La famille d'un enfant victime d'un accident d'accouchement et son avocat en droit de la santé ne manqueront pas de noter un arrêt du 16 février 2021 par le Conseil d'Etat ( CE, 5ème ch., 16 févr. 2021, n° 428513 )

Cette décision a été rendue dans le cadre d'une négligence commise par la sage-femme d'une maternité pendant la naissance d'un enfant qui a subi un manque d'oxygène. Atteint d'une encéphalopathie hypoxo-ischémique dans la période néonatale, l'enfant a conservé un handicap dû à une infirmité motrice cérébrale (IMC) appelée aussi paralysie cérébrale (PC).

Dans cette affaire, la sage-femme n'a pas appelé le gynécologue obstétricien de garde en dépit d'anomalies constatées du rythme cardiaque fœtal. Or, il convient de rappeler que la compétence professionnelle de la sage-femme se limite aux accouchements eutociques, donc physiologiques et sans difficulté particulière.

La sage-femme a également commis une faute médicale en raison de la durée excessive des efforts expulsifs. De fait, en raison des poussées de la mère, la période de l'expulsion s'accompagne de ralentissements fréquents et profonds pouvant conduire à une encéphalopathie anoxo-ischémique de l'enfant à naître. Pour cette raison, la durée de l'expulsion doit être limitée pour prévenir celle-ci.

Sur le plan de la responsabilité médicale, le Conseil d'Etat approuve le second juge qui a décidé que ces fautes de la sage-femme sont de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier dans lequel se trouve la maternité. 

En revanche, la Haute juridiction administrative censure l'arrêt en ce qui concerne certains chefs de l'indemnisation. 

1) Indemnisation des soins non conventionnels

Les enfants nés avec une infirmité motrice cérébrale ( paralysie cérébrale ) ont recours à la rééducation et à la réadaptation en particulier de la fonction motrice. 

Or, les méthodes non conventionnelles ne sont pas remboursées par la sécurité sociale.

Pourtant les parents ont recours aux méthodes non conventionnelles en France comme à l'étranger :

  • méthode Pëto ou éducation conductive
  • méthode Essentis ou rééducation intensive pluridisciplinaire
  • méthode Doman avec pour base le patterning
  • méthode Biofeedback 

Quant aux interventions chirurgicales, il peut s'agir des myo-téno-fasciotomies pratiquées dans différents établissements comme en Espagne notamment à Barcelone.

Les parents d'enfants atteints d'une infirmité motrice cérébrale après un manque d'oxygène à la naissance découvrent inévitablement ces méthodes à travers les témoignages d'autres parents d'enfants handicapés.

Or, les gynécologues obstétriciens (et/ou sages-femmes) responsables et leurs assureurs contestent l'indemnisation de ces méthodes de rééducation et de réadaptation sous prétexte que celles-ci ne sont pas pratiquées par le corps médical français. 

Il en va ainsi dans l'arrêt rapporté car l'hôpital a contesté l'indemnisation de telles dépenses de santé. 

Le second juge a suivi l'hôpital dans son raisonnement.

Le Conseil d'Etat annule la décision du second juge sur ce point :

« Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. et Mme Y... ont demandé le remboursement de séances de " biofeedback " suivies par le jeune X... ainsi que des frais de déplacement du médecin espagnol en charge du suivi des interventions de " myoténotomie " également suivies par l'enfant. La cour ne s'est pas prononcée sur ces chefs de préjudice. Par suite, les requérants sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt en tant qu'il a omis de statuer sur ces conclusions. »

Ce faisant le Conseil d'Etat permet aux parents de demander l'indemnisation des dépenses de santé du Biofeedback et de la myoténotomie pratiquée en Espagne.

2) Indemnisation des frais de transport pour les mêmes soins

Les méthodes non conventionnelles nécessitent souvent des déplacements importants.

Par exemple, la méthode Pëto pourrait nécessiter un déplacement en Hongrie étant précisé que l'association Enfance handicap moteur la pratique en France à Pouilly-sur-Loire (58).

La méthode Essentis exige des déplacements en Espagne à Barcelone.

La méthode Biofeedback peut rendre indispensable un déplacement aux Etats-Unis à Miami.

Dans l'arrêt rapporté, les gynécologues obstétriciens responsables des préjudices subis par l'enfant ainsi que leurs assureurs contestent l'indemnisation de ces frais de déplacement toujours sous prétexte que les soins ne sont pas conventionnels ou accepté par le corps médical français. 

