Pour en savoir plus : voir « Traité de la responsabilité des constructeurs », par A. CASTON, F.-X. AJACCIO, R. PORTE et M. TENDEIRO, 7ème édition (960 pages), septembre 2013, éd. « Le Moniteur », page 826.

Cour de cassation

chambre civile 3

Audience publique du jeudi 4 avril 2013

N° de pourvoi: 11-27.972

Non publié au bulletin Rejet

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 22 septembre 2011), que M. X... a fait procéder, sous la maîtrise d'oeuvre de M. Y..., architecte, à une rénovation de sa maison d'habitation, consistant notamment en l'installation de meubles de cuisine réalisés par M. Z..., menuisier ; que ces travaux ont fait l'objet d'une réception sans réserves le 3 septembre 1992 ; que le 7 décembre 2003, M. X... ayant constaté, en démontant les tiroirs situés sous les tables de cuisson, que les tuyaux souples de raccordement au gaz étaient périmés depuis 1992, a procédé à leur remplacement ; que le lendemain, une explosion l'a grièvement blessé et a détruit l'immeuble ; qu'en février 2008, M. X... a assigné M. Y..., M. Z... et la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine pour obtenir la condamnation in solidum de M. Z... et de M. Y... à l'indemniser de ses préjudices corporel et moral ;

Sur les premier et deuxième moyens, réunis :

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de constater la prescription de l'action intentée contre M. Y... et de déclarer irrecevables les demandes formées à son encontre, alors, selon le moyen :

1°/ que M. X... exposait dans ses conclusions d'appel que la prescription édictée par les articles 1792 et suivants ne concerne que des dommages qui affectent un ouvrage ; qu'en l'espèce, il sollicitait la réparation de son préjudice corporel consécutif à des dommages causés par les auteurs des travaux effectués en méconnaissance de l'obligation de sécurité et de conseil ; qu'en conséquence, l'action en réparation de ses préjudices corporels ne pouvait être soumise à la garantie décennale des articles 1792 et suivants du code civil qui visent les dommages causés aux ouvrages et en aucune façon les dommages corporels causés par les manquements des intervenants à la construction à leurs obligations ; que dès lors, l'accident ayant eu lieu le 8 décembre 2003 et ses blessures n'étant toujours pas consolidées lorsqu'il a diligenté son action judiciaire le 21 février 2008, son action n'était pas prescrite ; qu'en déclarant le contraire sur le fondement des articles 1792 et suivants du code civil, sans s'expliquer sur ce moyen déterminant tiré de ce que ces articles ne s'appliquaient pas à la réparation des préjudices corporels de M. X..., la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

2°/ qu'en cas de préjudice corporel, c'est la date de consolidation qui fait courir le délai de prescription de l'article 2270-1 du code civil, dans sa rédaction applicable en l'espèce ; que dès lors, en déclarant prescrite l'action en réparation de ses préjudices corporels intentée par M. X... le 21 février 2008 quand ses blessures n'étaient alors pas encore consolidées, la cour d'appel a violé par refus d'application l'article 2270-1 du code civil dans sa rédaction applicable au litige ;

3°/ qu'un constructeur, nonobstant la forclusion décennale, est, sauf faute extérieure au contrat, contractuellement tenu à l'égard du maître de l'ouvrage de sa faute dolosive lorsque, de propos délibéré, même sans intention de nuire, il viole par dissimulation ou par fraude ses obligations contractuelles ; que M. X... exposait dans ses conclusions d'appel que M. Y... n'avait pas pris les précautions élémentaires dans le contrôle du raccordement au gaz des appareils encastrés et avait commis, de manière délibérée, une faute dolosive de nature à engager sa responsabilité contractuelle nonobstant la forclusion décennale dès lors qu'en négligeant, ainsi qu'il le reconnaissait lui même, de vérifier la conformité des installations aux normes les plus élémentaires, il avait été à l'encontre des règles de l'art et que des désordres graves risquaient d'en résulter ; qu'ayant constaté que, dans une lettre de novembre 2006, M. Y... reconnaissait : « malheureusement dans le contexte, je n'ai pas contrôlé le raccordement des plaques de cuisson au gaz, invisible du reste puisqu'elles étaient encastrées », « J'ai, à la suite des référés, appris que son raccordement avait été exécuté avec des tuyaux souples. Si je l'avais vu je l'aurais évidemment refusé puisque cela est contraire au règlement concernant les appareils encastrés, ce raccordement devait être exécuté en tuyau rigide », la cour d'appel a cependant considéré que cette reconnaissance de négligence et de certaines non-conformités, mêmes graves, ne suffisait pas à caractériser une volonté délibérée et consciente de méconnaître des normes constructives ou une partie de ses diligences qui ne résultaient pas non plus des attestations de témoins produites aux débats ; qu'en statuant ainsi, quand il résultait des propres constatations de l'arrêt que M. Y... avait délibérément négligé de prendre les précautions élémentaires dans le contrôle du raccordement au gaz des appareils encastrés et avait commis, de manière délibérée, une faute dolosive de nature à engager sa responsabilité contractuelle nonobstant la forclusion décennale dès lors qu'en négligeant de procéder au contrôle de l'installation, il avait été à l'encontre des règles de l'art et que des désordres graves risquaient d'en résulter, la cour d'appel n'a pas déduit de ses constatations les conséquences légales qui en découlaient et a violé l'article 1147 du code civil ;

