Assurance - devoir de conseil - plafond de garantie
Cour de cassation - Chambre civile 2
- N° de pourvoi : 24-10.165
- ECLI:FR:CCASS:2025:C200838
- Publié au bulletin
- Solution : Cassation partielle
Audience publique du jeudi 18 septembre 2025
Décision attaquée : Cour d'appel de Nancy, du 25 septembre 2023
Président
Mme Martinel (présidente)
Avocat(s)
SARL Ortscheidt, SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
CH10
COUR DE CASSATION
______________________
Arrêt du 18 septembre 2025
Cassation partielle
Mme MARTINEL, présidente
Arrêt n° 838 F-B
Pourvoi n° V 24-10.165
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 18 SEPTEMBRE 2025
La CNA insurance company Europe, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° V 24-10.165 contre l'arrêt rendu le 25 septembre 2023 par la cour d'appel de Nancy (première chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [T] [O]-[F], domiciliée [Adresse 1],
2°/ à la société [X] [C], société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Brouzes, conseillère référendaire, les observations de la SARL Ortscheidt, avocat de la CNA insurance company Europe, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société [X] [C], et l'avis de M. Brun, avocat général, après débats en l'audience publique du 25 juin 2025 où étaient présentes Mme Martinel, présidente, Mme Brouzes, conseillère référendaire rapporteure, Mme Isola, conseillère doyenne, et Mme Cathala, greffière de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée de la présidente et des conseillères précitées, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 25 septembre 2023), le 5 octobre 2011, la
société [X] [C] a acquis par l'intermédiaire de Mme [O]-[F] (Mme [F]), conseiller en gestion de patrimoine, suivant convention dénommée « Amadeus », une collection de manuscrits auprès de la société Aristophil au prix de 500 000 euros et conclu avec cette société une convention de garde et de conservation de cette collection pour une durée de cinq années.
2. Les 16 février et 5 août 2015, la société Aristophil a été mise en redressement puis en liquidation judiciaires.
3. Après avoir obtenu la restitution des oeuvres et manuscrits dont la valeur fut estimée à dire d'expert entre 42 700 et 58 500 euros, la société [X] [C] les a vendus aux enchères publiques au prix de 40 200 euros.
4. Reprochant à Mme [F] un manquement à son obligation d'information et de conseil, la société [X] [C] a assigné celle-ci ainsi que son assureur, la société CNA Insurance Company Limited (l'assureur), en réparation de son préjudice.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche
5. La chambre commerciale, économique et financière de la Cour de cassation a délibéré sur ce moyen, après débats à l'audience publique du 25 mars 2025 où étaient présents Mme Schmidt, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Guillou, conseiller, M. Calloch, conseiller rapporteur, et Mme Sezer, greffier de chambre.
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en ses deux premières branches
7. La chambre commerciale, économique et financière de la Cour de cassation a délibéré sur ce moyen, après débats à l'audience publique du 25 mars 2025 où étaient présents Mme Schmidt, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Guillou, conseiller, M. Calloch, conseiller rapporteur, et Mme Sezer, greffier de chambre.
Enoncé du moyen
8. L'assureur fait grief à l'arrêt de condamner Mme [F] à payer à la société [X] [C] la somme de 360 375 euros en indemnisation du préjudice subi et, en conséquence, de le condamner à garantir Mme [F] du paiement des condamnations prononcées contre elle, alors :
« 1°/ que le conseil en gestion de patrimoine est tenu d'une obligation d'information, de conseil et de mise en garde à l'égard de son client, qui ne peut toutefois porter sur des risques inexistants et imprévisibles au moment de la conclusion du contrat ; qu'en condamnant Mme [F] à payer à la société [X] [C] la somme de 360 375 euros en indemnisation du préjudice subi, motifs pris qu'« en tant que professionnelle, Mme [F] n'a pas effectué les vérifications qui s'imposaient quant à la fiabilité du produit conseillé à la société [X] [C], sur la pertinence du rendement garanti du 8% à l'issue de cinq ans de contrat de garde », qu'« il y a lieu de se référer aux avis succincts certes mais clairs de l'AMF dès 2003 puis 2007 (pièces 11-1 b et c), en ce qu'ils engageraient les acteurs financiers, investisseurs et partant leurs conseillers en gestion de patrimoine, de garder la plus grande prudence par rapport aux produits Aristophil ainsi qu'aux sociétés les commercialisant », sans prendre en compte, comme il lui était demandé, la circonstance que les communiqués de l'AMF avaient été aussitôt retirés de son site internet et n'étaient plus accessibles lors de la souscription et, qu'à la date de la souscription du contrat, il n'existait aucune information sur un manque de fiabilité du produit Aristophil, lequel s'est révélé ultérieurement avec la découverte de la fraude et qui était imprévisible au moment de la souscription du contrat, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, devenu 1231-1 du même code ;
2°/ que la remise de documents contractuels ou commerciaux clairs et précis dans l'exposé des risques encourus constitue une information des risques de nature à mettre en garde le client ; qu'en condamnant Mme [F] à payer à la société [X] [C] la somme de 360 375 euros en indemnisation du préjudice subi, motifs pris qu'en retenant que « la seule information tenant à l'absence de sécurité de tout rendement du fait du caractère hypothétique du rachat in fine des biens acquis lui incombait ; or elle ne déclare pas avoir attiré l'attention de l'appelante sur ce point, tel qu'elle y était contrainte par ses obligations professionnelles et déontologiques », sans prendre en compte, comme il lui était demandé, la circonstance que les documents contractuels, « lus et approuvés » par la société [X] [C], mentionnaient clairement l'absence de garantie de rachat impliquant celle d'un aléa et d'un risque important de perte en capital, que l'investisseur ne pouvait ignorer eu égard au taux de rendement exceptionnel proposé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147, devenu 1231-1 du code civil ».
