Il résulte de l’article L.1142-1 du Code de la Santé publique que :

 

 

« II. - Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire ».

 

 

Il résulte de l’article L.1142-1-1 du même code que :

 

 

« Sans préjudice des dispositions du septième alinéa de l'article L. 1142-17, ouvrent droit à réparation au titre de la solidarité nationale :

1° Les dommages résultant d'infections nosocomiales dans les établissements, services ou organismes mentionnés au premier alinéa du I de l'article L. 1142-1 correspondant à un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à 25 % déterminé par référence au barème mentionné au II du même article, ainsi que les décès provoqués par ces infections nosocomiales (…) »

 

En vertu de l’article L1142-22 du même code, la réparation au titre de la solidarité nationale est assurée par l’ONIAM :

 

 

« L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales est un établissement public à caractère administratif de l'Etat, placé sous la tutelle du ministre chargé de la santé. Il est chargé de l'indemnisation au titre de la solidarité nationale, dans les conditions définies au II de l'article L. 1142-1, à l'article L. 1142-1-1 et à l'article L. 1142-17, des dommages occasionnés par la survenue d'un accident médical, d'une affection iatrogène ou d'une infection nosocomiale ainsi que des indemnisations qui lui incombent, le cas échéant, en application des articles L. 1142-15, L. 1142-18 et L. 1142-24-7. »

 

 

Ces dispositions instituent un régime spécifique de prise en charge par l'ONIAM, au titre de la solidarité nationale, des dommages résultant des infections nosocomiales les plus graves ayant vocation à réparer l'ensemble de ces dommages, qu'ils aient été subis par les patients victimes de telles infections ou par leurs proches.

 

 

Le Conseil d’État a déjà eu l’occasion de rappeler la spécificité de ce régime d’indemnisation :

 

 

« L'article L. 1142-1-1 de ce code institue un régime spécifique de prise en charge par la solidarité nationale des dommages résultant des infections nosocomiales les plus graves qui a vocation à réparer l'ensemble de ces dommages, qu'ils aient été subis par les patients victimes de telles infections ou par leurs proches. »[1].

 

 

Les juridictions du fond abondent également en ce sens.

 

 

C’est ainsi que le Tribunal Administratif de Nantes a notamment pu juger que :

 

 

« Considérant qu’il résulte de ce qu’il précède que les dispositions de l’article L.1142-1-1 du code de la santé publique, distinctes de celles prévues par le II de l’article L.1142-1 du même code, ont créé un nouveau régime de prise en charge par la solidarité nationale des dommages résultants des infections nosocomiales, à la seule condition qu’elles aient entraîné un taux d’incapacité permanente supérieure à 25% ou le décès du patient. »[2]

 

 

Aussi, et de tout ce qui précède, les requérants entendent solliciter la réparation des préjudices subis tant par Mademoiselle ADE que par eux-mêmes sur le fondement de ce régime d’indemnisation spécifique prévu par les dispositions de l’article L.1142-1-1 du Code de la Santé Publique, en présence d’une infection, que l’on qualifiera de nosocomiale, ayant conduit au décès d’une jeune fille âgée de seulement 14 ans.

 

  1. Sur la définition juridique de l’infection nosocomiale

 

 

Ces règles étant rappelées, il convient désormais d’analyser la définition même de l’infection nosocomiale dans son acception juridique.

 

 

Il résulte de l’article R.6111-6 du Code de la Santé Publique que :

 

 

« Les infections associées aux soins contractées dans un établissement de santé sont dites infections nosocomiales ».

 

 

Le Code de la Santé Publique ne prévoit donc aucune autre condition que celles de l’association aux soins et de la localisation du développement de l’infection.