Mais attendu, d'une part, que M. X... n'ayant pas demandé, pour déterminer le point de départ de la prescription, l'application de l'article 2270-1 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige, le moyen, fondé sur un refus d'application de ce texte, est nouveau, mélangé de fait et de droit ;

Attendu, d'autre part, qu'ayant, par motifs propres et adoptés, relevé que la réalisation de la cuisine de M. X... dans le cadre de la rénovation de sa maison était un ouvrage au sens de l'article 1792 du code civil, et constaté que ces travaux avaient été réceptionnés sans réserves le 3 septembre 1992, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de répondre à un moyen fondé sur le caractère corporel du préjudice invoqué que ses constatations rendaient inopérant, en a exactement déduit que la forclusion décennale était encourue ;

Attendu, enfin, qu'ayant constaté que M. Y... avait assuré la maîtrise d'oeuvre des travaux litigieux et qu'il résultait des conclusions du cabinet d'expertise de la compagnie d'assurance de M. X... et du rapport de la préfecture de police que l'explosion avait pour origine un mauvais raccordement des tuyaux de gaz par M. X..., et retenu que les fautes contractuelles de M. Y..., constituées par une surveillance insuffisante des travaux, le choix inadapté d'un menuisier et une négligence lors de la réception des travaux, ne suffisaient pas, quelle que soit leur gravité, à caractériser une fraude, une dissimulation, voire une volonté délibérée et consciente de violer ses obligations contractuelles, constitutives d'une faute dolosive, la cour d'appel en a exactement déduit que les demandes formées à son encontre étaient irrecevables ;

D'ou il suit que le moyen, pour partie irrecevable, n'est pas fondé pour le surplus ;

Sur le troisième moyen :

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes à l'encontre de M. Z..., alors, selon le moyen :

1°/ que M. X... exposait dans ses conclusions d'appel que M. Z... avait avoué avoir réalisé la cuisine et effectué le raccordement des tuyaux de gaz défectueux, revendiquant la solidité de l'installation par la preuve de sa longévité ; qu'en se bornant à énoncer que s'il n'était pas contestable que M. Z... était intervenu pour installer les meubles de cuisine, en revanche il n'était versé aux débats aucune pièce, aucune attestation rapportant la preuve qu'il avait lui-même installé les tuyaux souples de raccordement au gaz des plaques de cuisson, plusieurs personnes étant intervenues incontestablement dans la réalisation de la cuisine, et que rien ne permettait non plus d'établir qui avait assuré la fourniture des tuyaux litigieux, sans aucunement répondre au moyen de M. X... tiré de l'aveu initial de M. Z... selon lequel il avait effectué le raccordement, la cour d'appel a privé sa décision de motifs et violé l'article 455 du code de procédure civile ;

2°/ qu'un constructeur, nonobstant la forclusion décennale, est, sauf faute extérieure au contrat, contractuellement tenu à l'égard du maître de l'ouvrage de sa faute dolosive lorsque, de propos délibéré, même sans intention de nuire, il viole par dissimulation ou par fraude ses obligations contractuelles ; que M. Z... étant intervenu pour installer les meubles de cuisine, M. X... exposait dans ses conclusions d'appel qu'il avait violé par dissimulation ses obligations contractuelles en encastrant les meubles de cuisine en dissimulant ainsi la date de péremption des tuyaux souples, négligeant les risques liés au raccordement au gaz des tables de cuisson ; que dès lors, en déboutant M. X... de son action à l'encontre de M. Z... au seul motif qu'il n'était pas démontré qu'il avait lui même installé les tuyaux souples de raccordement au gaz des plaques de cuisson, sans rechercher si M. Z... n'avait pas violé ses obligations contractuelles en encastrant les meubles de cuisine ce qui dissimulait ainsi la date de péremption des tuyaux souples et rendait non visitables et inaccessibles les deux tuyaux et leur raccordement aux tables de cuisson de sorte que des désordres graves risquaient d'en résulter, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant, par motifs propres et adoptés, relevé, par une appréciation souveraine des éléments de preuve qui lui étaient soumis, qu'il n'était pas établi que M. Z... avait lui-même installé les tuyaux de raccordement au gaz, ni assuré leur fourniture, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche sur l'existence d'une faute dolosive commise par M. Z... en encastrant les meubles de cuisine qui ne lui était pas demandée et qui a pu en déduire que sa responsabilité ne pouvait être retenue, a légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;