L’on s’est déjà souvent, trop, ému de la position de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation aux termes de laquelle il revient aux victimes de prouver que les souffrances endurées ne sont pas déjà indemnisées par la rente.
Nous plaidons encore par la face nord ces dossiers au nom de victimes devant des Cours qui acquiescent souvent à notre analyse lors des audiences par des hochements de têtes verticaux ! quant au caractère critiquable de cette jurisprudence mais qui dans le cadre de la rédaction de leurs arrêts renoncent.
Mais si la roche tarpéienne est proche du capitole l’inverse est aussi naturellement tout aussi vrai !
Et par cet immense arrêt du 7 septembre 2021, la Cour d’appel de Nancy, montre la voie non pas de manière péremptoire mais au prix d’une argumentation motivée et étayée.
Et cette cour, par une décision d’ailleurs confirmative d’un jugement d’un pôle social, de commencer par indiquer que l’affaire « pose une question de principe et non pas simplement d’appréciation du niveau d’indemnisation ».
Puis l’argumentation est lumineuse et mérite d’être citée pêlemêle, au risque sinon de la trahir :
« C/ Réponse de la cour :
La position soutenue par l'AJE tend à faire coïncider le cadre d'indemnisation des souffrances éprouvées à la suite d'une faute inexcusable de l'employeur, qu'elles soient physiques ou morales, avec celui de droit commun issue de la nomenclature Dintilhac et le déficit fonctionnel permanent dans toutes ses composantes. Ainsi dans une telle perspective le périmètre des souffrances physiques et morales énoncées à l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale correspond aux souffrances endurées de cette même nomenclature, alors que les souffrances persistant après consolidation se trouvent indemnisées par le déficit fonctionnel permanent intégré à la réparation offerte par la rente.
Cependant, au-delà de la question controversée de l'imputation et donc de la correspondance entre la rente et le déficit fonctionnel permanent et qui fait l'objet d'interprétations divergentes de la part des juridictions de l'ordre judiciaire et administratif, une telle approche invoquée par l'AJE ne saurait être retenue alors que ,d'une part, elle aboutit à faire application de solutions de droit commun qui ne prennent pas en compte la spécificité du cadre d'indemnisation propre à la faute inexcusable de l'employeur tout en suscitant des égalités strictes de périmètre que ne connait pas le droit commun remettant en cause la nature duale du déficit fonctionnel permanent (a), d'autre part, l'indemnisation des souffrances physiques et morales relève des seules dispositions de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale qui leur sont propres et distinctes de la rente qui n'a ni pour objet ni pour finalité de réparer de quelconques souffrances (b).
a/ L'indemnisation des conséquences de la faute inexcusable de l'employeur, fondé sur un versement des compléments d'indemnisation par la caisse avant récupération auprès de l'employeur obéit à des conditions rappelées par les articles L. 452-2 et L. 4523 précités qui ne sont pas celles du droit commun dans le cadre duquel se trouvent imputées poste par poste les sommes versées par les tiers payeurs sur les indemnités réparant les préjudices subis dans les conditions notamment de l'article 31 de la loi du 5 juillet 1985. Or, dans le cadre de l'indemnisation de la faute inexcusable de l'employeur selon les conditions résultant de la réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel sur rappelées, le déficit fonctionnel permanent n'est pas réparé spécifiquement, et ce à la différence des principes applicables en droit commun où la réparation des souffrances endurées coexiste avec celle au titre du déficit fonctionnel permanent dans toutes ses composantes, s'étendant jusqu'à la prise en compte des phénomènes douloureux et des répercussions psychologiques. Il s'ensuit qu'il ne saurait être procédé au titre de la réparation des conséquences de la faute inexcusable à une détermination selon les conditions de droit commun des périmètres respectifs d'indemnisation des souffrances alors que le régime propre à la faute inexcusable, par le renvoi à la rente, ne le permet pas. Dans cette perspective, la circonstance selon laquelle le déficit fonctionnel permanent ne puisse être indemnisé spécifiquement dès lors qu'il porte sur des préjudices couverts en pour tout ou partie par le livre IV conformément aux principes issus de cette réserve d'interprétation, ne peut avoir pour conséquence de réduire le champ d'application de la réparation des souffrances physiques et morales prévues à l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale par la prise en compte du périmètre du déficit fonctionnel permanent dans la mesure où précisément ce déficit se trouve couvert par la rente relevant du livre IV du code de la sécurité sociale et que cette même réserve n'a pas remis en cause l'articulation des compléments d'indemnisation énumérés par ces textes mais a simplement mis en fin
au caractère limitatif des chefs de préjudices énoncés par ce même article L. 452-3 sans en réduire la portée.
