Cet arrêt est commenté par :

- M. LASSERRE CAPDEVILLE, Gaz. Pal., 2013, n° 314, p. 10.

Cour de cassation

chambre civile 1

Audience publique du mercredi 11 septembre 2013

N° de pourvoi: 12-15.897

Non publié au bulletin Rejet

Sur le moyen unique, pris en ses huit branches :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 30 janvier 2012), que les époux X... ont souscrit un prêt auprès de la caisse régionale de Crédit agricole mutuel d'Aquitaine (la banque) afin de financer l'acquisition d'un bien immobilier destiné à la location et leur permettant de réaliser une opération de défiscalisation ayant donné lieu à une étude personnalisée élaborée par la société Coff aux droits de laquelle vient la société Auvence ; que s'estimant victimes d'un préjudice consécutif à ce montage financier, les époux X... ont assigné la banque et la société Coff en réparation ;

Attendu que la banque reproche à l'arrêt de la condamner à payer aux époux X... une certaine somme à titre de dommages-intérêts, alors, selon le moyen :

1°/ que le banquier n'est tenu d'une obligation de conseil que lorsqu'il finance des investissements à caractère spéculatif ; que tel n'est pas le cas d'un prêt consenti en vue de l'acquisition de biens immobiliers destinés à produire des revenus locatifs compensant la charge des crédits et offrant aux investisseurs une possibilité de défiscalisation ; qu'en l'espèce, pour retenir la responsabilité de la banque, l'arrêt attaqué se contente de relever, d'une part, que l'investissement réalisé par les époux X... ne leur a pas rapporté les revenus locatifs escomptés -le bien n'ayant pu être loué que pour un loyer de 490 euros alors qu'il avait été estimé à 530 euros-, d'autre part, que l'opération comportait nécessairement un aléa pour un foyer n'acquittant pas un impôt sur le revenu supérieur à 2 500 euros par an, de sorte que malgré le profit, moindre que celui qui était attendu, que les époux X... ont pu réaliser, ceux-ci auraient pu renoncer à s'engager dans cette opération s'ils avaient été mieux informés par la banque ; qu'en statuant de la sorte, l'arrêt attaqué, qui n'a à aucun moment constaté que les crédits consentis par celle-ci auraient été excessifs eu égard aux capacités des emprunteurs et aux revenus attendus de l'opération, a mis à la charge de la banque une obligation de conseil qui ne lui incombait pas eu égard à la nature de l'opération en cause, et violé l'article 1147 du code civil ;

2°/ que l'emprunteur qui recherche la responsabilité du banquier à qui il reproche un manquement à son devoir de conseil pour l'avoir incité à effectuer une opération d'investissement locatif censé lui procurer des avantages fiscaux doit établir l'existence d'un préjudice financier que cette opération lui a causé ; qu'en l'espèce, l'arrêt attaqué se contente de relever d'une part que l'investissement réalisé par les époux X... ne leur a pas rapporté les revenus locatifs escomptés -le bien n'ayant pu être loué que pour un loyer de 490 euros alors qu'il avait été estimé à 530 euros- d'autre part que l'opération comportait nécessairement un aléa pour un foyer n'acquittant pas un impôt sur le revenu supérieur à 2 500 euros par an, ce dont l'arrêt déduit que, mieux informés, les emprunteurs auraient pu renoncer à s'engager dans cette opération ; qu'en se déterminant de la sorte, tout en ayant constaté que l'opération d'investissement avait effectivement permis aux époux X... de réaliser un gain fiscal (1 300 euros en 2007, 2008 et 2009), la cour d'appel, qui n'a pas fait ressortir la réalité du préjudice qu'aurait fait subir aux époux X... la souscription de l'opération en cause, dont ceux-ci ne pouvaient ignorer le caractère aléatoire des gains qu'ils pouvaient en tirer, et ce alors que la banque n'avait souscrit à leur égard aucune garantie de rendement, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;

3°/ que la cour d'appel qui énonce que la banque est « manifestement intervenue pour proposer et personnaliser » l'investissement litigieux, sans préciser d'où elle déduisait cette affirmation, a privé sa décision de motifs en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;

4°/ qu'en énonçant que la banque est « manifestement intervenue pour proposer et personnaliser » l'opération d'investissement en cause et en reconnaissant dans le même temps que l'opération a été souscrite sur la base d'une étude qu'elle qualifie de « personnalisée » réalisée « par la société Coff », conseil en investissement, la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction de motifs en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;

5°/ qu'en relevant, pour retenir que la banque avait manqué à son obligation de conseil, qu'elle n'avait pas attiré l'attention des époux X... sur le caractère aléatoire d'une opération reposant sur le remboursement d'un emprunt au moyen des revenus tirés de la location du bien acquis, motifs impropres à établir qu'à la date de son octroi, le prêt accordé par la banque aurait été excessif au regard des facultés de remboursement des époux X..., compte tenu des revenus produits par les locations escomptées du bien acquis au moyen de ce prêt, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;

6°/ que le banquier qui octroie un prêt à taux variable est seulement tenu d'une obligation d'information portant sur les modalités de calcul et de révision du taux d'intérêt ; qu'il n'est en revanche tenu d'aucune obligation de mettre en garde l'emprunteur qui décide d'opter pour un taux révisable, ce type de taux n'étant, par principe ni plus ni moins adapté au financement d'une opération d'investissement que ne l'est un taux fixe ; qu'en retenant que la banque avait manqué à son obligation de mise en garde en laissant les emprunteurs faire le choix d'un prêt à taux variable, quand la banque n'était tenue d'aucune obligation de cette nature, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil ;

7°/ que la cour d'appel qui, en outre, se prononce sans égard pour les conclusions de la banque qui faisait valoir que le taux variable en cause était plafonné (taux initial + deux points) de sorte que les époux X... connaissaient avec précision le risque né de la possible variation de leur taux et que la banque avait donc nécessairement satisfait à son obligation d'information ou de mise en garde, a privé de plus fort sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;

8°/ que l'indemnisation d'une perte de chance ne peut être égale à la valeur de la chance perdue ; qu'en condamnant la banque à verser aux époux X..., solidairement avec la société Coff, une somme de 30 000 euros, en réparation du préjudice consistant en la perte d'une chance de ne pas effectuer l'opération d'acquisition immobilière litigieuse, sans s'expliquer sur la réalité même du préjudice financier que les époux X... auraient subi, ni constater que la perte subie ou le gain manqué au titre de l'opération était, a minima, supérieur à 30 000 euros, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant relevé, par motifs propres et adoptés, sans se contredire, que la banque avait, d'une part, proposé et personnalisé l'investissement locatif litigieux dont la nature était manifestement inadaptée à la situation des époux X..., d'autre part, assorti son offre de prêt de longue durée d'un taux variable accentuant les risques d'une opération périlleuse, la cour d'appel en a exactement déduit que la banque avait manqué tant à son devoir d'information et de conseil au titre de l'investissement locatif, qu'à son devoir de mise en garde au titre de l'octroi du prêt, ces différents manquements ayant causé un préjudice constitutif d'une perte de chance que la cour d'appel a souverainement fixé à un montant inférieur au préjudice global des époux X..., justifiant ainsi légalement sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la caisse régionale de Crédit agricole mutuel d'Aquitaine aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la caisse régionale de Crédit agricole mutuel d'Aquitaine, la condamne à payer la somme de 3 000 euros à la société Auvence et la somme globale de 3 000 euros aux époux X... ;