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N° 842

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 27 mars 2013.

RAPPORT D'INFORMATION

déposé

en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE,

sur la question prioritaire de constitutionnalité,

ET PRÉSENTÉ

PAR M. Jean-Jacques URVOAS,

Député.

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INTRODUCTION 5

I. LA QPC : UNE RÉVOLUTION TRANQUILLE 9

A. UNE INNOVATION CONSTITUTIONNELLE QUE LES JUSTICIABLES SE SONT RAPIDEMENT APPROPRIÉE 9

1. Des QPC nombreuses 9

a) Un succès statistique... 9

b) ... permis par l'implication des différents acteurs 12

2. Des QPC variées 14

B. UN REPOSITIONNEMENT DE L'ENSEMBLE DES ACTEURS INSTITUTIONNELS 17

1. Un Conseil constitutionnel réinvesti dans son rôle de protection des droits et libertés 17

2. Un nouveau « dialogue des juges » avec la Cour de cassation et le Conseil d'État 19

3. Les rapports renouvelés entre Conseil constitutionnel et Parlement 22

II. LA QPC VUE PAR CEUX QUI LA FONT 27

A. UNE PROCÉDURE JUGÉE SATISFAISANTE 27

1. Le respect des délais et du contradictoire 27

a) Les délais 27

b) Le contradictoire 30

2. Des filtres qui remplissent leur rôle 31

B. LES AMÉLIORATIONS SUGGÉRÉES PAR LES DIFFÉRENTS PROTAGONISTES 36

1. Sur deux sujets transversaux 37

a) Le traitement des questions sérielles 37

b) Les difficultés liées au coût de la procédure 38

2. Au niveau du premier filtre 39

a) Des délais d'examen parfois excessifs 39

b) Des décisions dont les motivations sont très variables 41

3. Sur la phase devant le Conseil d'État ou la Cour de cassation 43

a) Quelques suggestions d'amélioration des règles procédurales 43

b) Des critiques sur le fonctionnement du filtre 47

4. Sur les décisions du Conseil constitutionnel 50

a) Des interrogations autour d'un ajustement des critères d'admission des interventions 51

b) Des motivations qui pourraient être plus précises 51

c) La technique des réserves d'interprétation 52

d) L'effet dans le temps des décisions d'abrogation 53

III. LES RECOMMANDATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR 57

A. ASSURER UN VÉRITABLE SUIVI DE LA QPC 57

B. PARFAIRE LA PROCÉDURE 60

C. TRANSFORMER LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL EN VÉRITABLE COUR CONSTITUTIONNELLE : OUVRIR LE DÉBAT 64

EXAMEN EN COMMISSION 69

ANNEXES 79

Questionnaires adressés par votre rapporteur 81

Données statistiques relatives à la question prioritaire de constitutionnalité 90

Comptes rendus des auditions de la commission des Lois 109

MESDAMES, MESSIEURS,

Révolution juridique : le terme est souvent galvaudé. Pourtant, s'il fallait le réserver à une réforme que notre pays a connue depuis plusieurs décennies, il est certain que l'instauration de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) mériterait cette qualification.

Instituée à l'article 61-1 de la Constitution par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, la QPC permet à chacun de faire prévaloir la Constitution sur des dispositions législatives qui lui seraient contraires et d'obtenir leur abrogation. Énoncé ainsi, ce nouveau droit reconnu à tous les justiciables peut paraître abstrait. Le succès qu'a connu cette nouvelle procédure depuis son entrée en vigueur, le 1er mars 2010, témoigne pourtant des conséquences concrètes de cette réforme profonde de notre système juridique. Particuliers, associations, entreprises, plus personne n'hésite à invoquer notre loi fondamentale devant les juges, quels qu'ils soient, et, le cas échéant, à faire valoir ses droits devant le Conseil constitutionnel.

Alors que la justice française connaît des difficultés, notamment matérielles, et subit des critiques, fondées ou non, la QPC renvoie une image positive de notre organisation judiciaire entendue au sens large. Reste à déterminer si cette image correspond à une réalité. C'est l'objet du présent rapport d'information.

En effet, en novembre dernier, alors qu'approchait le troisième anniversaire de l'entrée en vigueur de la QPC, la commission des Lois a souhaité que soit dressé un bilan de la mise en oeuvre de cette procédure, principal apport de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, voulue par le président Nicolas Sarkozy.

Le chemin a été long avant d'aboutir à cette réforme. L'idée de permettre aux justiciables de saisir le Conseil constitutionnel à l'occasion d'une instance devant une juridiction ordinaire a été formulée par Robert Badinter, puis par François Mitterrand, dès 1989, mais les deux projets de loi constitutionnelle visant à créer cette procédure, déposés en 1991 et en 1993, se sont heurtés à l'opposition du Sénat, qui y voyait la manifestation d'un abaissement de la loi. Les esprits ont évolué depuis. Quinze ans après, la réforme a été adoptée dans un quasi-consensus.

Une fois la Constitution révisée et la loi organique du 10 décembre 2009 entrée en vigueur, encore fallait-il veiller à ce que le nouveau dispositif soit mis en oeuvre dans des conditions satisfaisantes. La commission des Lois ayant oeuvré pour cette réforme, elle ne pouvait s'en désintéresser. Dès le mois d'octobre 2010, M. Jean-Luc Warsmann, qui était alors président de la commission des Lois, se livrait à un travail d'évaluation de l'application de la question prioritaire de constitutionnalité. Il en tirait un premier bilan positif, tout en mentionnant un certain nombre de questions en suspens.

