Tout débat sur ce sujet doit simplement commencer par la lecture des textes suivants, qui constituent peu ou prou l’état de notre droit avant la loi du mois d’août 2016 :– Article L1121-1 du Code du travail.

« Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. »

– Au-delà de ce texte, la  Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail  prévoit :

« Article premier

Objet

La présente directive a pour objet d’établir un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur la religion ou les convictions, l’handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle, en ce qui concerne l’emploi et le travail, en vue de mettre en oeuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement.

« Article 2

Concept de discrimination

1. Aux fins de la présente directive, on entend par « principe de l’égalité de traitement » l’absence de toute discrimination directe ou indirecte, fondée sur un des motifs visés à l’article 1er.

2. Aux fins du paragraphe 1:

a) une discrimination directe se produit lorsqu’une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable, sur la base de l’un des motifs visés à l’article 1er;

b) une discrimination indirecte se produit lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour des personnes d’une religion ou de convictions, d’un handicap, d’un âge ou d’une orientation sexuelle donnés, par rapport à d’autres personnes, à moins que:

i) cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un objectif légitime et que les moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires…

5. La présente directive ne porte pas atteinte aux mesures prévues par la législation nationale qui, dans une société démocratique, sont nécessaires à la sécurité publique, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé et à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Jusque là, il semble que le texte du Code du travail et la législation européenne n’entrent pas en contradiction :

  • La liberté de religion est reconnue au salarié dans l’entreprise.
  • L’employeur peut y apporter des restrictions pour assurer le bon fonctionnement de l’entreprise, et pour autant que ces restrictions soient « proportionnées » selon le double critère de la nature de l’activité, et de l’objectif requis (comme par exemple la santé, la sécurité, impératifs à charge de l’employeur que ce dernier doit à tous ses salariés).

Dès lors, il appartient à l’entreprise et à elle seule de gérer ses ressources humaines en fonction de ces impératifs, librement, et au cas par cas.

La question va cependant devenir subitement épineuse, avec l’intrusion selon deux manières pour le moins circonstancielles, des éléments suivants :

  • Est introduit par la loi « travail » du 08/08/2016 le texte suivant :« Art. L. 1321-2-1. – Le règlement intérieur peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché. »

Au-delà d’une certaine redondance avec l’article L 1121-1 du même Code, qui semblait suffire, la complexité rédactionnelle, grammaticale, et même l’exégèse de ce texte posent de nombreuses questions, la première d’entre elles n’étant pas anodine :

Ce texte est-il toujours conforme à notre Etat de droit, à la législation européenne ?

Rien n’est moins sûr.

Au-delà, la naissance du concept de « neutralité », qui pourrait s’apparenter à une sorte de « laïcité dans l’entreprise », est particulièrement dangereuse à bien des égards.

Elle semble surtout contraire à la possibilité au sein de l’entreprise, et pour autant que cela soit conforme à la proportionnalité évoquée précédemment par l’article L 1121-1 C.T. et les textes européens, au droit pour tout salarié, dans l’Entreprise et hors espaces et services publics, d’afficher ses convictions religieuses (s’il en a).

Mais encore, l’adoption par deux fois au sein de ce même texte, du mot « restriction », en les opposant à la fois à d’autres droits et libertés (non définis, donc lesquels ?), ou aux nécessités de bon fonctionnement de l’entreprise, semble particulièrement brouillonne.

A force de vouloir réagir au « coup par coup », les parlementaires et les pouvoirs publics hystérisent un débat qui, entreprise par entreprise, branche par branche, pouvait paraître inutile ; si ce ne sont des cas « extrêmes » que le Juge prud’homal, et au-dessus de lui la Chambre Sociale de la Cour de Cassation -sans compter la Cour Européenne des droits de l’homme et de sauvegarde des libertés fondamentales- pouvaient parfaitement régler.

Cela n’a-t-il pas été le cas avec l’affaire (malheureusement politisée en cours de procédures et instances) de la « Crèche BABY LOUP » ?

Pourquoi donc cette volonté du législateur de faire apparaître un texte, qui avait d’ailleurs disparu -sous d’autres formes- de la première mouture de la loi travail ?

Si cela ne suffisait pas :

  • L’annonce a encore été faite d’un prochain « viatique » que les pouvoirs publics ont annoncé éditer pour ce mois d’octobre 2016, sur le sujet des religions en Entreprises, à destination des dirigeants et RRH :

Nous en attendons avec une réelle inquiétude, la prochaine lecture…

Le problème est que le législateur tente bien maladroitement, par ces dispositions, de régler des difficultés que certaines entreprises peuvent au cas par cas rencontrer au quotidien, avec certaines pratiques religieuses qualifiées parfois de « radicales ».

Mais en agissant de la sorte, le législateur ne peut s’exclure une fois de plus de l’accusation selon laquelle il communautarise ce débat.

Ces difficultés en entreprise ne sont le fait que d’une extrême minorité ; et il est vrai qu’elles monopolisent certains RRH et responsables d’entreprises, qui considèrent parfois le droit européen et celui tiré de l’article L 1121-1 susvisé insuffisants, et d’un maniement délicat.

Certains ont même peur des représailles, d’être taxé de discrimination, etc.

Mais fallait-il donc pour autant introduire un tel texte dans la loi « travail » ?

Certainement pas, car cette disposition est propice à de nouvelles polémiques.

Il aurait sans doute été plus intelligent, par le biais notamment du réseau des Directions du travail et de l’emploi -et au-delà des organisations patronales et syndicales qui auraient pu être incitées par le Gouvernement, à plancher sur ce sujet, et imaginer des solutions plus pragmatiques et adaptées- d’informer, de former et ainsi de permettre aux chefs d’entreprise (surtout les TPE/PME) qui sont parmi les plus démunis sur ce sujet délicat, d’introduire voire de créer dans leur règlement intérieur des règles claires, adaptées à leur situation concrète, permettant de concilier les convictions religieuses (s’il y en a) et les impératifs liés au bon fonctionnement de telle ou telle entreprise.

Oui, mais voilà : le sujet du religieux rend le politique hystérique ces temps-ci, le sentiment prend le dessus sur le raisonnement.

Alors que se cristallisent à quelque mois des présidentielles les peurs et les revendications communautaristes, il semblait opportun de ne pas jeter de l’huile sur le feu couvant au sein des Entreprises…

 

Philippe CANO

Avocat à AVIGNON

Le 27/09/216