Dans le cas d'une faute du gynécologue obstétricien ou de la sage-femme (souvent salariée de la maternité), la condamnation à indemniser l'enfant victime d'un accident lors de l'accouchement est fondée sur l'article L1142-1 (I) du code de la santé publique.

En revanche, en l'absence de faute de ceux-ci, la condamnation à indemnisation avait posé des difficultés aux avocats spécialisés car, aux yeux de la justice, l'accouchement était considéré comme un processus physiologique ce qui avait écarté toute indemnisation par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM). 

Fort heureusement, par un arrêt important publié au Bulletin, la Cour de cassation a adopté une solution qui tout en reconnaissant le principe physiologique de l'accouchement spontané, décide que les manoeuvres obstétricales du gynécologue obstétricien sont des actes de soins au sens des dispositions suivant lesquelles la victime d'un accident d'accouchement non fautif peut recevoir une indemnisation par l'ONIAM au titre de la solidarité nationale (Cass. civ. 1, arrêt du 19 juin 2019) :

« Mais attendu que, si l'accouchement par voie basse constitue un processus naturel, les manoeuvres obstétricales pratiquées par un professionnel de santé lors de cet accouchement caractérisent un acte de soins au sens de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique ; »

Environ un an et demi plus tard, quel est le bilan de l'application de cette jurisprudence de la Cour de cassation ?

Afin de comprendre ce bilan de jurisprudence, il convient de rappeler lesdites dispositions du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique.

I. Article L1142-1 (II) du code de la santé publique

L'arrêt de principe du 19 juin 2019 de la Cour de cassation rappelle succinctement le contenu de l'article L1142-1 (II) du code de la santé publique ainsi que son interprétation (Cass. civ. 1, 19 juin 2019) :

« Mais attendu qu'il résulte de l'article L. 1142-1, II, du code de la santé publique que, lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I de ce texte, ou celle d'un producteur de produits n'est pas engagée, l'ONIAM doit assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation de dommages résultant directement d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins à la condition qu'ils présentent un caractère d'anormalité au regard de l'état de santé du patient comme de l'évolution prévisible de cet état ; que, lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible ; que, pour apprécier le caractère faible ou élevé du risque dont la réalisation a entraîné le dommage, il y a lieu de prendre en compte la probabilité de survenance d'un événement du même type que celui qui a causé le dommage et entraînant une invalidité grave ou un décès ; »

Les manoeuvres obstétricales étant désormais des actes de soins, ces principes sont le fondement juridique d'une condamnation de l'ONIAM au titre de la solidarité nationale. 

II. Application dans le cadre des accidents d'accouchement sans faute

En raison de l'harmonisation de la jurisprudence en droit de la santé, les juridictions des ordres judiciaire et administratif ont appliqué la jurisprudence de la Cour de cassation.

La Cour administrative d'appel de Paris l'a ainsi appliquée (CAA Paris, 3e ch., arrêt du 06 février 2020)

Dans cette affaire, en raison d'une dystocie des épaules avec anoxie (mauvaise oxygénation) de l'enfant à naître, le gynécologue obstétricien a pratiqué des manoeuvres obstétricales afin de dégager les épaules coincées dans le bassin. Cependant ces manœuvres ont provoqué des séquelles chez la maman. La Cour administrative d'appel condamne l'ONIAM a indemnisé le préjudice subi : 

« Il résulte du rapport d'expertise que la neuropathie pudendale dont a souffert Mme X... a pour origine, notamment, la réalisation, dans les règles de l'art, de la manoeuvre obstétricale de Jacquemier pour la naissance par voie basse de son troisième enfant. Ainsi, contrairement à ce que soutient l'ONIAM, le dommage dont elle demande réparation est bien imputable de manière certaine à la réalisation de cet acte médical non fautif, alors même que l'accouchement par voie basse n'est pas en lui-même un tel acte médical. Par ailleurs, les experts désignés par la CRCI ont considéré que les complications dont a souffert Mme X... " sont si importantes et si rares que leur survenue doit être considérée comme anormale ", et qu'il n'existait, au moment de la réalisation de la manoeuvre de Jacquemier, aucune alternative dès lors que la naissance de l'enfant était inéluctable. »

La manoeuvre obstétricale qui a levé la dystocie étant un acte de soins, le préjudice subi par la maman est directement imputable à celui-ci et a eu pour la victime des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles elle était exposée par sa pathologie en l'absence de traitement.

Peu après la Cour administrative d'appel de Nancy a statué sur un autre cas de dystocie des épaules laissant les séquelles chez l'enfant d'une paralysie obstétricale du plexus brachial (CAA Nancy, 3e ch., arrêt du 03 mars 2020)

Annulant la décision du tribunal, le second juge applique pleinement la jurisprudence de son homologue judiciaire et condamne l'ONIAM à indemniser la victime de l'accident d'accouchement sans faute car les conditions du II de l'article L1142-1 du code de la santé publique sont remplies : 

« Si l'élongation du plexus brachial est une complication fréquente de la dystocie des épaules et survient, selon les données fournies par les experts, dans un cas de dystocie des épaules sur dix, les experts précisent que seuls 5 à 22 % des dystocies qui ont entraîné une lésion du plexus brachial laisseront de graves séquelles motrices. Par suite, la survenance d'un tel dommage, dans 0,5 % à 2,2 % des cas de dystocie des épaules, doit être regardée comme présentant une faible probabilité caractérisant son anormalité et justifiant que l'ONIAM soit tenu de l'indemniser au titre de la solidarité nationale. »

L'arrêt de principe de la Cour de cassation a effectivement changé la donne pour les litiges relatifs à la paralysie obstétricale du plexus brachial qui, même en l'absence de faute du gynécologue-obstétricien ou de la sage-femme, ouvrent droit à l'indemnisation du handicap de l'enfant au titre de la solidarité nationale (ONIAM).

