Cour de cassation

chambre civile 3

Audience publique du mardi 19 novembre 2013

N° de pourvoi: 12-26.588

Non publié au bulletin Rejet

Donne acte à la SCI Barbora Maria du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Eternit ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bastia, 4 juillet 2012), que la SCI Barbora Maria (la SCI) a chargé la société Cobat, assurée auprès de la société AGF aux droits de laquelle vient la société Allianz, de construire un complexe touristique composé, notamment, de douze petites villas ; que les travaux ont été réceptionnés sans réserve en juillet 1990 ; que des fourmis d'Argentine se sont installées et ont creusé des galeries dans les panneaux isolants, vendus par la société Lanata Balagne matériaux, placés en sous-faces des toitures ; que la SCI a demandé la réparation des désordres et l'indemnisation de son préjudice ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la SCI fait grief à l'arrêt de juger que les désordres ne sont pas de nature décennale et de la débouter, sur ce fondement, de sa demande tendant à la condamnation de la société Allianz, assureur de la société Cobat, alors, selon le moyen :

1°/ que tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit des dommages qui, affectant l'ouvrage dans l'un de ses éléments constitutifs, le rendent impropre à sa destination ; qu'en déboutant le maître de l'ouvrage de ses demandes au motif que les désordres dénoncés n'avaient ni rendu les lieux inhabitables, ni entraîné la cessation de l'exploitation du complexe touristique, sans rechercher si cette exploitation n'était perturbée de façon récurrente par des annulations ou interruptions de séjour à répétition, ni si les projections de poussières dans les lieux d'habitation n'étaient pas de nature à rendre les immeubles impropres à la destination touristique qui est la leur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1792 du code civil ;

2°/ qu'en se bornant à faire référence au rapport de l'assureur de la société Cobat préconisant un traitement insecticide sans rechercher si ce traitement, bien que réitéré à maintes reprises, ne se révélait pas radicalement inopérant pour mettre un terme définitif aux désordres, la cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale au regard de l'article 1792 du code civil ;

3°/ que la solidité de l'ouvrage ou son impropriété à sa destination doivent être appréciées indépendamment des diligences effectuées par le propriétaire pour remédier aux vices affectant celui-ci ; qu'en écartant tout désordre décennal au motif que le maître de l'ouvrage peut effectuer des traitements insecticides propres à remédier au désordre dénoncé, la cour d'appel a violé l'article 1792 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant retenu que l'apparition de petits tas de poussière dans les locaux se traduisait par un simple inconfort n'ayant pas empêché l'exploitation des bâtiments pendant le délai d'épreuve décennal et relevé, par motifs adoptés, que les désordres pouvaient efficacement être résolus par l'utilisation d'un produit insecticide dont il n'était pas soutenu qu'il devait être appliqué sur les panneaux eux-mêmes, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a légalement justifié sa décision de ce chef ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que la SCI fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande de condamnation des sociétés Cobat et AGF sur le fondement de la responsabilité contractuelle, alors, selon le moyen, que l'entrepreneur est tenu de signaler les risques présentés ainsi que de veiller à l'adéquation des procédés de construction et à une conception correcte de l'ouvrage en vue de le livrer exempt de vices ; que pour faire valoir que la société Cobat avait manqué à son devoir d'information et de conseil, la société Barbora Maria précisait qu'elle n'avait pas été avertie de l'absence de traitement contre les insectes du produit isolant fabriqué par la société Eternit ; qu'en se bornant à énoncer qu'aucun élément ne permettait de retenir que la présence « de fourmis d'Argentine » était un élément notoire en 1989 et que « bon nombre de matériaux utilisés dans les bâtiments peuvent être dégradés par le monde animal », sans rechercher si le simple fait de ne pas avoir informé le maître de l'ouvrage de l'absence de traitement anti-insecte d'un matériau composant la toiture d'une villa construite en pleine nature ne caractérisait pas un manquement au devoir d'information et de conseil pesant sur l'entrepreneur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant retenu, par des motifs non critiqués, que les panneaux, exempts de vices, étaient adaptés à leur usage, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à une recherche que cette constatation rendait inopérante, a pu en déduire que la responsabilité contractuelle de l'entreprise n'était pas engagée ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le troisième moyen :