Réponse de la Cour
9. Après avoir relevé, d'un côté, que le placement mentionné dans la « fiche de connaissance client » établie par Mme [F] était qualifié de placement à moyen terme avec un risque faible et de l'autre, que contrairement à l'argumentaire du conseiller en gestion de patrimoine, le produit Aristophil ne présentait aucune garantie de rachat des collections à l'issue du contrat de garde, le contrat ne stipulant qu'une promesse de l'acquéreur-investisseur de revendre au prix initial majoré de 8% la collection à la société Aristophil qui disposait d'une simple option d'achat, l'arrêt retient que Mme [F] n'a pas alerté son client, comme ses obligations professionnelles et déontologiques le lui imposaient, de l'absence de sécurité de rendement du fait du caractère hypothétique du rachat in fine.
10. De ces seuls motifs, la cour d'appel a pu déduire que Mme [F] n'avait pas respecté son obligation de conseil, d'information et de loyauté à l'égard de la société [X] [C] en lui conseillant un produit qui ne correspondait pas objectivement à un investissement à risque faible tel que sollicité par cette société.
11. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Mais sur le second moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
12. L'assureur fait grief à l'arrêt de le condamner à garantir Mme [F] du paiement des condamnations prononcées contre elle, après application de la franchise de 3 000 euros au bénéfice de l'assureur, dans la limite du plafond de 2 000 000 euros applicable à toutes les condamnations prononcées à l'encontre de quelque tiers que ce soit au titre des réclamations formulées au titre de la police n° 1549 pour l'année 2016, alors « que le délai subséquent des garanties déclenchées par la réclamation ne peut être inférieur à cinq ans ; que le plafond applicable à la garantie déclenchée dans le délai subséquent mentionné aux quatrième et cinquième alinéas de l'article L. 124-5 est unique pour l'ensemble de la période, sans préjudice des autres termes de la garantie ou de stipulations contractuelles plus favorables, est spécifique et ne couvre que les seuls sinistres dont la garantie est déclenchée pendant toute cette période ; qu'en condamnant l'assureur à garantir Mme [F] du paiement des condamnations prononcées contre elle, après application de la franchise de 3 000 euros au bénéfice de l'assureur, « dans la limite du plafond de 2 000 000 euros applicable à toutes les condamnations prononcées à l'encontre de quelque tiers que ce soit au titre des réclamations formulées au titre de la police n° 1549 pour l'année 2016 », quand le délai subséquent commençait à courir à compter de la date de résiliation de la police n° FN 1549, soit au 1er janvier 2013 jusqu'au 1er janvier 2018, de sorte que toutes les réclamations constatées dans ce délai, et non pas seulement durant l'année 2016, étaient soumises au même plafond de garantie de 2 000 000 euros, la cour d'appel a violé l'article R. 124-4 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
Vu l'article R. 124-4 du code des assurances :
13. Il résulte de ce texte qu'en matière de garantie déclenchée par la réclamation, les sinistres donnant lieu à une réclamation formée durant le délai subséquent à la date de résiliation du contrat sont soumis à un plafond de garantie unique pour l'ensemble de la période subséquente, d'un montant au moins égal au plafond en vigueur durant l'année précédant la résiliation du contrat, sauf stipulations contractuelles plus favorables.
14. Pour condamner l'assureur à garantir Mme [F] du paiement des condamnations prononcées contre elle, après application de la franchise de 3 000 euros au bénéfice de l'assureur, dans la limite du plafond de 2 000 000 euros applicable à toutes les condamnations prononcées à l'encontre de quelque tiers que ce soit au titre des réclamations formulées au titre de la police n° 1549 pour l'année 2016, l'arrêt énonce que, s'agissant d'un fait dommageable réalisé pendant le temps du contrat et dénoncé postérieurement, soit en l'espèce en 2016, la garantie de l'assureur est engagée pendant une durée de cinq ans après la date d'effet de la résiliation, soit en l'espèce le 1er janvier 2013, et que le plafond de garantie prévu au contrat s'applique à la période du sinistre, soit du 1er janvier au 31 décembre 2016.
15. Il retient en conséquence que la garantie de l'assureur est due sous réserve du plafond de garantie de 2 000 000 euros applicable à toutes les condamnations prononcées au titre des réclamations formulées pour l'année 2016.
16. En statuant ainsi, alors que, sauf stipulations plus favorables du contrat d'assurance, le plafond de garantie en cause couvre l'ensemble des sinistres ayant donné lieu à une réclamation formée durant le délai subséquent, soit entre le 1er janvier 2013 et le 31 décembre 2017, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société CNA insurance company Europe à garantir Mme [F] du paiement des condamnations prononcées contre elle, après application de la franchise de 3 000 euros au bénéfice de l'assureur, dans la limite du plafond de 2 000 000 euros applicable à toutes les condamnations prononcées à l'encontre de quelque tiers que ce soit au titre des réclamations formulées au titre de la police n° 1549 pour l'année 2016, l'arrêt rendu le 25 septembre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;
Condamne Mme [O]-[F] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé publiquement le dix-huit septembre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.ECLI:FR:CCASS:2025:C200838
Analyse
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Titrages et résumés
Publié par ALBERT CASTON à 15:23
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