Résumé:

 

  • L’existence d’un motif relatif d’opposition s’apprécie au jour de la demande contestée et non au jour où l’EUIPO statue.
  • Conséquence : une opposition fondée sur des droits antérieurs exploités au Royaume-Uni est recevable même si la décision est rendue après le 31 décembre 2020 (TUE, 16 mars 2022)

 

Le Tribunal de l’Union Européenne vient de rendre un arrêt important sur les conséquences du retrait du Royaume-Uni en matière de marques.

Les faits (résumés) étaient les suivants :

 

  • 8 mars 2016 : une société japonaise a formé opposition contre une demande de marque de l’Union Européenne sur la base de plusieurs droits antérieurs, dont des marques non-enregistrées mais utilisées au Royaume-Uni (passing-off) sur la base de l’article 8(4) du Règlement sur la marque de l’Union Européenne.
  • 20 septembre 2017 : l’opposition est rejetée car l’opposant n’avait pas suffisamment justifié ses droits antérieurs non-enregistrés.
  • 8 octobre 2018 : la chambre de recours rejette le recours.
  • 17 juillet 2019 : la chambre de recours révoque sa première décision en raison d’une erreur manifeste imputable à l’EUIPO.
  • 10 février 2021 : la chambre de recours rejette à nouveau le recours en considérant que, après le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne et après l’expiration de la période transitoire le 31 décembre 2020, l’opposante ne pouvait plus revendiquer l’action en passing off en vertu du droit du Royaume-Uni au titre de l’article 8(4) du RMUE.

 

 

La motivation de la chambre de recours est assez brève :

“ 24 After the United Kingdom's withdrawal from the EU and the expiry of the withdrawal agreement after 31 December 2020, rights that may exist in the United Kingdom do not constitute a legal basis in accordance with Article 8(2) EUTMR for the purpose of proceedings based on relative grounds, such as Article 8(1)(b), Article 8(4), and Article 8(5), EUTMR.

25 It follows that IR No 996 157, designating the United Kingdom, and IR No 871 962, designating the UK, cannot be relied on under Article 8(1)(b) and Article 8(5) EUTMR.

26 The opponent cannot claim passing off under English law in respect of Article 8(4) EUTMR.

27 As far as these asserted prior rights are concerned, the opposition must remain unsuccessful for this reason alone

 

En résumé, pour la chambre de recours, il faut prendre en compte la situation juridique le jour où elle statue. Or, en février 2021, le Royaume-Uni ne fait plus partie de l’Union Européenne et un droit antérieur national ne pourrait plus être invoqué, quand bien même l’opposition aurait été formée en 2016 bien avant le retrait du Royaume-Uni.

 

Dans son jugement du 16 mars 2022, le Tribunal annule la décision de la chambre de recours et adopte une solution contraire.

Le Tribunal confirme que l’existence d’un motif relatif d’opposition s’apprécie au moment du dépôt de la demande contestée et non au jour de la décision :

« à l’instar de la jurisprudence de la Cour de laquelle il ressort, en substance, que c’est la date d’introduction de la demande d’enregistrement de la marque contre lequel une opposition est formée qui est déterminante aux fins de l’identification du droit matériel applicable (voir point 18 ci-dessus), il ressort d’une jurisprudence désormais établie que l’existence d’un motif relatif de refus doit s’apprécier au moment du dépôt de la demande d’enregistrement d’une marque de l’Union européenne contre laquelle l’opposition est formée [arrêts du 30 janvier 2020, Grupo Textil Brownie/EUIPO – The Guide Association (BROWNIE), T‑598/18, EU:T:2020:22, point 19 ; du 23 septembre 2020, Bauer Radio/EUIPO – Weinstein (MUSIKISS), T‑421/18, EU:T:2020:433, point 34 ; du 1er septembre 2021, Sony Interactive Entertainment Europe/EUIPO – Wong (GT RACING), T‑463/20, non publié, sous pourvoi, EU:T:2021:530, point 118, et du 1er décembre 2021, Inditex/EUIPO – Ffauf Italia (ZARA), T‑467/20, non publié, EU:T:2021:842, point 58] » (§ 28).

 

Le Tribunal en déduit que la chambre de recours aurait dû examiner si les droits antérieurs non-enregistrés étaient susceptible de fonder l’opposition :

« 29      La circonstance que la marque antérieure pourrait perdre le statut de marque enregistrée dans un État membre à une date postérieure à celle du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque de l’Union européenne, notamment à la suite d’un éventuel retrait de l’État membre concerné de l’Union, est en principe dépourvue de pertinence pour l’issue de l’opposition (arrêts du 30 janvier 2020, BROWNIE, T‑598/18, EU:T:2020:22, point 19 ; du 23 septembre 2020, MUSIKISS, T‑421/18, EU:T:2020:433, point 35, et du 1er décembre 2021, ZARA, T‑467/20, non publié, EU:T:2021:842, point 59).

30      Par suite, la circonstance qu’une opposition au titre de l’article 8, paragraphe 4, du règlement no 207/2009 est fondée sur des marques antérieures non enregistrées utilisées dans la vie des affaires au Royaume-Uni et sur le droit relatif à l’usurpation d’appellation prévu par le droit du Royaume-Uni est dépourvue de pertinence s’agissant d’une opposition formée contre une demande d’enregistrement d’une marque de l’Union européenne déposée avant l’entrée en vigueur de l’accord de retrait et l’expiration de la période de transition (voir, en ce sens, arrêt du 1er septembre 2021, GT RACING, T‑463/20, non publié, sous pourvoi, EU:T:2021:530, points 119 et 120).

31      La demande d’enregistrement de la marque demandée ayant été déposée avant l’expiration de la période de transition, voire avant l’entrée en vigueur de l’accord de retrait (voir points 1 et 26 ci-dessus), force est de constater que les marques antérieures non enregistrées étaient, pour autant qu’elles avaient été utilisées dans la vie des affaires au Royaume-Uni, en principe, bien de nature à fonder l’opposition en l’espèce. Comme l’avance à juste titre la requérante, la chambre de recours aurait donc dû en tenir compte lors de son appréciation, ce qu’elle a pourtant refusé de faire au seul motif que la période de transition avait expiré au moment de l’adoption de la décision attaquée (voir point 22 ci-dessus). 

[…]

41 Il s’ensuit que, même à admettre que, après la fin de la période de transition, un conflit entre les marques en cause ne pourrait plus survenir, il n’en demeurerait pas moins que, en cas d’enregistrement de la marque demandée, un tel conflit aurait néanmoins pu exister pendant la période comprise entre la date du dépôt de la demande de marque de l’Union européenne et l’expiration de la période de transition, à savoir, en l’espèce, la période allant du 30 juin 2015 (voir point 1 ci-dessus) au 31 décembre 2020 (voir point 24 ci-dessus), soit une période de cinq ans et demi. Or, il est difficile de comprendre pourquoi la requérante devrait se voir refuser la protection de ses marques antérieures non enregistrées utilisées dans la vie des affaires au Royaume-Uni également pendant cette période, notamment en ce qui concerne l’utilisation potentielle de la marque demandée, qu’elle considère comme étant en conflit avec les premières. Par suite, il y a également lieu de reconnaître que la requérante a un intérêt légitime au succès de son opposition s’agissant de cette période.»

 

En conclusion, sont recevables les oppositions fondées sur des droits antérieurs du Royaume-Uni contre toute demande de marque de l’Union Européenne déposée avant le 31 décembre 2020.