b/ A cet effet, il ne saurait être soutenu qu'il existe une double indemnisation tenant à la prise en compte des souffrances pour la période postérieure à la consolidation qui résulterait du versement de la rente et de sa majoration dès lors qu'elle n'a ni pour objet ni pour finalité l'indemnisation de quelconques souffrances ce que confirment les modes de calcul sus rappelés.
En effet, le taux d'incapacité permanente est, selon l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale, déterminé d'après la nature de l'infirmité, l'état général, l'âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d'après ses aptitudes et sa qualification professionnelle, compte tenu d'un barème indicatif d'invalidité. A cet égard, il convient de préciser que ce barème, dont l'objet est de préciser les conditions d'application de ce texte législatif et en aucune façon de modifier le champ d'application des éléments destinés à la détermination du taux, ne comprend aucune indication portant en terme de souffrances. Si la notion de douleurs est évoquée à plusieurs reprises par ce barème, celles-ci se rapportent aux conditions d'évaluation de l'incapacité fonctionnelle et ne sont pas prises en compte isolément. Sous cet angle la souffrance n'est pas prise en compte en tant que telle et n'est pas considérée par l'article L. 452-3 précité. Elle ne saurait d'autant moins l'être que le taux s'applique au salaire annuel de l'intéressé, lequel, pour constituer un critère pertinent d'une perte de salaire résultant de l'incapacité de travail, ne saurait l'être s'agissant de la réparation de souffrances. Il s'ensuit que la rente et sa majoration ne peuvent indemniser les souffrances endurées par la victime, raison pour laquelle le législateur, au travers de la loi n° 76-1106 du 6 décembre 1976, est venu compléter l'indemnisation par les chefs de préjudices énoncés actuellement codifiés à l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale et ce alors même que la réserve d'interprétation résultant de la décision du 18 juin 2010 susmentionnée n'a pas porté sur l'articulation entre la rente majorée et la réparation des souffrances physiques et morales, ni même sur le principe même de ces deux chefs d'indemnisation complémentaires.
Il s'ensuit que l'indemnisation des souffrances physiques et morales prévue par l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale ne saurait être subordonnée à une condition tirée de la date de consolidation ou encore de l'absence de souffrances réparées par le déficit fonctionnel permanent qui n'est ni prévue par ce texte ni par les dispositions des articles L. 434-1, L. 434-2 et L. 452-2 du code de la sécurité sociale, en sorte que se trouvent indemnisées à ce titre l'ensemble des souffrances physiques et morales causées et éprouvées depuis l'accident ou l'évènement qui lui est assimilé, au nombre desquelles figurent l'angoisse de mort imminente qui constitue une des composantes des souffrances morales pour autant qu'elle soit caractérisée. »
Reste à savoir si un pourvoi va être formé. A suivre...
Et continuons à plaider et à encourager les cours à avancer sur la voie de la résistance en n'oubliant pas le mot de Camus issu de ses lettres atemporels à un "ami " allemand :
"L'esprit ne peut rien contre l'épée, mais l'esprit uni à l'épée est le vainqueur éternel de l'épée tirée pour elle-même."
V. l'excellent commentaire de cet arrêt par le Professeur Keim-BAGOT, Semaine sociale Lamy, 1er novembre 2021, n°1973
V.l'arrêt en pièce jointe.
Maître Vincent RAFFIN, Avocat associé au sein du cabinet BRG Avocats (Nantes-Paris), et responsable du département droit médical et dommages corporels, vous conseille, vous assiste et vous accompagne sur toute la France concernant vos litiges.
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