.

1. De quelle interdiction s'agit-il ?

L’article L. 116-4 du code de l'action sociale et des familles (CASF) ayant vocation à protéger le patrimoine de personnes devenues vulnérables interdisait aux responsables et employés des services à la personne (SAP), intervenant au domicile des personnes âgées ou handicapées, de percevoir des dons et des legs de leur part.

Plus généralement, ne peuvent profiter de dispositions à titre gratuit entre vifs (dons) ou testamentaires (legs) les personnes suivantes :

  • les services d'aide et d'accompagnement à domicile autorisés (Saad) intervenant auprès des personnes âgées et handicapées en mode prestataire (le service est de l'aide à domicile) ;
  • les services d'assistance aux personnes âgées, aux personnes handicapées ou aux autres personnes qui ont besoin d'une aide personnelle à leur domicile ou d'une aide à la mobilité dans l'environnement de proximité favorisant leur maintien à domicile - il s'agit des services à la personne intervenant en mode mandataire (le particulier embauche l'aide à domicile sur proposition de l'entreprise de SAP) ;
  • les bénévoles ou volontaires qui agissent au sein des structures ci-dessus ou y exercent une responsabilité ;
  • les salariés employés par des particuliers à leur domicile pour apporter une assistance aux personnes âgées ou handicapées.
  • le couple ou l'accueillant familial et ses proches.

La sanction du non-respect de ces interdictions étant la nullité de plein droit (de la donation, du legs, bénefice de l'assurance-vie etc…).

Saisi d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité, le Conseil Constitutionnel censure cette interdiction, dans une décision du 12 mars 2021, pour les personnels intervenant via le mode mandataire ou employés directement par le bénéficiaire.

2. Que dit le Conseil Constitutionnel dans sa décision du 12 mars 2021 ?

" En vertu de l’article L. 7231-1 al. 2 du code du travail, constitue des services à la personne l’assistance aux personnes âgées, aux personnes handicapées ou aux autres personnes qui ont besoin d’une aide personnelle à leur domicile ou d’une aide à la mobilité favorisant leur maintien à domicile. Les dispositions contestées interdisent aux responsables et aux employés ou bénévoles des sociétés délivrant de tels services, ainsi qu’aux personnes directement employées par celles qu’elles assistent, de recevoir de ces dernières des donations ou des legs.

Cette interdiction ne vaut que pour les libéralités consenties pendant la période d’assistance du donateur. Elle ne s’applique pas aux gratifications rémunératoires pour services rendus ni, en l’absence d’héritiers en ligne directe, à l’égard des parents jusqu’au quatrième degré.

Par conséquent, les dispositions contestées limitent, dans la mesure de cette interdiction, les personnes âgées, les personnes handicapées ou celles qui ont besoin d’une aide personnelle à leur domicile ou d’une aide à la mobilité dans leur capacité à disposer librement de leur patrimoine. Le droit de disposer librement de son patrimoine étant un attribut du droit de propriété, les dispositions contestées portent atteinte à ce droit.

En instaurant l’interdiction contestée, le législateur a entendu assurer la protection de personnes dont il a estimé que, compte tenu de leur état et dans la mesure où elles doivent recevoir une assistance pour favoriser leur maintien à domicile, elles étaient placées dans une situation particulière de vulnérabilité vis-à-vis du risque de captation d’une partie de leurs biens par ceux qui leur apportaient cette assistance. Il a ainsi poursuivi un but d’intérêt général.

Toutefois, en premier lieu, d’une part, il ne peut se déduire du seul fait que les personnes auxquelles une assistance est apportée sont âgées, handicapées ou dans une autre situation nécessitant cette assistance pour favoriser leur maintien à domicile que leur capacité à consentir est altérée.

D’autre part, les services à la personne définis au 2o de l’article L. 7231-1 du code du travail recouvrent une multitude de tâches susceptibles d’être mises en œuvre selon des durées ou des fréquences variables. Le seul fait que ces tâches soient accomplies au domicile des intéressées et qu’elles contribuent à leur maintien à domicile ne suffit pas à caractériser, dans tous les cas, une situation de vulnérabilité des personnes assistées à l’égard de ceux qui leur apportent cette assistance.

En second lieu, l’interdiction s’applique même dans le cas où pourrait être apportée la preuve de l’absence de vulnérabilité ou de dépendance du donateur à l’égard de la personne qui l’assiste.

Il résulte de toute ce qui précède que l’interdiction générale contestée porte au droit de propriété une atteinte disproportionnée à l’objectif poursuivi.

Elle doit donc être déclarée contraire à la Constitution à compter de la date de publication de la présente décision.

Elle est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date.

Le Conseil constitutionnel décide :

Les mots « ou d’un service soumis à agrément ou à déclaration mentionné au 2° de l’article L. 7231-1 du code du travail » figurant au 1er alinéa du paragraphe I de l’article L. 116-4 du code de l’action sociale et des familles et les mots « ainsi qu’aux salariés mentionnés à l’article L. 7221-1 du code du travail accomplissant des services à la personne définis au 2° de l’article L. 7231-1 du même code » figurant au 2nd alinéa du même paragraphe sont contraires à la Constitution.

3. Ce qu’il faut retenir de cette décision 

Désormais, les responsables, employés et bénévoles des services à la personne (SAP), peuvent bénéficier, de leur part, de dons et legs.

Ce, sous réserve de l'absence d'altération des facultés mentales du donataire ou légataire et de l'absence d'abus frauduleux de la faiblesse d'une personne vulnérable (lequel est sanctionné civilement et/ou pénalement).

Les personnels des Saad autorisés restent en revanche soumis à cette interdiction de percevoir des dons et des legs.


Claudia CANINI

Avocat à la Cour - Droit des majeurs protégés

www.canini-avocat.com


Sources : Conseil Constitutionnel, Décision no 2020-888 QPC du 12 mars 2021