Devoir du juge de rapport raisonnable de proportionnalité entre le montant de liquidation de l'astreinte et l'enjeu du litige
Note N. Cayrol, SJ G 2024, p. 70
Dans le même sens : 22-15.810.
Cour de cassation - Chambre civile 2
- N° de pourvoi : 21-25.582
- ECLI:FR:CCASS:2023:C201101
- Publié au bulletin
- Solution : Cassation partielle
Audience publique du jeudi 09 novembre 2023
Décision attaquée : Cour d'appel de Nimes, du 06 octobre 2021
Président
Mme Martinel (président)
Avocat(s)
SAS Hannotin Avocats, SCP Lyon-Caen et Thiriez
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 9 novembre 2023
Cassation partielle
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 1101 F-B
Pourvoi n° R 21-25.582
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 9 NOVEMBRE 2023
1°/ la société Les Sarcelles, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ la société [L] [E], société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], prise en la personne de M. [L] [E], agissant successivement en qualité de mandataire judiciaire et de commissaire à l'exécution du plan de la société Les Sarcelles,
ont formé le pourvoi n° R 21-25.582 contre l'arrêt rendu le 6 octobre 2021 par la cour d'appel de Nîmes (4e chambre commerciale), dans le litige les opposant :
1°/ à la société JBMEM, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 3],
2°/ à M. [Z] [I],
3°/ à Mme [H] [S], épouse [I],
tous deux domiciliés [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Philippart, conseiller référendaire, les observations de la SAS Hannotin Avocats, avocat de la société Les Sarcelles et de la société [L] [E], agissant successivement en qualité de mandataire judiciaire et de commissaire à l'exécution du plan de la société Les Sarcelles, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société JBMEM et de M. et Mme [I], et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 26 septembre 2023 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Philippart, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et Mme Cathala, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 6 octobre 2021), dans un litige opposant la société Les Sarcelles à ses voisins, M. et Mme [I], et à la société JBMEM, acquéreur du bien immobilier de ces derniers, un juge des référés a, par une décision du 3 juin 2015, confirmée par un arrêt du 2 février 2017, ordonné la régularisation par la société Les Sarcelles sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter du jugement, de l'acte authentique portant rectification des limites cadastrales entre les deux propriétés contiguës.
2. Invoquant une inexécution de cette obligation, M. et Mme [I] et la société JBMEM ont assigné la société Les Sarcelles, ainsi que la société [L] [E], en qualité de mandataire judiciaire de cette dernière, devant un juge de l'exécution, aux fins de liquidation de cette astreinte et de fixation d'une astreinte définitive.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa seconde branche
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. La société Les Sarcelles et la société [L] [E] font grief à l'arrêt de liquider l'astreinte à la somme de 379 400 euros, de fixer la créance de la société JBMEM et de M. et Mme [I] au passif de la procédure collective ouverte au nom de la société Les Sarcelles à cette somme, d'assortir l'obligation de faire prescrite par l'ordonnance du 3 juin 2015 d'une astreinte définitive de 500 euros par jour de retard passé un délai de 30 jours consécutifs à la signification de l'arrêt d'appel, de dire que cette astreinte définitive ne produira ses effets que durant une période maximale de trois mois et de fixer provisoirement la créance de la société JBMEM et de M. et Mme [I] au passif de la procédure collective ouverte au nom de la société Les Sarcelles à la somme de 45 000 euros correspondant à la liquidation de l'astreinte définitive susvisée, sous réserve d'actualisation en cas de disparition de l'obligation de faire prévue dans l'ordonnance du 3 juin 2015, alors « que le juge qui statue sur la liquidation de l'astreinte doit apprécier le caractère proportionné de l'atteinte qu'elle porte au droit de propriété du débiteur au regard du but légitime qu'elle poursuit ; qu'il doit en conséquence apprécier de manière concrète s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre le montant auquel il liquide l'astreinte et l'enjeu du litige ; qu'au cas présent, pour liquider l'astreinte à la somme de 379 400 euros, soit une somme très supérieure à la valeur de l'immeuble en litige, la cour d'appel s'est bornée à observer que l'obligation n'aurait pas été exécutée sans qu'une impossibilité puisse être établie, précisant que « la liquidation de l'astreinte fixée par un jugement n'est pas une indemnisation, de telle sorte qu'il n'y a pas à apprécier sa proportionnalité » ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher de manière concrète s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre le montant auquel il liquide l'astreinte et l'enjeu du litige, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 131-4 du code des procédures civiles d'exécution, interprété à la lumière de l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 131-4 du code des procédures civiles d'exécution, tel qu'interprété à la lumière de l'article 1 du protocole n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
5. Selon le premier de ces textes, l'astreinte provisoire est liquidée en tenant compte du comportement de celui à qui l'injonction a été adressée et des difficultés qu'il a rencontrées pour l'exécuter. Elle est supprimée en tout ou partie s'il est établi que l'inexécution ou le retard dans l'exécution de l'injonction du juge provient, en tout ou partie, d'une cause étrangère.
6. Il résulte du second que le juge qui statue sur la liquidation d'une astreinte provisoire doit, lorsque la demande lui en est faite, apprécier, de manière concrète, s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre le montant auquel il liquide l'astreinte et l'enjeu du litige.
7. Pour liquider l'astreinte provisoire à la somme de 379 400 euros, l'arrêt retient qu'il n'y a pas lieu d'apprécier la proportionnalité du montant de l'astreinte liquidée.
8. En statuant ainsi, en refusant d'examiner s'il existait un rapport raisonnable de proportionnalité entre le montant auquel elle liquidait l'astreinte et l'enjeu du litige, alors qu'elle était saisie d'une demande en ce sens, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il liquide l'astreinte prévue par l'ordonnance du juge des référés du 3 juin 2015 à la somme de 379 400 euros, fixe la créance de la société JBMEM et de M. et Mme [I] au passif de la procédure collective ouverte au nom de la société Les Sarcelles à cette somme, l'arrêt rendu le 6 octobre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence.
Condamne la société JBMEM et M. et Mme [I] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf novembre deux mille vingt-trois. ECLI:FR:CCASS:2023:C201101
Analyse
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Titrages et résumés
Publié par ALBERT CASTON à 12:25
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Libellés : astreinte , enjeu du litige , préjudice , principe de proportionnalité
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