 

 

De même, conformément aux termes de la définition issue des « 100 recommandations pour la surveillance et la prévention des infections nosocomiales » et reprise par le Ministère des Solidarités et de la Santé :

 

 

« Les infections nosocomiales sont les infections qui sont acquises dans un établissement de soins. Une infection est considérée comme telle lorsqu’elle était absente à l’admission. Lorsque l’état infectieux du patient à l’admission est inconnu, l’infection est classiquement considérée comme nosocomiale si elle apparaît après un délai de 48 heures d’hospitalisation. Ce délai est cependant assez artificiel et ne doit pas être appliqué sans réflexion. Ces infections peuvent être directement liées aux soins (par exemple l’infection d’un cathéter) ou simplement survenir lors de l’hospitalisation indépendamment de tout acte médical (par exemple une épidémie de grippe). »

 

 

En outre, conformément aux termes du Décret n°2010-1408 du 12 novembre 2010, toute infection associée aux soins contractée dans un établissement de santé est dite infection nosocomiale, sans qu’aucune condition supplémentaire ne soit rajoutée par ces dispositions légales qui conduiraient à exclure l’indemnisation dans l’hypothèse où le fait générateur ayant abouti à l’infection nosocomiale serait survenu même en dehors de toute hospitalisation.

 

 

Il s’en évince que le fait que l’infection soit survenue dans un établissement de santé, dans un contexte de soins, et en dehors de toute cause étrangère, suffit à établir le caractère nosocomial.

 

 

Exclure la qualification d’infection nosocomiale au motif que l’infection était « inéluctable », « inévitable » ou encore « endogène », reviendrait à rajouter une condition que les textes ne posent pas et serait contraire aux définitions concordantes de l’infection nosocomiale depuis la recommandation du Comité des ministres du conseil de l’Europe de 1984[3].

 

 

C’est bien la raison pour laquelle la définition de l’infection nosocomiale repose sur le critère de la temporalité et de la localisation du développement de l’infection, et ce, sans aucun autre critère, pourvu qu’une cause étrangère ou extérieure aux soins ne soit pas rapportée.

 

 

  1. Sur la consécration jurisprudentielle de cette définition

 

 

Dans deux arrêts récents, datés respectivement du 23 mars 2018 et du 6 avril 2022, le Conseil d’Etat et la Cour de cassation ont défini l’infection nosocomiale comme suit :

 

 

« Doit être regardée, au sens de ces dispositions, comme présentant un caractère nosocomial une infection survenant au cours ou au décours de la prise en charge d'un patient et qui n'était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s'il est établi qu'elle a une autre origine que la prise en charge ».[4]

 

 

Par ailleurs, il est également admis en jurisprudence :

 

 

  • D’une part, que le fait que l’infection ait pu trouver son origine dans un accident médical ou une pathologie préexistante est sans aucune incidence sur la qualification d’infection nosocomiale :

 

 

  • A ce titre, la Cour de cassation a d’ores et déjà eu l’occasion de juger que :

« Après avoir constaté que, même si l'infection avait pu être provoquée par la pathologie de la patiente, liée à un aléa thérapeutique, cette infection demeurait consécutive aux soins dispensés au sein de la clinique et ne procédait pas d'une circonstance extérieure à l'activité de cet établissement, la cour d'appel a écarté, à bon droit, l'existence d'une cause étrangère exonératoire de responsabilité. » [5] 

 

 

  • De la même manière, la Cour administrative de Bordeaux a relevé que :

« Dans le cadre de son appel incident, l’hôpital X  soutient que l’infection en cause n’est pas la conséquence d’un acte de soin, dès lors que l’escarre est une affection qui atteint les personnes âgées alitées et qui s’infecte généralement au contact des germes présents à l’extérieur de la peau, indépendamment de tout soin. Il est cependant constant que Mme A.. a présenté des infections qui ont été contractées lors de son hospitalisation, ce qui en l’absence de cause étrangère suffit à leur conférer un caractère nosocomial. » [6]

 

 

 

  • Dans le même sens, le Conseil d’Etat a quant à lui jugé que :

« Il résulte des termes de l'arrêt attaqué que, pour juger que la péritonite dont M. B... a été victime le 6 mai 2009 ne revêtait pas le caractère d'une infection nosocomiale au sens des dispositions citées ci-dessus,  de la pathologie dont M. B... était déjà atteint avant son admission à l'hôpital.

