Ce cri du coeur, entendu dans les couloirs du Palais (authentique, je ne dirai pas de qui il vient), tout juge a eu envie de le dire au moins une fois à un avocat, et tout avocat à son client. La Cour de cassation vient de s’en charger (Civ 1, 23 oct 2013, n° 12-25301).

 

Le message est adressé par la Cour de cassation aux juge des tribunaux et cours d’appels, mais aussi, indirectement à tout le monde : oui, la Table de référence publiée par le Ministère de la Justice pour la 1ère fois en 2010 (et réactualisée périodiquement depuis) est un outil intéressant aux mains des parents pour pouvoir se situer – sous entendu : pour qu’ils passent plus facilement des accords entre eux et donnent ainsi moins de travail au juge. Mais non, ils ne doivent pas pour autant (et surtout le juge ne doit pas lorsqu’il est saisi) se borner à l’appliquer aveuglément – sous-entendu stupidement. Sinon, à la place de gens qui ont fait 8 ans d’étude pour être magistrats, on mettrait des machines.

Il est d’autant plus facile de se rendre compte, dès le 1er abord, de l’absence de prétention exhaustive de cette table, qu’elle ne possède que trois variables : les revenus du « débiteur » de la pension, le nombre d’enfants, l’étendue du droit de visite et d'hébergement. Et que manque donc cruellement, au moins une quatrième variable qui semble essentielle : les revenus du « créancier » (celui qui a les enfants à titre habituel, sauf résidence alternée…). Comment peut-on ne pas être frappé par cet aspect ? On comprend bien qu’un père qui gagne 1.500 € par mois ne doit pas régler la même chose à la mère qui a les enfants à titre habituel, selon que celle-ci ne perçoit que le RSA, ou qu’elle est assise sur un patrimoine immobilier produisant 30.000 € de revenus locatifs par mois, tout de même !

Ajoutons que cette Table ne raisonne, et n’est en tout cas comprise par ses utilisateurs, qu’en termes de revenus « tout court », alors qu’il faudrait le faire aussi en termes de charges, et donc de revenus seulement « disponibles » (revenus – charges). D’ailleurs, l’exposé des charges dans ce type de litige constitue souvent le plus gros du travail; et pour cause, généralement, l’examen du revenu est vite vu, en tout cas s’agissant des salariés, puisqu’il suffit de lire une ligne de bulletin de paie ou d’avis d’imposition, alors que celui des charges implique de dresser une liste plus ou moins longue.

Plusieurs autres remarques pourraient être formulées pour montrer à quel point d’autres raffinements doivent être appliqués.

Par exemple, dans l’espèce saisie par la Cour de cassation pour effectuer son rappel à l’ordre, il est intéressant de constater que chacun des parents avait refait sa vie, mais pas pour se plonger dans les mêmes conditions : la nouvelle compagne du père était au chômage, alors que le nouveau compagnon de la mère avait un emploi. Par ailleurs, il y avait des enfants de « second lit »… Autant d’autres paramètres à prendre en compte.

 

[écrit le 15 décembre 2013]