L'ordonnance n° 2015-1033 du 20 août dernier (« l’Ordonnance ») a transposé la directive 2013/11/UE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2013 relative au règlement extrajudiciaire des litiges de consommation (dite « Directive RELC »), en introduisant dans le Code de la consommation un nouveau « TITRE V : Médiation des litiges de la consommation» (articles L. 151-1 à L. 157-1).
Il conviendra de noter, qu’en parallèle de la Directive RELC, a été adopté le même jour un Règlement du Parlement européen et du Conseil[1] (« le Règlement ») devant s’appliquer, plus spécifiquement, au règlement extrajudiciaire des litiges concernant des obligations contractuelles découlant des contrats de vente ou de service en ligne conclus entre un consommateur résidant dans l’Union et un professionnel établi dans un autre Etat membre de l’Union. Ce règlement vise à la mise en place d’une plateforme européenne de règlement en ligne des litiges (« plateforme RLL »).
Il est à noter que le décret n°2015-1382 du 30 octobre 2015, pris en application de l’Ordonnance, est entré en vigueur le 1ernovembre 2015, ce qui laisse donc seulement aux professionnels, jusqu’au 1er janvier 2016, pour se mettre en conformité avec les termes de l’Ordonnance. De son côté, c’est le 9 janvier 2016, que le Règlement devient applicable.
Pour mémoire, l’Ordonnance consacre, aux termes du nouvel article L.152-1 du code de la consommation[2], un véritable « droit à la médiation » généralisé au bénéfice de tout consommateur français ou européen confronté à un différend lié à l’exécution d’un contrat de vente ou de service avec un professionnel établi en France.
- Quels sont les professionnels et les litiges concernés par ce « droit à la médiation »?
- Tous les professionnels[3], tous secteurs confondus sont concernés, à l’exclusion des professionnels opérant dans (a) les services d’intérêt général non économiques ; (b) les services de santé fournis par des professionnels de la santé et (c) les prestataires publics de l’enseignement supérieur.
- Sont concernés les litiges, tant nationaux que transfrontaliers (à savoir ceux émergeant entre un professionnel établi en France et un consommateur résidant dans un autre Etat membre de l’Union Européenne) qui sont de nature contractuelle (contrat de vente ou de prestation de services) et à l’initiative du consommateur (la médiation ne s’applique pas aux poursuites introduites par le professionnel à l’encontre du consommateur).
Il sera noté également que l’Ordonnance ne transpose qu’imparfaitement la Directive en ce qu’elle ne vise que les litiges relatifs à « l’exécution du contrat » (article L .151-1 du code de la consommation) alors que la Directive vise, en son article 4, les litiges « découlant du contrat de vente ». Est-ce à dire donc que les litiges relatifs à la formation du contrat, et en particulier à l’information précontractuelle à donner au consommateur échappent à la procédure de médiation « à la française » ? Nous ne le pensons pas, une telle restriction n’étant ni conforme à l’esprit du texte européen, ni même souhaitable en pratique.
- pour être éligible à la médiation, le litige concerné (i) doit avoir fait l’objet, au préalable, d’une réclamation écrite qui aura été adressée directement par le consommateur au professionnel et qui sera restée infructueuse ; ladite réclamation ne devant pas être manifestement infondée ou abusive, (ii) doit avoir été introduit auprès du médiateur dans l’année de la réclamation écrite restée infructueuse et (iii) ne doit pas avoir déjà été examiné par un autre médiateur ou par le tribunal (article L.152-2 du code de la consommation).
- Quelles obligations incombent aux professionnels d’ici au 1er janvier 2016 ?
- La mise en place d’une procédure de médiation assortie de garanties
Pour rendre effectif le « droit à la médiation », le professionnel a le choix entre :
- mettre en place son propre dispositif de médiation (médiation d’entreprise)
- ou proposer le recours à un autre médiateur institutionnel ou sectoriel ; étant précisé qu’en tout état de cause, le professionnel doit toujours permettre au consommateur d’accéder, s’il existe, au médiateur sectoriel (article L.152-1). Lorsqu’un médiateur public est compétent pour procéder à la médiation, toute autre médiation conventionnelle est en principe et sauf exception exclue (article L.152-5).
