La garde à vue de Gaspard Glanz était-elle légale ?

Par Luc Peillon 25 avril 2019 à 13:08

Le journaliste indépendant Gaspard Glanz, à la sortie du palais de justice de Paris, lundi 22 avril. Le journaliste indépendant Gaspard Glanz, à la sortie du palais de justice de Paris, lundi 22 avril. Photo Maxime Reynié

 

 

  

Les motifs ayant conduit à la retenue par la police, pendant 48 heures, du journaliste de Taranis News, semblent fragiles au regard du code de procédure pénale.

Question posée le 23/04/2019

Bonjour,

Lundi en fin de journée, le journaliste indépendant Gaspard Glanz s’est vu signifier par le juge des libertés et de la détention (JLD) une interdiction de paraître à Paris le 1er mai et tous les samedis jusqu’à la date de son procès, le 18 octobre, pour «outrage sur personne dépositaire de l’autorité publique». Une demande de levée de ce contrôle judiciaire, portée par son avocat, sera examinée lundi par la justice. 

La procédure en tant que telle a commencé samedi en milieu d’après-midi, lors de l’interpellation du journaliste, place de la République à Paris, après un doigt d’honneur adressé aux forces de l’ordre.

Il est alors placé en garde à vue, selon le parquet, pour «participation à un groupement en vue de commettre des violences ou des dégradations» et «outrage sur une personne dépositaire de l’autorité publique». A ce stade, la décision de mise en garde à vue, pour une durée de 24 heures, relève – d’office ou sur instruction du procureur – du pouvoir d’un officier de police judiciaire. Ce dernier doit néanmoins en informer le parquet.

Glanz, un «groupement» à lui seul ?

Pour être justifiée, la garde à vue, selon l’article 62-2 du code de procédure pénale, doit d’abord concerner «une personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement».

Sur la durée de la peine, la condition est remplie: les infractions reprochées à Glanz sont toutes deux passibles d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.

Concernant les «raisons plausibles» permettant de soupçonner la commission d’une infraction, c’est plus compliqué : «Autant l’outrage est difficilement contestable, autant le «groupement en vue de commettre des violences» n’a aucun sens, estime son avocat Raphaël Kempf. Il est seul, journaliste, et se contente de filmer. Où est le groupement, où est l’intention de commettre des violences ? Cette infraction est d’ailleurs celle qui est retenue chaque week-end contre de nombreux gilets jaunes pour les placer abusivement en garde à vue, sous prétexte qu’ils ont un masque ou du sérum physiologique dans leurs sacs.» Une façon, selon lui, «de les garder le temps de la manif, voire jusqu’au dimanche, avant de les relâcher, comme l’avait demandé en janvier le parquet de Paris, en totale violation de la loi».

Bref, si l’outrage, pour Glanz, semble constitué, l’infraction pour «groupement en vue de commettre des violences» paraît effectivement peu réaliste. Elle ne sera d’ailleurs par retenue par le parquet lui-même à la fin de la procédure.

Seconde série de conditions, la garde à vue doit constituer «l’unique moyen de parvenir à l’un au moins des objectifs suivants» :

«1. Permettre l’exécution des investigations impliquant la présence ou la participation de la personne

2. Garantir la présentation de la personne devant le procureur de la République afin que ce magistrat puisse apprécier la suite à donner à l’enquête

3. Empêcher que la personne ne modifie les preuves ou indices matériels

4. Empêcher que la personne ne fasse pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ou leurs proches

5. Empêcher que la personne ne se concerte avec d’autres personnes susceptibles d’être ses coauteurs ou complices

6. Garantir la mise en œuvre des mesures destinées à faire cesser le crime ou le délit.»

Comme l’ont fait remarquer plusieurs avocats sur les réseaux sociaux, l’outrage pour le doigt d’honneur – seule des deux infractions qui semble tenir la route – étant terminée et ayant été filmée, nul besoin de faire «cesser le délit», d’«exécuter des investigations», d’empêcher de «modifier les preuves», la «concertation avec des complices» ou «les pressions sur les témoins». Quant à garantir la présentation du mis en cause devant la justice, donc à éviter sa fuite, ses proches rappellent qu’il s’est toujours présenté aux différentes convocations précédentes et que son activité consiste précisément à suivre au plus près… les forces de l’ordre. 

Quant à la prolongation de la garde à vue après 24 heures (dimanche en fin de journée pour Glanz), elle est possible seulement sur autorisation du parquet, qui doit rendre une décision écrite et motivée. Si, à ce stade, les conditions sont les mêmes qu’au début (remplir au moins l’un des six objectifs), l’infraction doit, qui plus est, être punissable d’au moins un an de prison. Ce qui est le cas pour l’outrage (un an de prison et 15 000 euros d’amende).

Reste enfin, en phase initiale comme pour la prolongation, une troisième condition pour la garde à vue: la proportionnalité de la mesure par rapport à l’acte reproché. Selon l’article 62-3 du code de procédure pénale, en effet, «le procureur de la République apprécie si le maintien de la personne en garde à vue et, le cas échéant, la prolongation de cette mesure sont nécessaires à l’enquête et proportionnés à la gravité des faits que la personne est soupçonnée d’avoir commis ou tenté de commettre». Autrement dit, l’infraction – un doigt d’honneur – aurait été considérée par le parquet comme un acte suffisamment grave et, même filmé, aurait justifié deux jours d’enquête. Ce qui, là encore, semble pour le moins discutable.

Ces éléments peuvent-ils justifier une annulation de la garde à vue ? «Si la garde à vue et sa prolongation sont motivées, dans les PV, sur la seule infraction d’outrage, la nullité se défend vraiment, estime l’avocate Sophie Challan Belval. Si elle est motivée sur l’infraction du "groupement en vue de commettre des violences", c’est moins sûr, mais là aussi, il y a moyen de demander son annulation, notamment en plaidant que cette infraction est devenue une qualification passe-partout, et que ce n’était pas l’unique moyen de remplir les objectifs de la garde à vue. Il faut néanmoins attendre d’avoir connaissance du dossier et notamment de l’avis motivé de prolongation pour se positionner.»

Symptomatique de la période actuelle

Dernière séquence de la procédure, mais cette fois-ci à l’issue de la garde à vue : le défèrement de Gaspard Glanz devant le parquet, lundi en fin de journée. Le représentant du parquet a alors qualifié les faits reprochés d’outrage seulement et l’a convoqué pour une audience le 18 octobre.

S’en est suivie, dans la foulée, l’audience devant le JLD, au cours de laquelle le parquet a demandé l’instauration d’un contrôle judiciaire interdisant au journaliste de paraître à Paris jusqu’à l’audience. Le juge n’a accédé que partiellement à la demande du parquet, limitant l’interdiction aux samedis et au 1er mai. Mais comme ni le procureur ni le juge n’ont donné les raisons de ce contrôle judiciaire, «difficile de savoir ce qui justifie cette décision», estime l’avocat Raphaël Kempf. Pour autant, et comme la loi l’y autorise, ce dernier a d’ores et déjà demandé la «main levée» de ce contrôle judiciaire, qui sera examinée lundi, en début d’après-midi.

Quoi qu’il en soit, pour l’avocate Sophie Challan Belval, ce cas d’espèce est symptomatique de la période actuelle. Et problématique : «Dans le cadre du mouvement des gilets jaunes, on est face à des policiers épuisés, moins patients, y compris avec la presse. Mais si la réponse de la justice aux accusations d’outrage est d’accepter des contrôles judiciaires conduisant à interdire aux journalistes d’assister aux manifestations, ça devient inquiétant.»

Luc Peillon