Attendu que la SCI fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande de condamnation de la société Lanata Balagne matériaux sur le fondement de la responsabilité contractuelle, alors, selon le moyen, qu'il incombe au vendeur professionnel de prouver qu'il s'est acquitté de l'obligation de conseil lui imposant de se renseigner sur les besoins de l'acheteur afin d'être en mesure de l'informer quant à l'adéquation de la chose proposée à l'utilisation qui en est prévue ; qu'en se bornant à énoncer qu'aucun élément ne permettait de retenir que la présence « de fourmis d'Argentine » et que « bon nombre de matériaux utilisés dans les bâtiments peuvent être dégradés par le monde animal », sans rechercher si le revendeur s'était informé des conditions d'utilisation du matériau en cause et avait pu ainsi donner un conseil adapté, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1147 et 1315 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant retenu, par motifs propres et adoptés, que les panneaux, utilisés conformément à leur destination, étaient exempts de vices, qu'ils ne présentaient pas de pouvoir d'attraction particulier pour les insectes et qu'il n'était pas établi que la présence de fourmis d'Argentine sur le terrain était un élément notoire en 1989, la cour d'appel a pu en déduire que le revendeur n'avait pas manqué à son obligation de conseil ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Barbora Maria aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Barbora Maria à payer à la société Allianz la somme de 3 000 euros ; rejette la demande de la SCI Barbora Maria ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf novembre deux mille treize.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Gaschignard, avocat aux Conseils, pour la société Barbora Maria

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que les désordres invoqués par la société Barbora Maria ne sont pas de nature décennale et de l'avoir ainsi déboutée de sa demande tendant à la condamnation sur ce fondement de la société Allianz, assureur de la société Cobat,

AUX MOTIFS QUE la déclaration de sinistre faite par la société Cobat auprès de son assureur le 10 octobre 1994 suite à l'apparition « de petits tas de forme conique constitués de matière à l'état pulvérulant provenant de la sous-face du plafond » et le rapport du cabinet Saretec préconisant un traitement insecticide effectivement réalisé ne mentionnent pas l'existence de désordres tels qu'ils compromettraient la solidité de l'ouvrage ou le rendraient impropres à sa destination de résidence de tourisme ; qu'à l'inverse, dans un compte rendu d'accédit daté du 13 juin 2003 que rien n'autorise à écarter des débats, l'expert judiciaire Bernus a écrit que les désordres signalés, dus à la présence de fourmilière dans les toitures, ne menaçaient pas la solidité de l'ouvrage, « le creusement de galerie enlevant de la matière isolante pour la remplacer par un vide d'air équivalent, lui-même isolant » ; que M. Gérard X..., expert inscrit sur la liste nationale, confirme, dans un avis recueilli par la société Eternit, que la résistance thermique d'un vide d'air non ventilé représente, s'agissant d'une couverture, la même résistance thermique qu'une mousse de polyuréthane ; que les nouveaux éléments produits en appel par le maître de l'ouvrage, auquel incombe la charge de la preuve du caractère décennal des désordres, ne caractérisent pas davantage l'existence durant le temps de l'épreuve, de dommages portant atteinte à la solidité de l'ouvrage, le rendant dangereux ou impropre à sa destination ; que les attestations de clients faisant état de l'apparition de " petits tas de poussière " si elles traduisent un inconfort ne suffisent pas à caractériser l'impropriété de l'ouvrage à sa destination puisque, comme le soutiennent les intimés, cet inconfort a tout de même permis l'exploitation des bâtiments pendant le délai d'épreuve et jusqu'à aujourd'hui, ce qui dément l'existence d'une atteinte sévère à l'habitabilité des lieux qui serait causée, comme le soutient sans preuve l'appelante, par des nuisances sonores, visuelles et d ` agrément apparaissant au demeurant difficilement imputables à la présence de fourmis dans les toitures ; que quant à l'avis technique du professeur Y..., il ne précise pas les investigations effectuées sur site et il repose sur des considérations purement théoriques et générales dont il ne peut être tiré de conclusions significatives sur les exigences requises pour la mise en oeuvre de la garantie décennale en l'espèce ;

