Pour en savoir plus : voir « Traité de la responsabilité des constructeurs », par A. CASTON, F.-X. AJACCIO, R. PORTE et M. TENDEIRO, 7ème édition (960 pages), septembre 2013, éd. « Le Moniteur », page 50.

COUR ADMINISTRATIVE D'APPEL DE NANTES.

3ème Chambre

PLEIN CONTENTIEUX

N° 12NT00057

16 mai 2013.

Inédite au recueil Lebon.

Vu la requête, enregistrée le 4 janvier 2012, présentée pour la commune de Mignières (Eure-et-Loir), représentée par son maire en exercice, dont le siège est 8, avenue de la Mairie à Mignieres (28630), par Me Lester, avocat au barreau de Chartres ; la commune de Mignières demande à la cour :

1º) d'annuler l'ordonnance nº 11-722 en date du 3 novembre 2011par lequel le vice-président du tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant à la condamnation la SA Touzet BTP et la SAS MOCS à lui verser la somme de 9 480,07 euros correspondant au coût du déplacement des réseaux publics enterrés situés Clos des Tilleuls, route de Thivars, sous l'emprise d'une propriété privée, ainsi que tous frais et dépens, et notamment les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 1 463,08 euros ;

2º) de condamner ces sociétés à lui verser les sommes demandées, augmentées des intérêts de retard ;

3º) de mettre à la charge de la SAS MOCS la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des marchés publics ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 18 avril 2013 :

- le rapport de Mme Specht, premier conseiller ;

- les conclusions de M. Degommier, rapporteur public ;

- et les observations de Me Lester, avocat de la commune de Mignières ;

1. Considérant que la commune de Mignières (Eure-et-Loir) a réalisé un lotissement de quatre lots, au Clos des Tilleuls, route de Thivars, dont la maîtrise d'oeuvre a été confiée, par une convention du 23 janvier 2003, à la société Maîtrise d'oeuvre Coordination Sécurité (MOCS) ; qu'après appel d'offres, la SA Touzet BTP a été retenue pour réaliser les travaux de voirie et de réseaux divers ; que la réception de ces travaux a été prononcée sans réserve le 29 août 2003 ; qu'en 2008, lors de la réalisation des fondations d'un mur de clôture, un propriétaire de ce lotissement a constaté sur sa parcelle la présence de réseaux publics d'eau, d'électricité et de téléphone ; que saisi par la commune, le juge des référés du tribunal administratif d'Orléans a, par une ordonnance du 19 mai 2009, désigné M. C... en qualité d'expert, qui a remis son rapport le 21 décembre 2009 ; que la commune de Mignières relève appel de l'ordonnance du 3 novembre 2011par laquelle le vice-président du tribunal, sur le fondement des dispositions du 7º de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la SA Touzet BTP et de la SAS MOCS ; que la société Iris Conseil Aménagement, qui vient aux droits de la SAS MOCS, conclut à titre principal, quant à elle, au rejet de la requête et, à titre subsidiaire, à la limitation de sa responsabilité à vingt pour cent des dommages résultant des désordres ;

Sur la responsabilité et sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

2. Considérant, en premier lieu, que si la commune invoque la responsabilité de l'entrepreneur et du maître d'oeuvre sur le fondement des principes dont s'inspirent les articles 1792 et suivants du code civil, il ne résulte pas de l'instruction que l'implantation des réseaux enterrés d'eau, de téléphone et d'électricité en partie sur l'emprise d'une propriété privée pouvait être regardée comme relevant de désordres de nature à compromettre la solidité de ces réseaux ou à les rendre impropres à leur destination ; que, par suite, la responsabilité décennale des constructeurs ne saurait être engagée ;

3. Considérant, en deuxième lieu, que la réception des travaux ne met fin aux rapports contractuels entre le maître de l'ouvrage et les maîtres d'oeuvre qu'en ce qui concerne la réalisation de l'ouvrage et ne fait pas obstacle à ce que la responsabilité contractuelle des maîtres d'oeuvre soit recherchée à raison des manquements à leur obligation de conseil auprès du maitre de l'ouvrage au moment de la réception des travaux ; que la responsabilité des maîtres d'oeuvre pour manquement à cette obligation peut être engagée, dès lors qu'ils se sont abstenus d'appeler l'attention du maître d'ouvrage sur des désordres affectant l'ouvrage et dont ils pouvaient avoir connaissance, en sorte que la personne publique soit mise à même de ne pas réceptionner l'ouvrage ou d'assortir la réception de réserves ; qu'il importe peu, à cet égard, que les vices en cause aient ou non présenté un caractère apparent lors de la réception des travaux, dès lors que le maître d'oeuvre en avait eu connaissance en cours de chantier ;

4. Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise, que

sur la portion de la voie desservant le lotissement du Clos des Tilleuls et formant une courbe, les réseaux enterrés d'eau, de téléphone et d'électricité ont été installés partiellement sur la partie privative d'une parcelle du lotissement au lieu d'être posés sous la voie publique comme prévu par les plans, l'expert ayant constaté un écart de 80 cm entre l'implantation prévue par le projet et celle résultant des travaux réalisés par l'entreprise Touzet BTP ; qu'en vertu de l'article 301.5 " Implantation-Nivellement " du cahier des clauses techniques particulières, le piquetage général devait être réalisé contradictoirement entre le maitre d'oeuvre et l'entrepreneur ; que, par suite, il appartenait au maître d'oeuvre de s'assurer de la correcte implantation des réseaux, contradictoirement avec l'entrepreneur, sans que la société Iris Conseil Aménagement puisse se prévaloir de l'absence de visibilité de ces réseaux en l'absence de bornage effectué permettant de matérialiser leur implantation sous la voie publique ; que l'erreur d'implantation des réseaux, qui était aisément décelable par un maître d'oeuvre normalement précautionneux, est de nature à engager la responsabilité de la société MOCS pour défaut de conseil, quand bien même ces désordres n'étaient plus visibles à la date de la réception des travaux en raison du comblement de la tranchée ; que, dans ces conditions, la commune de Mignières est fondée à soutenir que les fautes ainsi commises sont de nature à engager la responsabilité contractuelle de la société MOCS ; que si la société Iris Conseil Aménagement, qui vient aux droits de la SAS MOCS, demande que sa responsabilité soit limitée à vingt pour cent du montant des dommages, le préjudice subi par le maître d'ouvrage qui a été privé de la possibilité de refuser la réception des ouvrages ou d'assortir cette réception de réserves, du fait d'un manquement du maître d'oeuvre à son obligation de conseil, et dont ce dernier doit réparer les conséquences financières, n'est pas directement imputable aux manquements aux règles de l'art commis par les entreprises en cours de chantier ; qu'il suit de là que la responsabilité de la société MOCS est entièrement engagée à l'égard de la commune de Mignières ; que cette société doit être condamnée à réparer l'entier préjudice ainsi causé ;

Sur le préjudice :

5. Considérant que la commune de Mignières a produit un devis de réfection de la voie d'un montant de 9 480,07 euros TTC qui comprend notamment des frais de déplacement d'une équipe de Gaz de France et d'Electricité de France pour la vérification de la conformité des réseaux concernés ; qu'il résulte toutefois de l'instruction et notamment du rapport de l'expert, que le coût des travaux de réfection de la voie et de réimplantation des réseaux enterrés d'eau, de téléphone et d'électricité, à l'exclusion du réseau de gaz, a été évalué à la somme de 4 725 euros HT, montant qu'il y a lieu de retenir pour déterminer l'indemnité due à la commune ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que la commune de Mignières serait assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée dans le cadre de l'exécution de ces travaux ; qu'il suit de là que l'évaluation du préjudice s'élève à 5 651,10 euros TTC ; que la commune qui demande que l'indemnité soit réévaluée en fonction de la variation de l'indice du bâtiment BT01 constatée depuis le dépôt du rapport d'expertise, n'établit pas avoir été dans l'impossibilité financière ou technique de faire procéder aux travaux nécessaires à la date du dépôt du rapport de l'expert ; qu'ainsi c'est à cette date que doit être évaluée l'indemnité à laquelle elle peut prétendre en réparation des désordres ; qu'il y a lieu, par suite, de condamner la société Iris Conseil Aménagement à verser la somme de 5 651,10 euros TTC à la commune de Mignières ;

Sur les frais d'expertise :

6. Considérant qu'il y a lieu de mettre à la charge définitive de la société Iris Conseil Aménagement le montant des frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 1 463,08 euros par l'ordonnance susvisée du 25 janvier 2010du président du tribunal administratif d'Orléans ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la commune de Mignières est fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, qui n'est au demeurant entachée d'aucune irrégularité, le vice-président du tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative :

8. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Mignières qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, les sommes que la société Touzet BTP et la SAS MOCS, aux droits de laquelle vient la société Iris Conseil Aménagement, demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Iris Conseil Aménagement, le versement à la commune de Mignières de la somme de 2 000 euros ;

DÉCIDE :

Article 1er : L'ordonnance nº 11-722 du 3 novembre 2011du vice-président du Tribunal administratif d'Orléans est annulée.

Article 2 : La société Iris Conseil Aménagement venant aux droits de la SAS MOCS versera à la commune de Mignières la somme de 5 651,10 euros TTC en réparation des dommages subis.

Article 3 : La société Iris Conseil Aménagement venant aux droits de la SAS MOCS versera à la commune de Mignières la somme de 1 463,08 euros au titre des frais d'expertise.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la commune de Mignières est rejeté.

Article 5 : La société Iris Conseil Aménagement, venant aux droits de la SAS MOCS versera la somme de 2 000 euros à la commune de Mignières en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Mignières, à la société Iris Conseil Aménagement, à Me A...B..., mandataire judiciaire de la SA Touzet BTP, et à la SAS SN TTC.