En l'espace de quelques jours, les deux plus hautes juridictions des deux ordres, judiciaire et administratif, ont rendu deux décisions particulièrement intéressantes au regard de l'usage par un employeur de moyens de géolocalisation de ses salariés.

Dans un arrêt rendu le 15 décembre 2017, le Conseil d'Etat s'intéressait à la situation d'une entreprise, spécialisée dans la maintenance de systèmes informatiques, et qui avait fait l'objet d'un contrôle sur place par la CNIL, et à l'issue duquel l'autorité administrative a mis en demeure la société d'avoir à se mettre en conformité avec la loi du 6 janvier 1978 en raison d'un certain nombre de manquements constatés.

La société avait en effet mis en place un système de géolocalisation des véhicules employés par les employés itinérants, "afin, notamment, de mieux planifier les interventions", mais qui permettait également, selon les termes de l'arrêt, à collecter diverses données relatives aux incidents et évènements de conduite, et contrôler le temps de travail des salariés.

On comprend entre les lignes que c'est justement parce que le système mis en place permettait, notamment, de contrôler le temps de travail des salariés, que la CNIL considérait que le dispositif contrevenait à la loi Informatique et Libertés.

La société sollicitait du juge administratif qu'il annule cette décision. La Haute Assemblée rejette ce recours, en rappelant tout d'abord que la mise en demeure de mise en conformité n'a pas la nature d'une sanction et n'est donc pas soumise au formalisme de l'article 46 de la loi de 1978 précitée.

Mais surtout, au visa de l'article 6 de la loi du 6 janvier 1978, relatif au principe de proportionnalité entre les objectifs poursuivis par le traitement de données et les moyens mis en oeuvre, et l'article L. 1121-1 du Code du travail, qui protège les libertés individuelles et collectives au travail, le Conseil d'Etat considère que "l'utilisation par un employeur d'un système de géolocalisation pour assurer le contrôle de la durée du travail de ses salariés n'est licite que lorsque ce contrôle ne peut être fait par un autre moyen, fût-il moins efficace que la géolocalisation". Dans le cas contraire, le recueil et le traitement de telles données sont des mesures excessives soumises aux fourches caudines de la CNIL.

La société requérante ne pouvait donc utiliser les données de géolocalisation pour contrôler le temps de travail de ses salariés ; si le recueil peut être en soit licite, les données ne peuvent servir qu'à établir le temps passé et opérer la facturation corrélative des clients de la société. Le Conseil d'Etat constate ainsi en l'espèce que la société pouvait se fonder sur les éléments déclaratifs fournis par les employés eux-mêmes pour contrôler leur temps de travail.

Le Conseil d'Etat reconnaît implicitement que ce mode de contrôle est plus aléatoire, et nécessairement moins efficace qu'un contrôle via la géolocalisation. Néanmoins, les documents déclaratifs existent et doivent suffire au contrôle du temps de travail des subordonnés, à l'exclusion d'un STAD jugé excessif.

Les employeurs doivent donc se garder d'installer de tels systèmes, en arguant d'un double usage, dont le contrôle du temps de travail ne serait qu'un corrélaire. Leur seul salut est de faire en sorte que les données recueillies servent uniquement au but officiellement poursuivi.

En revanche, dans un autre arrêt, rendu cette fois par la Cour de cassation, cinq jours plus tard, apparaît une opinion qui peut paraître divergente.

En effet, un salarié électricien avait pris acte de la rupture de son contrat de travail, en considérant que la mise en place d'un système de géolocalisation qu'il jugeait illicite constituait un manquement de son employeur rendant impossible la poursuite de ce contrat.

Le salarié considérait que la mise en place du système de suivi électronique des véhicules de la société contrevenait à la loi du 6 janvier 1978, à l'article L. 1121-1 du Code du travail, et à l'article 8 de la CEDH, en ce que celle-ci n'aurait pas fait l'objet d'une notification "individuelle préalablement à la mise en oeuvre du système de géolocalisation, de la finalité ou des finalités poursuivies, des catégories de données de localisation traitées, de la durée de conservation des données de géolocalisation, des destinataires des données, de l'existence d'un droit d'accès, de rectification et d'opposition et de leurs modalités d'exercice".

Surtout, il considérait que le but poursuivi pouvait être atteint par d'autres moyens, notamment "un planning de travail aménagé en fonction de la demande de ses clients et de la disponibilité de ses salariés, de bons d'intervention à contresigner par les clients, de relevés d'heures de travail des salariés et de fiches d'intervention".

Las, la Cour de cassation considère de façon lapidaire que "la société avait organisé une réunion d'information en février 2011, suivie d'une déclaration à la CNIL le 4 avril 2011, avant de procéder à l'installation du dispositif et que, par lettre du 1er juillet 2011 adressée au salarié, elle avait rappelé les finalités de la géolocalisation".

Elle rejette le pourvoi du salarié en approuvant entièrement la position des juges du fond.

Il semble donc que la Cour de cassation ait une approche différente de celle de son homologue de l'ordre administratif, puisqu'en l'espèce, il paraissait difficilement contestable que les buts poursuivis par l'employeur, sensiblement identiques à ceux évoqués dans la première espèce, pouvaient être atteints par un autre moyen, que la Cour de cassation ne s'embarasse même pas de considérer plus ou moins efficaces qu'une géolocalisation.

Elle se contente de vérifier que les procédures préalables à la mise en place étaient suffisantes au regard des obligations (notamment de loyauté) de l'employeur.

La consultation d'un avocat au fait de ces procédures se fait donc plus impérieuse que jamais pour tout employeur qui souhaiterait mettre en place un système de géolocalisation de ses véhicules d'entreprise, tant il est vrai que ces systèmes sont devenus accessibles et forts pratiques.