En statuant ainsi, alors que cette infection devait être regardée, du seul fait qu'elle était survenue lors de la prise en charge de M. B... au sein de l'établissement hospitalier, sans qu'il ait été contesté devant le juge du fond qu'elle n'était ni présente ni en incubation au début de celle-ci et qu'il était constant qu'elle n'avait pas d'autre origine que cette prise en charge, comme présentant un caractère nosocomial, sans qu'il y ait lieu de tenir compte de ce que la cause directe de cette infection, à savoir la rétraction de la colostomie, avait le caractère d'un accident médical non fautif ou avait un lien avec une pathologie préexistante, la cour a commis une erreur de droit ».[7]

 

 

  • D’autre part, que le caractère endogène de l’infection ne constitue pas un obstacle à la reconnaissance d’une infection nosocomiale.

 

 

  • A cet égard, la Cour administrative d’appel de Douai a eu l’occasion de juger que :

« Seule une infection survenant au cours ou au décours d'une prise en charge et qui n'était ni présente, ni en incubation au début de la prise en charge peut être qualifiée de nosocomiale, qu'elle soit d'origine endogène ou exogène. »[8]

 

 

  • De la même manière, le Conseil d’Etat a rendu la décision suivante :

« Considérant que si le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE D'ANGERS soutient que Mlle était porteuse saine du pneumocoque lors de son admission à l'hôpital, cette circonstance, à la supposer établie, n'est pas de nature à faire regarder l'infection comme ne présentant pas un caractère nosocomial, dès lors qu'il ressort de l'expertise que c'est à l'occasion de l'intervention chirurgicale que le germe a pénétré dans les méninges et est devenu pathogène ; que les dispositions précitées du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique font peser sur l'établissement de santé la responsabilité des infections nosocomiales, qu'elles soient exogènes ou endogènes, à moins que la preuve d'une cause étrangère ne soit apportée ; Considérant qu'il résulte de l'expertise que l'infection des méninges a été provoquée par l'intervention et constitue un risque connu des interventions de la nature de celle pratiquée en l'espèce ; que si l'expert a relevé qu'il était très difficile de la prévenir, il ne ressort pas de l'instruction qu'elle présente le caractère d'imprévisibilité et d'irrésistibilité qui permettrait de regarder comme apportée la preuve d'une cause étrangère. » [9]

 

 

  • En outre, que l’indemnisation intégrale des conséquences d’une infection nosocomiale s’impose quel que soit l’état antérieur, les facteurs de vulnérabilité ou les prédispositions du patient.

 

 

  • Dans un arrêt récent, la Cour d’Appel de Toulouse a retenu que :

« Même si l’infection avait pu être favorisée par la pathologie de la patiente, liée à un état très affaibli, cette infection demeurait consécutive aux soins dispensés au sein de la clinique. »[10]

 

 

  • De la même manière, la Cour administrative d’Appel de Bordeaux a jugé que :

« Si le CHU de Toulouse soutient que M.C, arrivé aux urgences avec une lésion très grave, était porteur du germe lors de son admission, la simple possibilité que l’infection ait présenté un caractère endogène ne faisait pas obstacle à l’engagement de sa responsabilité. La circonstance que les complications survenues auraient été favorisées par l’état initial du patient, lequel avait subi un traumatisme à haute énergie cinétique, et présentait selon les experts des facteurs de vulnérabilité, n’est pas non plus de nature à lui ôter son caractère nosocomial, ni à faire regarder l’infection dont il a été victime comme résultant d’une cause étrangère au sens de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique, dès lors que la condition d’extériorité n’est pas remplie (…) c’est à bon droit que les premiers juges ont estimé que l’infection contractée par M. C présentait un caractère nosocomial de nature à engager la responsabilité du CHU de Toulouse ».[11]

 

  • Plus récemment, la Cour de cassation a encore jugé que :

« Pour écarter le caractère nosocomial de l'infection contractée par [Z] [I], l'arrêt retient que celle-ci présentait un état cutané anormal antérieur à l'intervention caractérisé par la présence de plusieurs lésions, que le germe retrouvé au niveau du site opératoire correspondait à celui trouvé sur sa peau et que, selon l'expert judiciaire, son état de santé préexistant et son tabagisme chronique avaient contribué en totalité aux complications survenues.

