Que n'avons nous pas déjà entendu ; et que n'entendrons nous pas encore pendant ces prochains mois qui nous séparent de la prochaine élection présidentielle sur tous les sujets liés (légitimement ou pas d'ailleurs) aux religions (et sans doute une en particulier) :  les polémiques se cristallisent et se focalisent déjà sur ce type de débat.

Le risque est évidemment une instrumentalisation de ce sujet, et une stigmatisation qui ne ferait que produire un effet à retardement (et sans doute déjà enclenché) de communautarisation et de cristallisation des réflexes identitaires.

Faut-il pour autant éviter tout débat de société à ce titre ?

Evidemment, non.

Mais encore faudrait-il créer et maintenir les conditions d'un contexte apaisé, où chacun peut s'exprimer librement, sans contrainte, en respectant l'autre et sa vision du vivre ensemble (et non pas sa vision du "vivre chacun de son côté" !).

Encore faudrait-il encore éviter les approches superficielles, dénuées de toute réflexion préalable, voire simplement cynique qui, prétexte pris d'une ultime polémique estivale et balnéaire, justifierait tous les excès de postures et de languages.

La réalité est que les religions et la laïcité entretiennent, et conservent en FRANCE des relations particulières, peut-être même uniques au monde, au regard de notre Etat de notre histoire, de notre Etat de droit, du concept de laicité surtout.

Faudrait-il pour autant considérer que la FRANCE serait un îlot particulier qui, parce que maniant ce concept de "laïcité" comme un bouclier aux manifestations religieuses, ne devrait pas s'inscrire dans un contexte plus global ?

Sans doute, non. 

Pour qui veut comprendre le sens du monde, et dans quelle(s) direction(s) il va, force sera de constater que les religions n'ont cessé ces dernières décennies de se manifester à travers la planète pour s'imposer dans certains débats voire politiques publiques, sous des formes certes diverses (Des Etats-Unis et ses évangélistes si puissants, à l'Ex-URSS et sa "religion du peuple" communiste -autre opium, autres moeurs...- ; de la République Islamique de KHOMEINI aux nationalistes bouddhistes en Asie, etc, etc)...  

On avait prédit la fin de l'histoire depuis la chute du mur de Berlin en 1989 ; et cela était une lourde erreur.

La nature humaine a manifestement horreur du vide : si la société ne le comble pas, elle se fixera sur d'autres explications du monde.  

Pourquoi donc ces récentes "tensions" au sujet du religieux ?

Cette notion de laïcité, "exception française", a des acceptions différentes, et elle semble parfois incomprise ; voire non acceptée, souvent en raison d'une mauvaise compréhension de ce qu'elle signifie.  

Ses interprétations sont parfois si extensives -voire hors sujet- qu'elles créent les conditions de conflits inutiles.

Rappelons-nous que des débats -parfois violents- ont mené à la loi de 1905 de séparation de l'Eglise et de l'Etat.

Plus récemment, les manifestations et réactions face à la loi sur l'IVG, aux textes sur la bioéthique, ou les mouvements de vives protestations liés à la loi dite du "mariage homosexuel", ont créé de fortes résistances et des manifestations parfois houleuses chez certains croyants.

L'immixtion du religieux dans notre République laïque explique donc nombre de tensions déjà connues, et elle n'est donc pas nouvelle.

A ce jour cependant, notre République semble désarçonnée, désemparée face à diverses manifestations, voire revendications (qu'elles soient ou non légitimes, peu importe - ce qui est important est de savoir y répondre) d'origines religieuses.

Ces tensions sont notamment alimentées par le fait qu'on oppose bien souvent laïcité et religions, ce qui est une des plus lourdes erreurs contemporaines.

Pour autant, notre république reste toujours à construire, voire à défendre autour de ce concept de laïcité.

Cela est d'autant plus difficile voire délicat à effectuer, que le triptyque de liberté, d'égalité et de fraternité voit ses fondements faiblir au sein d'une société française dont partie non négligeable est en déshérence, -et cela dépasse largement le cadre facile de nos "quartiers et banlieux" !- où le "vouloir vivre ensemble" apparaît difficilement tenable.

Alors que les religions ont leur propre vérité dans les consciences individuelles de tels ou tels, et qu'elles peuvent avoir parfois pour tentation de combler le vide d'une Société en perte de repères ; la vérité républicaine en FRANCE, qui pourrait se définir comme "la conscience d'une nation laïque", ne parvient plus ou pas -y est-elle parvenue un jour ?-  à s'y imposer, dans l'espace et dans le débat publics.

La "religion d'Etat" qu'est la République laïque depuis plus d'un siècle en FRANCE, ses ors, ses rites et son Eglise -symbolisée par son Panthéon et ses "Saints", hommes et femmes qui y sont installés pour l'éternité-, laisse ses ouailles esseulées, perdues pour certaines ; aptes à s'abreuver de tous autres discours et thèses cosmogoniques pour d'autres...

Les religions s'installent donc à nouveau et avec d'autant plus de force dans le débat public, que la République laïque semble parfois en perte de repères face aux discours théocratiques bien rodés et plus convaincants pour certaines personnes en recherche de sens (voire d'identité(s)) ; théories religieuses qui ont des implications non plus seulement individuelles, mais collectives ; donc politiques.

Sans doute notre société souffre de défauts d'explications, mais surtout d'un manque crucial d'éducation, sur ce qu'est l'idéal républicain, le vivre ensemble, la nation, la place de l'individu et de ses croyances (ou non croyances) au sein de celle-ci.

Peut-être que le fait d'avoir omis pendant trop d'années, d'évoquer ces sujets, sans passions ni instrumentalisations politiciennes, prétexte pris qu'ils étaient ceux réservés à quelques "sectaires extrémistes", est le prix que notre société paye de nos jours, face à l'immixtion du religieux dans la sphère publique.  