Deux ans plus tard, dresser un nouveau bilan de la mise en oeuvre de la question prioritaire de constitutionnalité apparaissait nécessaire. Votre rapporteur a adopté une double démarche : d'abord, ont été entendus un certain nombre de personnalités et de spécialistes de la question (1) - ce qui avait déjà été fait en 2010 - ; ensuite, votre rapporteur a souhaité aller au-delà de la vision de ces experts, pour tenter de comprendre comment la question prioritaire de constitutionnalité était mise en oeuvre dans les juridictions françaises et comment elle était perçue par les justiciables et leurs conseils. L'idée est bien de saisir comment les citoyens se sont emparés de cette réforme et comment, au plus près d'eux - dans les juridictions du fond - sont traitées les QPC.

La nécessité d'établir un bilan de la mise en oeuvre de la loi organique du 10 décembre 2009 au terme de ses trois premières années d'application était déjà soulignée dans l'exposé des motifs du projet de loi organique : il était alors envisagé que le Gouvernement transmette un tel bilan au Parlement. En mai 2010, la ministre de la Justice avait chargé l'Association française de droit constitutionnel (AFDC) d'une mission d'étude et de recherche qui devait contribuer à la préparation de ce rapport. Après avoir rencontré un certain nombre de difficultés (2), l'AFDC a présenté un rapport d'étape en avril 2012, portant sur la première année de mise en oeuvre de la question prioritaire de constitutionnalité (1er mars 2010-1er mars 2011). L'association a, depuis, interrompu ses travaux, la poursuite de la mission qui lui avait été confiée n'ayant pas été confirmée par le ministère de la Justice. Elle a néanmoins transmis son rapport d'étape à votre rapporteur et celui-ci a décidé de retenir les mêmes ressorts territoriaux régionaux que ceux choisis par l'AFDC pour son étude pour interroger les différentes juridictions du fond sur la manière dont elles appliquent la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité.

C'est pourquoi, votre rapporteur a adressé un questionnaire à la fois quantitatif et qualitatif aux juridictions suivantes : les tribunaux judiciaires et la cour d'appel d'Aix-en-Provence, le tribunal administratif et la cour administrative d'appel de Marseille, les tribunaux judiciaires et la cour d'appel de Bordeaux, le tribunal administratif et la cour administrative d'appel de cette même ville, les tribunaux judiciaires, la cour d'appel et le tribunal administratif de Dijon, les tribunaux judiciaires, la cour d'appel et la cour administrative d'appel de Versailles, ainsi que le tribunal administratif de Montreuil. Toutes les juridictions administratives lui ont fourni les informations demandées ; tel n'a pas été le cas pour les juridictions judiciaires. Cette lacune est très regrettable car, d'une manière générale, les informations manquent sur le fonctionnement du premier niveau de filtrage assuré par les juridictions du fond et, en particulier, les juridictions judiciaires sont perçues par certains experts comme traitant les QPC avec plus de sévérité que les juridictions administratives, perception que des informations détaillées en provenance de certains tribunaux judiciaires auraient contribué à confirmer ou infirmer (3).

Afin d'atteindre les « usagers » de la question prioritaire de constitutionnalité, votre rapporteur a aussi adressé un questionnaire aux bâtonniers de l'ordre de avocats des barreaux de ces mêmes ressorts territoriaux, qui ont, pour la plupart d'entre eux, bien voulu y répondre. Enfin, il a constitué un échantillon de douze personnes morales ayant posé une question prioritaire de constitutionnalité (4) qui avait été examinée par le Conseil constitutionnel, en veillant à la diversité des personnes morales (entreprises, associations, collectivités locales) et des décisions finales (conformité à la Constitution de la disposition contestée, conformité sous réserves, non-conformité totale ou partielle, effets différés de la décision d'abrogation). Sept d'entre elles (5) ont pris le temps de répondre au questionnaire que votre rapporteur leur a adressé.

Si la démarche de votre rapporteur ne visait évidemment pas l'exhaustivité, elle lui a permis de recueillir des données chiffrées, mais aussi des appréciations qualitatives sur la question prioritaire de constitutionnalité, émanant des différents « acteurs » de la procédure. Il tient à remercier très vivement tous ceux qui ont participé, d'une manière ou d'une autre, à ses travaux.

Ceux-ci le conduisent à conclure, à l'issue de ses trois premières années d'application, à un bilan très positif de la question prioritaire de constitutionnalité, qui a constitué une véritable révolution, que l'on pourrait qualifier de tranquille. Les acteurs de la procédure jugent son fonctionnement globalement satisfaisant, même s'ils formulent parfois quelques critiques sur un point ou un autre. Aucun d'entre eux n'appelle à une réforme profonde du dispositif actuel et les recommandations que formule votre rapporteur visent simplement à améliorer le suivi de sa mise en oeuvre et à lui apporter des aménagements de portée limitée, sans remettre en cause l'équilibre qui a été atteint. Pourtant, élargissant la perspective, votre rapporteur souhaite profiter de cette étude pour ouvrir le débat sur plusieurs propositions tendant à tirer les conséquences de la transformation du Conseil en véritable Cour constitutionnelle. Car la création de la QPC a manifestement transformé le Conseil en une juridiction constitutionnelle pleine et entière et ce, de manière définitive. Il importe donc d'examiner les conséquences institutionnelles qui pourraient être tirées de cette évolution irréversible pour ce qui est du nombre des membres du Conseil, des conditions de leur nomination, de leur statut, de l'organisation de cette institution et de la procédure qui a cours devant elle. Ces propositions sont livrées au débat. À chacun de s'en emparer.