En se déterminant ainsi, par des motifs tirés de l'existence de prédispositions pathologiques et du caractère endogène du germe à l'origine de l'infection ne permettant pas d'écarter tout lien entre l'intervention réalisée et la survenue de l'infection, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ».[12]

 

  • Par ailleurs, que l’existence d’un doute sur l’origine de l’infection ne permet pas, à lui seul, d’exclure la qualification d’infection nosocomiale :

 

 

  • A titre d’illustration, le Tribunal Administratif de Rennes a estimé que :

« 3. D’une part, il résulte de l’instruction, notamment du rapport d’expertise que M. H a été hospitalisé au CHU de Rennes à compter du 6 octobre 2016. Il a contracté une infection par les germes Escherichia coli le 28 octobre 2016, au cours de cette hospitalisation Le rapport des docteurs X, missionnés par la CCI, déposé le 10 décembre 2018, conclut que cette infection est apparue le 28 octobre 2016, soit au cours de l’hospitalisation, alors qu’il était placé en soins de réanimation. De plus, les prélèvements des 7, 12, 13, 17 et 18 octobre 2016 ont mis en évidence que le patient n’était pas, à ces dates, porteur de Escherichia coli. L’infection n’était donc ni présente, ni en incubation au début de l’hospitalisation.

4. D’autre part, le rapport d’expertise indique que la dégradation très rapide de l’état de santé de M. H n’a pas permis de déterminer avec précision l’origine de l’infection. Plusieurs hypothèses ressortent du rapport, notamment une infection des sites opératoires ou des cathéters, présentant un caractère nosocomial, et une complication d’origine mécanique. Toutefois, si de telles complications pouvaient survenir du seul fait de l’état antérieur de M. H, c’est bien les états de choc post-opératoire qui ont en l’espèce provoqué ces complications. Le CHRU ne rapporte ainsi pas la preuve de l’existence d’une cause étrangère à cette infection. Compte tenu de ces éléments, l’infection dont M. H a été victime doit être regardée comme présentant un caractère nosocomial. »[13]

 

 

  • Enfin, que la circonstance qu’une infection nosocomiale fût contractée à l'occasion d'une greffe d'organe ne fait pas en elle-même obstacle à l'application des articles L. 1142-1 et L. 1142-1-1 du Code de la santé publique :

 

 

  • A cet égard, le Conseil d’Etat a pu retenir que :

« Une infection survenant au cours ou au décours de la prise en charge d'un patient et qui n'était ni présente, ni en incubation au début de cette prise en charge présente un caractère nosocomial au sens de ces dispositions ; la circonstance que l'infection a été contractée à l'occasion d'une greffe d'organe ne fait pas obstacle à l'application des dispositions citées ci-dessus » [14]

 

De tout ce qui précède, il en résulte que le caractère nosocomial d’une infection devra nécessairement être retenu dès lors que la prise en charge médicale a joué un rôle dans le processus infectieux, et ce :

 

  • même si l’infection a pu trouver son origine dans un accident médical ou une pathologie préexistante ;

 

  • même si le patient présentait des prédispositions pathologiques, des facteurs de vulnérabilité ou un état antérieur ayant favorisé les complications litigieuses ;

  • même si l’origine de la contamination est endogène ;

 

  • même si l’origine de l’infection est incertaine ou multifactorielle.

 


[1] CE, 5e et 4e ch., 9 déc. 2016, n° 390892

[2] TA NANTES,15 juin 2016, n°s 1309624 & 1501081

[3] Recommandation n° R 84 20

[4] CE 23 mars 2018 n°402237 ; Cass chambre civile 1, 6 avril 2022 n°20-18513

[5] Cass. Civ. 1ère 14 avril 2016 n°14-23909 

[6] CAA Bordeaux 21 févier 2017 n°14BX02577

[7] CE 1er février 2022 n°440852

[8] CAA DOUAI, 6 juin 2017 n°15DA00471

[9] CE 10 octobre 2011 n°328500

[10] CA Toulouse, 4 avril 2022, RG N°19/05466

[11] CAA Bordeaux 29 mai 2018 n°16BX025454

[12] Cass chambre civile 1, 6 avril 2022 n°20-18513

[13] TA Rennes 24 juin 2022 n°1902917

[14] CE, 5e et 4e ch., 30 juin 2017, n° 401497