Que le politique ait voulu que s'inscrive dans le droit -notamment pénal-, des incriminations qui portent atteinte à la liberté d'expression dans l'espace public (loi de 1881), sous peine de condamnations à propos "blasphématoires", voire de poursuites pour actes de terrorisme pour des propos lancés bêtement sur le net, n'est-elle pas une des erreurs que notre société paye aujourd'hui ?  

Comment en effet continuer à défendre l'idée de laïcité républicaine, si le droit positif admet une "communautarisation" des libertés, ou plutôt des droits distincts pour telles ou telles origines et/ou obédiences religieuses ?

Pour autant, quel débat public lancer à ce jour, sans qu'il ne soit stigmatisant, ou stigmatisé ?

Ensuite, et surtout, quelles solutions pratiques, claires, applicables au quotidien nous proposent aujourd'hui nos responsables politiques, l'Etat, les pouvoirs publics ?

Faut-il d'ailleurs, encore et toujours, attendre de ces derniers que des réponses soient données ?

Il est topique et même inquiétant de voir que le Gouvernement prépare un viatique à destination des Entreprises, pour savoir comment elles devraient gérer la manifestation, voire les droits du religieux en son sein. 

Ne sera-ce pas encore là source de polémiques en nos périodes troublées, ce alors que le droit du travail a déjà ses textes et sa Jurisprudence déjà bien connus des professionnels, sur la place des libertés individuelles au sein de l'Entreprise, la notion de proportionnalité, etc ?

Ne nous appartient-il pas d'abord, individuellement, de prendre la mesure et la conscience des forces contradictoires qui d'un côté, nous poussent à devenir des êtres "mondialisés" mais parfois vides de sens - Vive l'homo consumeritus standardisé pour les "world companies" !- ; et de l'autre, des individus atomisés fiers et/ou en recherche d'identités, de racines, de droits propres, etc ?

Avec un peu d'intelligence souvent, de retenue parfois, de respect des différences toujours, mais aussi d'affirmation de soi, ne devons nous pas aller vers l'autre et lui tendre la main, qui que nous soyons, d'où que nous venions, et quelle que soit notre religion (ou pas) ?

Serait-ce trop naïf que d'aborder notre responsabilité individuelle et universelle sous cet angle là ? 

Que cela soit affaire de foi religieuse ou de foi républicaine, que faisons-nous de la fraternité entre les hommes, entre les peuples, si nous cédons aux sirènes des enfermements et mots d'ordre parfois vides de sens, que les précepteurs de telles ou telles "bonnes paroles" nous assènent ?

Force est à cette place de constater pour l'heure que les "phrases choc", les "buzz médiatiques", les mesures et/ou propositions toutes plus iconoclastes les unes que les autres fleurissent.

Les réseaux sociaux se déchainent, une fois encore ; et de tout cela, il ne ressort rarement pas du bon !

Pourtant, notre société a plus que jamais besoin de positions plus réfléchies, plus équilibrées, propices à trouver des points de rencontre, et matière à apaisement dans une société perturbée par tels ou tels "signaux religieux".

La République laïque tâtonne, parce qu'elle n'a pas mis en place les conditions d'une pratique apaisée sur la place du religieux dans le débat et l'espace publics ; préférant gérer au jour le jour, au "coup par coup", tel ou tel conflit apparaissant ici (à l'école) ou là (dans les services publics, les crèches, et maintenant sur les plages !) ; instaurant un système législatif qui répond à l'émotion, plus qu'à la réflexion. 

La République laïque tremble, parce qu'elle n'arrive pas à expliquer, à affirmer, et surtout à légitimer ses valeurs de liberté, d'égalité et encore et surtout de fraternité en son sein ; tout en les rendant compatibles avec l'affirmation de l'individu, et de ses croyances s'il en a.

La République laïque tombera, si elle ne trouve pas de coexistence pacifique -harmoniser et non pas opposer étant la seule solution viable à l'avenir- avec toutes les religions quelles qu'elles soient sur son sol ; ce qui n'est pas possible sans réaffirmation claire et précise -comme l'avait pourtant déjà fait, avant la loi de 1905, la loi de 1881- des limites à poser entre libertés et égalités publiques, et libertés individuelles - qui renvoient à la notion trop souvent floue du "trouble à l'ordre public", concept qui doit manifestement être revu, revisité, voire objectivement défini-. 

Il ne suffit aujourd'hui plus d'affirmer, qu'il faut "défendre la République et ses valeurs", car peu réussissent à déterminer précisément et en pratique ce que cela peut bien vouloir signifier au présent et dans les faits ; ce sans évoquer encore, la remise en question à effectuer, de l'universalité de celles-ci, et du droit à pouvoir l'imposer au monde...ce qui semble à ce jour sinon remis en cause, à tout le moins en questionnement.

Il devient manifestement indispensable, peut-être après un débat "post-présidentielle" où chacun pourrait, lors d'un "Grenelle de la laïcité", exposer calmement et posément les défis du vivre ensemble qui sont les nôtres -qui que nous soyons, d'où que nous venions, quelles que soient nos croyances ou pas, que nous soyons français ou pas, pour autant que nous vivions et souhaitions vivre en paix sous le toit FRANCE-, d'engager ce débat.

Puissent donc nos politiques être à la hauteur des enjeux que nos populations vivent, voire subissent au quotidien, ce qui semble difficile à accomplir à quelques mois d'une élection présidentielle ; mais possible immédiatement ensuite...si encore il n'est pas trop tard !

A AVIGNON, le 15/09/2016

 

Maître Philippe CANO

Avocat à AVIGNON