Par ailleurs, le dispositif de médiation mis en place par le professionnel doit présenter les garanties suivantes :
- liberté : le professionnel doit systématiquement proposer au consommateur le règlement amiable du litige par le biais de la médiation mais ne doit pas contractuellement l’imposer (la mention dans les conditions générales imposant le recours à la médiation avant tout recours contentieux est donc proscrite – cf. article L.152-4 du code de la consommation). En outre, les parties restent libres de se retirer, à tout moment, de la procédure de médiation et d’accepter ou de refuser la solution proposée par le médiateur, dans un délai qui sera fixé par ce dernier (en cas de refus toutefois, il ne leur restera que le recours en justice ; un autre médiateur ne pouvant être saisi du même litige).
- accessibilité : la médiation doit être aisément accessible par voie électronique ou postale (article R. 152-1 a) du code de la consommation).
- gratuité : la procédure de médiation mise en place doit rester totalement gratuite pour le consommateur, et ce quel que soit l’enjeu financier du litige (sauf à ce que le consommateur choisisse de se faire assister par un avocat ou un expert, auquel cas il en assumera les coûts – article R.152-1 c) et d) du Code de la consommation)
- rapidité : la médiation doit se dérouler et se solder en 90 jours à compte de la date de réception du dossier complet par le médiateur
- efficacité : la procédure de médiation doit être accessible et aboutir à une solution concrète, sans qu’il soit ressenti le besoin par l’une ou l’autre des parties d’avoir recours à un avocat ou un conseiller
- confidentialité : les échanges entre les parties durant la procédure doivent rester strictement confidentiels
- qualités requises du médiateur : pour satisfaire aux exigences de sa mission[4], le médiateur doit remplir certaines conditions censées garantir son impartialité et son indépendance, en particulier lorsqu’il s’agit d’un médiateur d’entreprise (rémunéré par le professionnel) ou un médiateur sectoriel (rémunéré par un organisme ou une fédération professionnelle). Dans le cas du médiateur d’entreprise, il devra (i) être nommé par un organe collégial comprenant, à parité égale, des représentants d’associations de consommateurs agréées et de professionnels, (ii) ne pas travailler pendant trois ans à l’issue de son mandat (de trois ans également) pour le professionnel ou la fédération professionnelle à laquelle ce dernier est rattaché, (iii) n’avoir aucun lien fonctionnel ou hiérarchique avec le professionnel durant le temps que durera sa mission de médiateur et (iv) disposer, à l’instar du médiateur sectoriel d’ailleurs, d’un « budget distinct et suffisant pour mener à bien sa mission » (article L.153-2).
A noter que la médiation de la consommation, quel que soit le dispositif choisi, sera sous le contrôle de la nouvelle commission d’évaluation et de contrôle de la médiation de la consommation (CECMC) (articles L. 155-1 et suivants du code de la consommation) qui tiendra à jour la liste des médiateurs et sera directement placée sous l’autorité du Ministère de l’Economie.
- L’information du consommateur
Afin de permettre un recours effectif à la médiation et de garantir la lisibilité des dispositifs existants et la transparence des processus, l’Ordonnance prévoit des mesures d’information des consommateurs, notamment :
- l’obligation pour les professionnels d’informer les consommateurs sur « les coordonnées du ou des médiateurs compétents dont il relève » (article L. 156-1 du code de la consommation), en amont, et également, après introduction de la réclamation préalable par le consommateur à laquelle le professionnel n’entend pas réserver une suite favorable.
Cette obligation d’information nécessite une adaptation voire même une refonte du site Internet des professionnels et de leurs documents commerciaux (conditions générales de vente, factures, bons de commande et tout autre support approprié….) lesquels doivent afficher, de manière visible et lisible, les renseignements les informations requises.
- L’obligation pour les professionnels de la vente en ligne d’informer les consommateurs sur les dispositions prises pour mettre en œuvre sur leur site internet une plateforme de « Règlement des Litiges en Ligne » (RLL) en application de l’article 14 du règlement (UE) n° 524/2013 du 21 mai 2013 (article L.156-2). Les professionnels ont désormais la possibilité de recourir à la plateforme RLL, Youstice, en l’intégrant à leur site Internet.
Il sera relevé que ces obligations d’information et les sanctions qui y sont attachées semblent incomber et devoir être infligées, aux termes de l’Ordonnance, aux seuls professionnels (à l’exclusion des organismes et fédérations professionnels lesquels sont pourtant assujettis à de telles obligations aux termes de la Directive). Il semble néanmoins raisonnable de penser que, par souci de transparence, si les professionnels d’un secteur délèguent, par exemple, à leur syndicat/fédération professionnel(le) l’organisation et la mise en œuvre d’une procédure de médiation, il appartiendra à l’organisme ainsi désigné de satisfaire à ces obligations d’information sans que, par précaution, le professionnel se considère, pour autant, déchargé de ces mêmes obligations.
