L'affaire qui suit mérite attention, tant pour la durée de la procédure, que pour l'éclairage qu'elle apporte sur le dispositif de contrôle des structures, quant à son étendue et à sa finalité.

Le 1er décembre 2009, un candidat, Mr F., dépose auprès de l'administration une demane d'autorisation d'exploiter des terres agricoles d'une superficie totale de 171 ha 25 ares, terres situées en partie sur le département de l'Oise (101 ha 75 a) et en partie sur le département de l'Eure-et-Loir (69 ha 50 a). Il convient de préciser que le siège d'exploitation est situé dans l'Oise et que le fonds situé dans l'Eure-et-Loir est distant de 160 kilomètres de ce siège.

Après avoir consulté le préfet de l'Eure-et-Loir, comme le veut la procédure, la préfet de l'Oise a délivré par arrêté du 28 mars 2010 à F. une autorisation d'exploiter pour l'ensemble.

Deux propriétaires, E. et H. détenant (une partie) des terres concernées par cette demande saisissent le Tribunal Administratif d'Amiens en vue d'obtenir l'annulation de l'arrêté préfectoral.

Ils obtiennent gain de cause et par jugement rendu le 29 mai 2012, le tribunal administratif annule l'arrêté attaqué.

Le candidat F. saisit la Cour Administrative d'Appel de DOUAI, laquelle constate que E. et H. ne sont pas propriétaires de terres sur le département de l'Oise et qu'ils n'ont, de ce fait, pas d'intérêt à agir pour poursuivre l'annulation de l'autorisation pour ces parcelles (115 ha 28 ares 82 centiares). La Cour, par arrêt du 3 octobre 2013, annule donc le jugement du 29 mai 2012 qui annulait l'arrêté préfectoral en tant qu'il accordait l'autorisation d'exploiter pour les terres de l'Oise.

F. retrouve donc le bénéfice de la décision préfectorale pour les terres du département de l'Oise.

Formant un pourvoi devant le Consel d'Etat, ce dernier, par un arrêt du 20 novembre 2015, annule l'arrêt de la Cour Administrative d'Appel de DOUAI du 3 octobre 2013, car elle a commis une erreur de fait : la surface en cause sur le département de l'Oise est de 101 ha 75 a (et non de 115 ha 28 a 82 ca) et renvoit devant la CAA de ... DOUAI.

Le 6 février 2018 (soit près de 5 ans après son erreur), la Cour de DOUAI rend un nouvel arrêt par lequel elle annule le jugement du tribunal administratif d'Amiens en tant qu'il a annulé l'arrêté préfectoral du 28 mars 2010 accordant l'autorisation d'exploiter une surface de 101 ha 75 a dans l'Oise.

F. est conforté dans le bénéfice de la décision préfectorale l'autorisant à exploiter les terres de l'Oise, mais pour 101 ha 75 a.

A ce stade, il convient de préciser que le préfet de l'Oise avait constaté qu'il s'agissait d'une demande unique et que, pour  prendre sa décision, il s'était fondé sur le 7° de l'article L 331-3 du code rural et de la pêche maritime (dans sa rédaction à ce moment-là,laquelle était issue de la loi du 5 janvier 2006), à savoir "Prendre en compte la structure parcellaire des exploitations concernées, soit par rapport au siège d'exploitation, soit pour éviter que des mutations en jouissance ne remettent en cause des aménagements réalisés à l'aide de fonds publics".

Au visa de ce texte et compte tenu de la distance de 160 km séparant les deux fonds, le préfet avait considéré que cette distance ne faisait pas obstacle à la mise en valeur rationnelle (de l'ensemble) dans le cadre de l'examen de la viabilité du projet d'exploitation.

Prenant le contre-pied du préfet, la cour administrative d'appel décide, au contraire, que cette distance est "excessive" et qu'elle constitue "un obstacle à la mise en valeur rationnelle, directe et personnelle des terres concernées". Et que, partant, le préfet a commis une erreur d'appréciation "en tant qu'il a accordé au demandeur une autorisation d'exploiter pour les terres situées en Eure-et-Loir".

La juridiction adminstrative a donc considéré que, malgré le fait qu'il s'agissait d'une demande unique, l'autorisation d'exploiter pouvait ne pas être accordée, tout du moins pour une partie des terres.

Ce qui laissait entendre que cette législation était finalisée, à savoir favoriser l'émergence d'exploitations bien structurées (ni trop grandes, ni trop petites et pas trop dispersées) et qu'elle permettait d'écarter les demandes "hors-normes" quand bien même il s'agissait de demandes uniques (pas de demande concurrente).

Entretemps a été adoptée la loi du 13 octobre 2014, laquelle a précisé, de façon limitative, les cas dans lesquels l'autorisation d'exploiter peut être refusée (article L 331-3-1 nouveau).

En particulier, le 3° précise que "Si l'opération conduit à un agrandissement ou à une concentration d'exploitations au bénéfice d'une même personne excessifs au regard des critères définis au 3° de l'article L 331-1 et précisés par le schéma directeur régional des structures agricoles en application de l'article L. 312-1, sauf dans le cas où il n'y a pas d'autre candidat à la reprise de l'exploitation ou du bien considéré, ni de preneur en place".

Ce qui signifie que, dorénavant, quand bien même l'opération envisagée se traduirait par une concentration "excessive", le préfet serait tenu de délivrer une autorisation d'exploiter en présence d'une candidature unique.

L'esprit de cette législation reviendrait alors (uniquement) à départager les candidats en présence de demandes multiples, selon un ordre de priorité défini objectivement, et non pas à atteindre une structure d'exploitation "idéale".