Logiquement, le Conseil d'Etat censure le second juge qui a rejeté la demande des parents agissant en leur qualité de représentants légaux de leur enfant handicapé :

« Après avoir constaté que la victime avait dû suivre, compte tenu de son état de santé, des séances de " biofeedback " à Miami, plusieurs séances de " myoténofasciotomie " à Barcelone et que ses parents avaient en outre dû le conduire à diverses consultations médicales et séances de soins, la cour a cependant rejeté, faute de justificatifs suffisants, la demande de M. et Mme Y... tendant au remboursement des frais de déplacement occasionnés par ces séances. En excluant ainsi toute indemnisation à ce titre, alors qu'il ressortait de ses propres constatations que l'existence du préjudice des demandeurs présentait un caractère certain, la cour a commis une erreur de droit. »

Il en va de même pour le Conseil d'Etat en ce qui concerne l'indemnisation des mêmes frais demandés par les parents également en leur nom personnel :

« En rejetant la demande de M. et Mme Y... tendant au remboursement des frais de déplacement occasionnés pour accompagner leur fils à Miami, afin que celui-ci bénéficie de soins de " neurofeedback " au seul motif que la facture du billet d'avion n'était pas produite, alors qu'elle avait pourtant constaté la nécessité de ces soins, la cour a commis une erreur de droit. »

3) Position de la Haute autorité de santé sur ces méthodes

Souvent les assureurs des gynécologues obstétriciens demandent aux experts de préciser s'il existe une évaluation scientifique fiable des programmes de rééducation non conventionnels et si un bénéfice est démontré chez l'enfant.

A cet égard, la Haute autorité de santé (HAS) a déjà mis en place un groupe de travail sur la question mais ce groupe n'a encore pas rendu ses conclusions au moment de la rédaction du présent article.

La note de cadrage de la HAS se trouve à https://www.has-sante.fr/jcms/p_3166294/fr/reeducation-et-readaptation-de-la-fonction-motrice-des-personnes-porteuses-de-paralysie-cerebrale-note-de-cadrage

Encore faut-il ajouter que les assureurs oublient l'absence d'études qui montrent la supériorité d'une prise en charge conventionnelle par rapport aux méthodes de Pëto, de Biofeedback, de Doman ou d'Essentis.

Prétendre le contraire est une pure supposition de la part des assureurs qui n'est fondée sur aucune preuve scientifique.

4) Problème des frais futurs dans l'attente de la consolidation des séquelles 

Avant la consolidation, les gynécologues obstétriciens fautifs et leurs assureurs s'opposent souvent aux frais futurs de l'enfant IMC sous prétexte qu'il faut attendre la consolidation des séquelles avant de pouvoir les indemniser.

Dans l'arrêt rapporté, il s'agissait d'une opposition d'indemnisation des frais futurs de soutien psychologique.

Le Conseil d'Etat la rejette fermement au motif suivant : 

«  En estimant que le besoin du jeune X... en soutien psychologique n'était pas établi pour la période comprise entre la date de lecture de son arrêt et le dix-huitième anniversaire de l'intéressé alors que la nécessité d'un tel accompagnement de l'enfant jusqu'à sa majorité ressortait, de façon suffisamment prévisible, tant des rapports d'expertise que du rapport d'évaluation sociale établi par la maison départementale des personnes handicapées, la cour a dénaturé les pièces du dossier. »

En conséquence, peuvent faire l'objet d'une indemnisation les frais futurs entre les dates de la décision et de la consolidation de la victime à la condition que les éléments de preuve montrent leur nécessité de manière suffisamment prévisible.

Il s'agit d'une appréciation souveraine des juges du fond qui doit néanmoins respecter certaines limites notamment celle de ne pas dénaturer les pièces du dossier comme le rappelle le Conseil d'Etat.

5) Côté pratique pour la famille de la victime et son avocat

L'absence de reconnaissance des méthodes de rééducation et de réadaptation non conventionnelles par le corps médical français ouvre la porte à de nombreuses contestations devant le juge.

Les avocats en droit de la santé et en droit médical qui interviennent dans la défense et l'indemnisation des victimes d'erreurs médicales pendant l'accouchement peuvent obtenir l'indemnisation des dépenses de santé fût-elles non conventionnelles.

A cet égard, d'une part, la famille de la victime doit réunir scrupuleusement l'ensemble des pièces nécessaires pour justifier cette demande : par exemple, comptes-rendus, factures, devis et billets. 

Elle doit communiquer celles-ci à l'expert et au juge afin de permettre l'indemnisation.

D'autre part, dans le cas où l'expert pourrait émettre des réserves quant aux méthodes non conventionnelles, l'avocat peut verser aux débats un avis technique d'un médecin conseil spécialiste de pédiatrie. Le juge attache une importance considérable à un tel avis.

En outre, il faut verser aux débats la jurisprudence pertinente, comme l'arrêt rapporté, qui montre que le droit positif permet pleinement l'indemnisation de tels frais.

Enfin, les recommandations à intervenir de la Haute autorité de santé pourraient apporter des précisions utiles aux juges.

Au total, l'arrêt rapporté du Conseil d'Etat montre aux parents d'enfants victimes de fautes médicales commises pendant l'accouchement que la jurisprudence actuelle permet l'indemnisation de toutes les dépenses de santé restant à leur charge.  

Dimitri PHILOPOULOS - Avocat et Docteur en médecine 

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