Quelques mois après cette décision, un arrêt de la Cour administrative d'appel de Paris rappelle le caractère subsidiaire de l'indemnisation au titre de la solidarité nationale lorsqu'il existe une faute du gynécologue obstétricien ou de la sage-femme de la maternité (CAA Paris, 3e ch., arrêt du 23 juin 2020)

Dans cette affaire, la victime est née par forceps en raison d'une absence de progression et des anomalies du rythme cardiaque fœtal. Le forceps a été compliqué par une dystocie des épaules et dès sa naissance l'enfant a présenté une paralysie liée à une lésion sévère du plexus brachial.

En raison de la traction excessive utilisée par le gynécologue obstétricien, le second juge confirme le jugement qui a relevé une faute de nature à engager la responsabilité de l'hôpital.

Dans ces conditions, la cour administrative d'appel écarte toute indemnisation par l'ONIAM car selon les termes du II de l'article L1142-1 du code de la santé publique, celle-ci intervient lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée ce qui n'était pas le cas en l'espèce.

Dans une autre affaire déférée à la cour administrative d'appel de Bordeaux, la maman a subi des séquelles importantes après une extraction par forceps à dilatation complète du col de l'utérus en raison d'un défaut de progression du bébé lors des efforts expulsifs et d'un liquide amniotique teinté (CAA Bordeaux, 3e ch., arrêt du 03 novembre 2020).

Le second juge condamne l'ONIAM a indemniser l'accident d'accouchement sans faute au motif suivant : 

« A titre subsidiaire, en ce qui concerne le droit à indemnisation par l'ONIAM : elle a subi une anesthésie péridurale, des manoeuvres obstétricales, une extraction instrumentale et une épisiotomie, qui sont des actes médicaux et ont eu des conséquences anormales sur son état de santé dès lors que depuis sa sortie de la maternité, elle présente des douleurs et une incontinence, ainsi qu'un choc post-traumatique ; son incapacité temporaire de travail a été de 100 % durant six jours puis 70 % pendant 7 mois, ce qui est supérieur au seuil de gravité nécessaire à une indemnisation par l'ONIAM ; ainsi, elle peut prétendre à une indemnisation sur le fondement du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique. »

Par ces motifs, l'arrêt précise que l'anesthésie péridurale, les manœuvres obstétricales, l'extraction instrumentale (donc la pratique d'un forceps, de spatules ou d'une ventouse) et l'épisiotomie sont des actes de soins au sens du II de l'article L1142-1 du code de la santé publique. D'autre part, les douleurs, l'incontinence et le choc post-traumatique sont des préjudices qui ont eu des conséquences anormales sur son état de santé au sens du même texte. Ils ont également le niveau de gravité requis. Les conditions légales de l'indemnisation par l'ONIAM sont remplies.

Enfin, du côté de l'ordre judiciaire, un arrêt de la Cour d'Appel de Paris (CA Paris, P2-C2, 19 novembre 2020) concerne un enfant dont le handicap (une tétraplégie) est consécutif à un accouchement dans une position de siège. En effet, lors de l'expulsion est survenue une rétention de la tête de l'enfant dans le bassin de la maman. Afin de dégager la tête, le gynécologue obstétricien a pratique des manoeuvres obstétricales qui ont pu être à l'origine d'un traumatisme cervical et ainsi de la tétraplégie.  

La difficulté dans cette affaire était celle de savoir si le handicap est consécutif au traumatisme cervical survenu pendant l'accouchement ou à un kyste malformatif du rachis responsable d'une compression médullaire. En effet, ce kyste vu sur les examens radiologiques était déjà présent en anténatal car il s'agit d'une malformation congénitale.

Il s'agit ainsi pour le juge d'appliquer la condition de l'imputabilité directe du II de l'article L1142-1 du code de la santé publique, laquelle peut poser autant de difficulté pour la victime d'un accident d'accouchement que celles de l'anormalité du préjudice et du niveau de gravité du préjudice requis.

A cet égard, la Cour de Paris rappelle : 

« Considérant que ce texte [le II de l'art. L1142-1 CSP] subordonne l'indemnisation au titre de la solidarité nationale de l'accident médical non fautif à trois conditions, un lien avec l'acte médical, la gravité du dommage et son anormalité ; que l'indemnisation est, par conséquent, exclue lorsque les dommages n'ont pas eu de conséquences anormales pour le patient au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui ci, sans qu'il soit exigé que cet état soit la cause unique ni même déterminante du dommage et de l'évolution prévisible de celui ci ; qu'une complication ne relève pas de la solidarité nationale lorsque, que compte tenu de ses antécédents ou de son état de santé, le patient y était particulièrement exposé ; »

La Cour n'ayant pas été suffisamment éclairée par l'expertise pour y répondre, elle a ordonné une nouvelle expertise.

III. Conclusion

L'arrêt de principe de la Cour de cassation du 19 juin 2019 permet désormais l'indemnisation d'un accident d'accouchement sans faute dès lors que sont pratiquées une manoeuvre obstétricale, une extraction de l'enfant par forceps ou césarienne, une anesthésie péridurale ou une épisiotomie sous réserve que le préjudice subi remplisse les trois conditions légales de son imputabilité directe, de son anormalité et de sa gravité.

Ce premier bilan de jurisprudence montre son application par les juges du fond des deux ordres de juridiction dans le cadre d'un préjudice subi tant par la mère que l'enfant.

Afin de voir si votre enfant a subi un accident médical à la naissance, vous devez d'abord demander les dossiers d'accouchement et de réanimation néonatale.

Dimitri PHILOPOULOS - Avocat et Docteur en médecine 

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