L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Versailles concerne la protection, par le droit d’auteur, de la couverture du livre « L’embellie » d’Audur Ava Olafsdóttir, paru aux éditions ZULMA. La Cour consacre de longs développements à la question de l’originalité, clé d’entrée pour la protection.

La condition d’originalité fait toujours l’objet de débats compte tenu de son absence de définition légale précise. Un rapport du CSPLA de décembre 2020 a incité les pouvoirs publics à faire évoluer la charge probatoire de la preuve de l’originalité, en vain jusqu’à présent (https://www.culture.gouv.fr/content/download/281377/file/CSPLA%20-%20Rapport%20Preuve%20de%20l%27originalite%CC%81_d%C3%A9cembre%202020.pdf?inLanguage=fre-FR).

La définition française classique de l’originalité - l’empreinte de la personnalité de son auteur – est également renouvelée par les arrêts de la Cour de Justice (Arrêts Infopaq du 16 juillet 2009, Eva Maria Painer du 1er décembre 2011,Football Dataco du 1er mars 2012, Levola du 13 novembre 2018 et Cofemel du 12 septembre 2019).  Selon ces arrêts, l’originalité est présente lorsque l’auteur a pu exprimer ses capacités créatives lors de la réalisation de l’œuvre en effectuant des choix libres et créatifs.

Dans con arrêt du 22 mars 2012, la Cour d’appel développe longuement sa conception de l’originalité en s’inspirant de la jurisprudence européenne (1). En appliquant ces principes, elle conclut que la couverture n’est pas originale (2). Les éditions ZULMA obtiennent quant même gain de cause sur le parasitisme (3).

 

1. Les principes d’appréciation de l’originalité

 

Les principes juridiques d’appréciation de l’originalité peuvent être cités in extenso. Ils constituent une parfaite synthèse des conceptions française et européenne :

  • « La protection par le droit d’auteur d’une « 'œuvre » implique que l’objet soit original, c’est-à-dire qu’il soit identifiable avec une précision et une objectivité suffisantes d’une part, et qu’il reflète la personnalité de son auteur par la manifestation des choix libres et créatifs de ce dernier, d’autre part. 

 

  • S’agissant de la première condition, l’originalité implique nécessairement l’existence d’un objet identifiable avec suffisamment de précision et d’objectivité. En effet, d’une part, les autorités chargées de veiller à la protection des droits exclusifs inhérents au droit d’auteur doivent pouvoir connaître avec clarté et précision l’objet ainsi protégé. Il en va de même des tiers auxquels la protection revendiquée par l’auteur de cet objet est susceptible d’être opposée. D’autre part, la nécessité d’écarter tout élément de subjectivité, nuisible à la sécurité juridique, dans le processus d’identification dudit objet suppose que ce dernier ait été exprimé d’une manière objective. Ainsi ne répond pas à l’exigence de précision et d’objectivité requise une identification reposant essentiellement sur les sensations, intrinsèquement subjectives, de la personne qui perçoit l’objet en cause.

 

 

  • S’agissant de la seconde condition pour qu’un objet puisse être regardé comme original, il est à la fois nécessaire et suffisant que celui-ci reflète la personnalité de son auteur, en manifestant les choix libres et créatifs de ce dernier. En revanche, lorsque la réalisation d’un objet a été déterminée par des considérations techniques, par des règles ou par d’autres contraintes, qui n’ont pas laissé de place à l’exercice d’une liberté créative, cet objet ne saurait être regardé comme présentant l’originalité nécessaire pour pouvoir constituer une 'œuvre (CJUE, 12 septembre 2019, C.683/17, Cofemel – Sociedade de Vestuário SA contre G-Star Raw CV).

 

  • La charge de la preuve incombe à celui qui agit en contrefaçon. Il lui appartient d’identifier les caractéristiques de l''œuvre qui portent l’empreinte de la personnalité de son auteur et, partant, d’établir qu’elle remplit les conditions pour être investie de la protection légale. Il est nécessaire d’opérer à cet égard une description suffisamment précise pour limiter le monopole demandé à une combinaison déterminée opposable à tous sans l’étendre à un genre insusceptible d’appropriation. »

 

2. L’absence d’originalité de la couverture de « L’embellie »

 

La Cour relève que la condition d’identification est respectée puisque les différentes  caractéristiques de la couverture sont précisées (« la couverture se compose d’un motif sérié de losanges de couleur dégradée, allant du bordeaux au rose pâle, et d’un cartouche blanc de forme triangulaire, figurant sur le premier tiers de l’ouvrage, pointant vers le bas présentant un fin liseré rose et comportant le nom de l’auteur en lettres capitales en police Futura et le titre de l’ouvrage en lettres italiques en police Caslon »).

 

En revanche, les éditions ZULMA échouent à démontrer une liberté créative et un parti pris esthétique reflétant la personnalité de l’auteur.

 

Tous les arguments invoqués pour prouver l’originalité sont écartés :

 

  • La renommée internationale de l’auteur n’est pas un critère susceptible d’influer sur la condition d’originalité.
  • La volonté d’attirer l’attention du lecteur sur le titre et le nom de l’auteur « ne relève pas d’un choix esthétique ou créatif mais d’un objectif fonctionnel et utilitaire, commun à l’ensemble des sociétés d’édition. ».
  • Le fait que les Editions ZULMA utilisent régulièrement une charte graphique similaire ne démontre pas l’originalité mais, au contraire, démontre un genre graphique propre à cette société.
  • En appel, les éditions ZULMA tentaient de justifier l’originalité en soutenant que la couverture « fait le lien entre le choix d’un dégradé bordeaux à rose sur la couverture et le style fantasque et joyeux du récit, puis entre le choix de losanges de couleur rose dégradée et de structure poudrée, et le rose de la boue islandaise au crépuscule ainsi qu’avec un précédent roman de l’auteur ». Cet argument est écarté par la Cour d’appel car « 

 

Succès sur le parasitisme

 

Les éditions ZULMA reprochaient à un groupe de restauration d’avoir fait figurer la couverture sur une publicité (voir ici en page 6 : https://docplayer.fr/74200077-Le-mag-vaujours-telethon-2017-tous-mobilises-sujets-decembre-en-fete-forum-de-la-formation-travaux-de-la-rue-la-tournelle.html).

 

Tout d’abord, la demande en parasitisme est déclarée recevable car « son action au titre du parasitisme ne saurait être considérée comme une action de repli dans la mesure où celle-ci poursuit un intérêt distinct de celui de la contrefaçon : obtenir réparation du préjudice né de la volonté par les sociétés Zulma de tirer profit de sa notoriété et de ses investissements, en s’appropriant l’identité visuelle d’ouvrages édités par elle et en substituant sa marque et son slogan publicitaire au titre de l’ouvrage et au nom de l’auteur. »

 

Sur le fond, le parasitisme est reconnu car : les auteurs de la publicité litigieuse « ont profité indûment de la réputation et de la notoriété, qui constituent des valeurs économiques appropriables, acquises par la société Zulma ainsi que des investissements qu’elle a opérés pour fabriquer et promouvoir l’ouvrage 'L’Embellie’ et ce, peu important que cette fabrication et cette promotion ait eu lieu cinq années auparavant. ».