Tout manquement à cette obligation sera passible d’une amende administrative de 3.000 euros maximum pour les personnes physiques portée à 15.000 euros pour les personnes morales (article L.156- 3).
Il n’est pas exclu que, dans certains cas, le manquement à cette obligation d’information – voire même le non-respect de l’obligation consistant à mettre en œuvre une procédure de médiation – puisse être qualifié de pratique commerciale déloyale/trompeuse et passible, à ce titre, de sanctions pénales d’un montant bien plus significatif que la sanction administrative prévue.
En effet, ne serait-il pas possible de soutenir qu’en application de l’article L.121-1 II du code de la consommation, le fait de ne pas informer le consommateur de son « droit à médiation » – laquelle est une information « substantielle » dans la mesure où elle a trait aux « modalités de traitement des réclamations des consommateurs » – est une pratique commerciale trompeuse ? [5]
La question mérite certainement de se poser au vu de la conception parfois extensive de notion de pratique commerciale déloyale[6] et ce d’autant que les sanctions encourues n’ont plus rien à voir avec les sanctions administratives précitées : 300.000 euros et deux ans de prison pour les personnes physiques, amende quintuplée pour les personnes morales (article L.121-6 du code de la consommation).
En parallèle, les médiateurs ont l’obligation de mettre en place un site Internet dédié permettant l’information sur le processus de médiation, la saisine en ligne, etc… (article R.154-1 et R.154-2 du code de la consommation).
Reste à espérer que ces nouvelles contraintes offrent, à tout le moins, l’opportunité aux professionnels et à leurs clients consommateurs d’établir ou rétablir un cercle vertueux de la confiance participant, à terme, à la promotion de l’image et la réputation des professionnels, par le biais de clients satisfaits et prompts à faire savoir leur satisfaction, comme leur mécontentement d’ailleurs, sur les médias sociaux.
par Sarah Temple-Boyer, Avocat
[1] Règlement UE n°524/2013 du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2013 relatif au règlement en ligne des litiges de consommation et modifiant le règlement CE n°2006/2004 et la directive n°2009/22/CE (règlement relatif au RLLC)
[2] Article L.152-1 du Code de la consommation : « Tout consommateur a le droit de recourir gratuitement à un médiateur de la consommation en vue de la résolution amiable du litige qui l'oppose à un professionnel. A cet effet, le professionnel garantit au consommateur le recours effectif à un dispositif de médiation de la consommation ».
[3] Aux termes de l’article L.151-1 du code de la consommation, le professionnel s’entend de « toute personne physique ou toute personne morale, qu’elle soit publique ou privée, qui agit, y compris par l’intermédiaire d’une personne agissant en son nom et pour son compte, aux fins qui entrent dans le cadre de son activité commerciale industrielle, artisanale ou libérale » alors que le consommateur s’entend de « toute personne physique qui agit à des fins qui n’entrent pas dans la cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale » ……
[4] Article L.153-1 du code de la consommation : « le médiateur de la consommation accomplit sa mission avec diligence et compétence, en toute indépendance et impartialité, dans le cadre d'une procédure transparente, efficace et équitable »
[5] Article L.121-1 II du code de la consommation dispose que : « une pratique commerciale est également trompeuse si, compte tenu des limites propres au moyen de communication utilisé et des circonstances qui l'entourent, elle omet, dissimule ou fournit de façon inintelligible, ambiguë ou à contretemps une information substantielle ou lorsqu'elle n'indique pas sa véritable intention commerciale dès lors que celle-ci ne ressort pas déjà du contexte.
Dans toute communication commerciale constituant une invitation à l'achat et destinée au consommateur mentionnant le prix et les caractéristiques du bien ou du service proposé, sont considérées comme substantielles les informations suivantes : (…)
4° Les modalités de paiement, de livraison, d'exécution et de traitement des réclamations des consommateurs, dès lors qu'elles sont différentes de celles habituellement pratiquées dans le domaine d'activité professionnelle concerné »
[6] Cf. affaire CJUE C-388/13 du 16 avril 2015 Nemzeti Fogyasztóvédelmi Hatóság : la CJUE retient une conception très extensive de la pratique commerciale déloyale qui peut s’entendre d’une information erronée communiquée par le service après-vente à un seul consommateur.
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