1°- ALORS QUE tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit des dommages qui, affectant l'ouvrage dans l'un de ses éléments constitutifs, le rendent impropre à sa destination ; qu'en déboutant le maître de l'ouvrage de ses demandes au motif que les désordres dénoncés n'avaient ni rendu les lieux inhabitables ni entraîné la cessation de l'exploitation du complexe touristique, sans rechercher si cette exploitation n'était perturbée de façon récurrente par des annulations ou interruptions de séjour à répétition ni si les projections de poussières dans les lieux d'habitation n'étaient pas de nature à rendre les immeubles impropres à la destination touristique qui est la leur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1792 du Code civil ;

2°- ALORS QU'en se bornant à faire référence au rapport de l'assureur de la société Cobat préconisant un traitement insecticide sans rechercher si ce traitement, bien que réitéré à maintes reprises, ne se révélait pas radicalement inopérant pour mettre un terme définitif aux désordres, la cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale au regard de l'article 1792 du Code civil ;

3°- ALORS en tout état de cause QUE la solidité de l'ouvrage ou son impropriété à sa destination doivent être appréciées indépendamment des diligences effectuées par le propriétaire pour remédier aux vices affectant celui-ci ; qu'en écartant tout désordre décennal au motif que le maître de l'ouvrage peut effectuer des traitements insecticides propres à remédier au désordre dénoncé, la cour d'appel a violé l'article 1792 du Code civil.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION (subsidaire) :

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la société Barbora Maria sa demande tendant à la condamnation des sociétés Cobat et AGF sur le fondement de la responsabilité contractuelle,

AUX MOTIFS QUE l'appelante reproche à celle-ci d'avoir mis en oeuvre un matériau défaillant en raison de sa faible résistance aux insectes ainsi que d'avoir manqué à son obligation de renseignement et de conseil en n'attirant pas l'attention du maître de 1'ouvrage sur le caractère inadapté du produit à l'environnement dans lequel est implanté l'ouvrage ; que c'est par une motivation précise, pertinente, non sérieusement critiquée par l'appelante que le premier juge a considéré qu'aucun élément ne permettait de retenir que la présence de fourmis d'Argentine sur le site de la SCI Barbora Maria était un élément notoire en 1989 et que le matériau fabriqué était particulièrement attractif pour ce type d'insectes et qu'en conséquence, il ne pouvait être reproché à l'entrepreneur d'avoir failli à ses obligations contractuelles en ne mettant pas en garde le maître de l'ouvrage voire en ne lui déconseillant pas d'utiliser le produit fabriqué par la société Eternit ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QU'il n'est pas contestable que tant l'entrepreneur que le revendeur n'ont pas déconseillé à la SCI Barbora d'utiliser les matériaux fournis par la société Eternit ; que pour autant, il n'est pas démontré que la présence de fourmis d'argentine sur le site de construction des immeubles de la SCI Barbora Maria était un élément connu de l'entrepreneur comme du revendeur en 1989 par le seul courrier, non daté, de Madame Janine Z... indiquant que « le problème des fourmis est récurrent » ; qu'au contraire, M. A... indique dans le courrier qu'il a adressé à l'ensemble des parties que selon lui les désordres liés aux fourmis étaient rarissimes et faciles à résoudre par des produits insecticides, ce qui tend à prouver qu'il n'existait pas de contre-indication à l'incorporation du matériau fabriqué par la société Eternit dans la toiture de la SCI Barbora Maria ; qu'il n'est pas d'avantage établi que la mousse de polyuréthane composant le matériau installé par la sarl Cobat est particulièrement attractive pour ces insectes ; que dès lors, comme le soutient M. Gérard X... dans son avis, bon nombre de matériaux utilisés dans les bâtiments peuvent être dégradés par le monde animal, ce fait connu de tous ne met pas à la charge du vendeur une obligation particulière d'information ; qu'ainsi aucun élément ne permet de retenir que la présence de fourmis d'Argentine sur le site de la SCI Barbora Maria était un élément notoire en 1989, que le matériau fabriqué par la société Eternit était « particulièrement attractif » pour ce type d'insectes et qu'ainsi tant l'entrepreneur que le revendeur ont faillis à leurs obligations contractuelles en ne mettant pas en garde la SCI Barbora Maria voire en ne lui déconseillant pas d'utiliser le produit fabriqué par la société Eternit ;

ALORS QUE l'entrepreneur est tenu de signaler les risques présentés ainsi que de veiller à l'adéquation des procédés de construction et à une conception correcte de l'ouvrage en vue de le livrer exempt de vices ; que pour faire valoir que la société Cobat avait manqué à son devoir d'information et de conseil, la société Barbora Maria précisait qu'elle n'avait pas été avertie de l'absence de traitement contre les insectes du produit isolant fabriqué par la société Eternit ; qu'en se bornant à énoncer qu'aucun élément ne permettait de retenir que la présence « de fourmis d'Argentine » était un élément notoire en 1989 et que « bon nombre de matériaux utilisés dans les bâtiments peuvent être dégradés par le monde animal », sans rechercher si le simple fait de ne pas avoir informé le maitre de l'ouvrage de l'absence de traitement anti-insecte d'un matériau composant la toiture d'une villa construite en pleine nature ne caractérisait pas un manquement au devoir d'information et de conseil pesant sur l'entrepreneur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;

TROISIEME MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la société Barbora Maria sa demande tendant à la condamnation de la société Lanata Balagne Matériaux sur le fondement de la responsabilité contractuelle,

AUX MOTIFS QUE c'est par une motivation précise, pertinente, non sérieusement critiquée par l'appelante que le premier juge a considéré qu'aucun élément ne permettait de retenir que la présence de fourmis d'Argentine sur le site de la SCI Barbora Maria était un élément notoire en 1989 et que le matériau fabriqué était particulièrement attractif pour ce type d'insectes et qu'en conséquence, il ne pouvait être reproché au revendeur la société Lanata Balagne, d'avoir failli à ses obligations contractuelles en ne mettant pas en garde le maître de l'ouvrage voire en ne lui déconseillant pas d'utiliser le produit fabriqué par la société Eternit ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QU'il n'est pas contestable que tant l'entrepreneur que le revendeur n'ont pas déconseillé à la SCI Barbora d'utiliser les matériaux fournis par la société Eternit ; que pour autant, il n'est pas démontré que la présence de fourmis d'argentine sur le site de construction des immeubles de la SCI Barbora Maria était un élément connu de l'entrepreneur comme du revendeur en 1989 par le seul courrier, non daté, de Madame Janine Z... indiquant que « le problème des fourmis est récurrent » ; qu'au contraire, M. A... indique dans le courrier qu'il a adressé à l'ensemble des parties que selon lui les désordres liés aux fourmis étaient rarissimes et faciles à résoudre par des produits insecticides, ce qui tend à prouver qu'il n'existait pas de contre-indication à l'incorporation du matériau fabriqué par la société Eternit dans la toiture de la SCI Barbora Maria ; qu'il n'est pas d'avantage établi que la mousse de polyuréthane composant le matériau installé par la sarl Cobat est particulièrement attractive pour ces insectes ; que dès lors, comme le soutient M. Gérard X... dans son avis, bon nombre de matériaux utilisés dans les bâtiments peuvent être dégradés par le monde animal, ce fait connu de tous ne met pas à la charge du vendeur une obligation particulière d'information ; qu'ainsi aucun élément ne permet de retenir que la présence de fourmis d'Argentine sur le site de la SCI Barbora Maria était un élément notoire en 1989, que le matériau fabriqué par la société Eternit était « particulièrement attractif » pour ce type d'insectes et qu'ainsi tant l'entrepreneur que le revendeur ont faillis à leurs obligations contractuelles en ne mettant pas en garde la SCI Barbora Maria voire en ne lui déconseillant pas d'utiliser le produit fabriqué par la société Eternit ;

ALORS QU'il incombe au vendeur professionnel de prouver qu'il s'est acquitté de l'obligation de conseil lui imposant de se renseigner sur les besoins de l'acheteur afin d'être en mesure de l'informer quant à l'adéquation de la chose proposée à l'utilisation qui en est prévue ; qu'en se bornant à énoncer qu'aucun élément ne permettait de retenir que la présence « de fourmis d'Argentine » et que « bon nombre de matériaux utilisés dans les bâtiments peuvent être dégradés par le monde animal », sans rechercher si le revendeur s'était informé des conditions d'utilisation du matériau en cause et avait pu ainsi donner un conseil adapté, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1147 et 1315 du code civil.