Pour en savoir plus : voir « Traité de la responsabilité des constructeurs », par A. CASTON, F.-X. AJACCIO, R. PORTE et M. TENDEIRO, 7ème édition (960 pages), septembre 2013, éd. « Le Moniteur », page 702.

COUR ADMINISTRATIVE D'APPEL DE MARSEILLE.

6ème Chambre

N° 10MA02585

8 avril 2013.

Inédite au recueil Lebon.

Vu la requête, enregistrée le 8 juillet 2010 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, sous le nº 10MA02585, présentée pour la commune d'Alès, représentée par son maire, par Me D... ;

La commune d'Alès demande à la Cour :

1º) d'annuler le jugement nº 1001024 du 21 mai 2010 en tant que le tribunal administratif de Montpellier n'a que partiellement fait droit à sa demande tendant à la condamnation solidaire de la société Rourissol frères, de M. C...et de la société Tuilerie Briqueterie française à lui verser les sommes de 46 990 euros au titre des réparations de la couverture du complexe funéraire ainsi que la somme de 22 000 euros au titre des préjudices accessoires ;

2º) de condamner solidairement la société Rourissol frères, M. C...et la société Terreal, venant aux droits de la société Tuilerie Briqueterie française, à lui verser les sommes de 46 990 euros au titre du préjudice principal et la somme de 22 000 euros au titre des préjudices accessoires, assorties des intérêts moratoires à compter de la saisine du tribunal administratif, le 6 octobre 2003, capitalisés ;

3º) de mettre à la charge solidaire de la société Rourissol frères, de M. C...et de la société Terreal, venant aux droits de la société Tuilerie Briqueterie française, une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

..........................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des marchés publics ;

Vu le code civil ;

Vu le code de justice administrative ;

Vu le code de justice administrative ;

Vu la décision en date du 1er septembre 2012 du président de la cour administrative d'appel de Marseille portant désignation, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative, de M. Laurent Marcovici, président assesseur, pour présider les formations de jugement en cas d'absence ou d'empêchement de M. Guerrive, président de la 6e chambre ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 18 mars 2013 :

- le rapport de Mme Carotenuto, rapporteur,

- les conclusions de Mme Markarian, rapporteur public,

- et les observations de Me D...pour la commune d'Alès et de Me A...pour la société Rourissol frères ;

1. Considérant que la commune d'Alès a conclu un marché de maîtrise d'oeuvre avec M. C..., architecte, et un marché public de travaux avec la société Rourissol frères, ayant pour objet la conception et la réalisation de la couverture d'un complexe funéraire ; que les travaux ont été réceptionnés sans réserves par la commune le 30 octobre 1992 ; qu'en 1996, des phénomènes d'infiltrations sont apparus dans plusieurs locaux ; que, par une ordonnance du tribunal de grande instance d'Alès en date du 6 juin 2002, une expertise a été diligentée afin de déterminer l'origine des désordres et le coût des travaux de reprise nécessaires ; que l'expert a rendu son rapport le 22 janvier 2003 ; que, la commune d'Alès a alors saisi le tribunal administratif de Montpellier d'une demande tendant à la condamnation solidaire de M.C..., de la société Rourissol frères et de la société Terreal, venant aux droits de la société Tuilerie Briqueterie française, fabricant des tuiles posées en couverture, à lui verser la somme de 46 990 euros au titre du préjudice principal et la somme de 22 000 euros au titre des préjudices accessoires ; que par un jugement du 4 mai 2007, le tribunal administratif a rejeté la requête de la commune pour défaut de fondement juridique de la demande ; que par un arrêt du 25 février 2010, la Cour a admis la recevabilité de la requête, la commune d'Alès l'ayant régularisée et précisé le fondement juridique, la responsabilité décennale des constructeurs, dans un mémoire enregistré le 24 avril 2006, a annulé le jugement du 4 mai 2007 et a renvoyé l'affaire devant le tribunal administratif pour qu'il soit statué sur la requête ; que par le jugement attaqué du 21 mai 2010, le tribunal administratif n'a que partiellement fait droit aux demandes de la commune d'Alès et a condamné solidairement M. C...et la société Rourissol frères à lui verser la somme de 33 730 euros ;

Sur la compétence de la juridiction administrative :

2. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la société Tuilerie Briqueterie française, aux droits de laquelle vient la société Terreal, qui a fabriqué les tuiles utilisées pour la couverture du complexe funéraire, n'a pas de lien contractuel avec le maître d'ouvrage et n'a pas la qualité de constructeur ; que la juridiction administrative n'est, dès lors, pas compétente pour connaître des conclusions de la commune dirigées contre cette société ; qu'il y a lieu, en conséquence, d'annuler le jugement attaqué du tribunal administratif de Montpellier en tant qu'il a statué sur ces conclusions puis, par voie d'évocation, de les rejeter comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître ;

Sur la recevabilité :

3. Considérant que devant le tribunal administratif, la commune d'Alès a demandé la condamnation des défendeurs à lui verser la somme totale de 68 990 euros, correspondant à la somme de 46 990 euros au titre des réparations de la couverture du complexe funéraire et à la somme de 22 000 euros au titre des préjudices accessoires ; que la commune d'Alès a donc formulé des conclusions indemnitaires au titre des préjudices accessoires en première instance ; que la société Rourissol frères n'est donc, en tout état de cause, pas fondée à soutenir que de telles conclusions sont nouvelles en appel ;

Sur la responsabilité :

4. Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise en date du 22 janvier 2003 que, depuis l'année 1996, le complexe funéraire situé sur la commune d'Alès est le siège de nombreuses infiltrations plus ou moins anciennes par les toitures en tuiles, touchant l'intérieur des locaux et détériorant une grande partie des plaques du plafond suspendu ainsi que la laine de verre posée au-dessus de ces plaques ; que ces désordres n'ont fait l'objet d'aucune réserve et n'étaient pas apparents lors de la réception de l'ouvrage ; qu'il n'est pas sérieusement contesté que ces désordres, de nature à menacer la solidité de l'ensemble de l'ouvrage et à le rendre impropre à sa destination, sont au nombre de ceux qui sont susceptibles d'engager la responsabilité des constructeurs, en application des principes dont s'inspirent les articles 1792 et 2270 du code civil alors en vigueur ;

5. Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert, que la cause des désordres litigieux réside dans le choix inadapté de tuiles de type " canalavérou 50 ", ne convenant pas pour une toiture en croissant telle que celle du toit du complexe funéraire ; qu'à cet égard, les désordres affectant le complexe funéraire sont imputables tant à un défaut de conception de la part de M.C..., architecte, qui a prescrit des matériaux inadaptés, qu'à l'entrepreneur, la société Rourissol frères, qui n'a présenté aucune observation sur un tel choix ;

Sur le préjudice :

6. Considérant, en premier lieu, que l'expert a proposé deux solutions afin de pallier les désordres affectant le complexe funéraire : la première consistant en la fourniture et la pose de tuiles gironnées, évaluée à 33 730 euros HT et la seconde, comprenant la mise en place d'un complexe d'étanchéité sous les tuiles récupérées à poser, évaluée à 46 990 euros HT ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que la première solution, prévoyant la fourniture et la pose de tuiles gironnées, qui au demeurant peuvent être fournies par la société Terreal, ne serait pas de nature à remédier définitivement aux désordres ; que par suite, la commune d'Alès n'est pas fondée à obtenir l'indemnisation des travaux de reprise des désordres sur la base de la seconde solution présentée par l'expert ; qu'il suit de là, que le montant correspondant auxdits travaux de reprise doit être fixé, ainsi que l'a jugé le tribunal administratif, à la somme de 33 730 euros HT ;

7. Considérant, en deuxième lieu, qu'il ne résulte pas de l'instruction que les infiltrations provoquées par le défaut d'étanchéité de la toiture du complexe funéraire aient entraîné des troubles de jouissance dont la commune d'Alès serait fondée à demander réparation ;

8. Considérant, en dernier lieu, que la commune d'Alès sollicite également l'indemnisation des dépenses supplémentaires induites par les infiltrations ; que dans un premier temps, elle a sollicité la somme de 10 000 euros sur la base d'un devis estimatif établi par la direction du patrimoine immobilier ; qu'elle a porté, par la suite, cette somme à 88 361,48 euros correspondant à un devis établi le 21 juin 2011 par la société Recolor ; qu'il sera fait une juste appréciation du coût des travaux nécessaires pour supprimer les désordres relatifs aux infiltrations à l'intérieur des locaux en le fixant à la somme de 10 000 euros ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'ensemble des préjudices subis par la commune d'Alès doit être évalué à la somme totale de 43 730 euros ; que, par suite, la commune d'Alès est fondée à demander la réformation du jugement attaqué en tant qu'il a limité à la somme de 33 730 euros l'évaluation du montant de ses préjudices ;

Sur les intérêts :

10. Considérant que la demande d'intérêts moratoires peut être formée à tout moment de la procédure ; que la commune d'Alès a demandé au juge d'appel, dans un mémoire enregistré le 2 août 2007, le bénéfice des intérêts au taux légal à compter du 6 octobre 2003, date d'introduction de la requête ; que la somme de 43 730 euros portera intérêts aux taux légal à compter du 6 octobre 2003 ;

Sur la capitalisation des intérêts :

11. Considérant que la commune d'Alès a demandé la capitalisation des intérêts dans son mémoire d'appel introduit le 2 août 2007 devant la cour administrative d'appel de Marseille ; qu'à cette date il lui était dû plus d'une année d'intérêts ; que, dès lors elle a droit à la capitalisation des intérêts sur la somme de 43 730 euros que la société Rourissol frères et M. C... ont été condamnés à lui verser, à compter de cette date et à chaque échéance annuelle ultérieure ;

Sur les frais d'expertise :

12. Considérant que les frais d'expertise doivent être mis à la charge solidaire de M. C... et de la société Rourissol frères ;

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. " ;

14. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et d'une part, de mettre à la charge solidaire de la société Rourissol frères et de M. C...une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la commune d'Alès et non compris dans les dépens et d'autre part, de mettre à la charge de la commune d'Alès une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la société Terreal et non compris dans les dépens ; que les mêmes dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune d'Alès la somme demandée à ce titre par la société Rourissol frères ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 21 mai 2010 est annulé en tant qu'il a statué sur les conclusions de la commune d'Alès dirigées contre la société Terreal venue aux droits de la société Tuilerie Briqueterie française.

Article 2 : Les conclusions de la commune d'Alès dirigées contre la société Terreal venue aux droits de la société Tuilerie Briqueterie française sont rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

Article 3 : La somme de 33 730 euros que M. C...et la société Rourissol frères ont été solidairement condamnés à payer à la commune d'Alès par l'article 1er du jugement du tribunal administratif de Montpellier du 21 mai 2010 est portée à 43 730 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 6 octobre 2003, les intérêts étant capitalisés pour porter eux-mêmes intérêts au 2 août 2007, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Article 4 : Les frais d'expertise sont mis à la charge solidaire de M. C...et de la société Rourissol frères.

Article 5 : Le jugement du tribunal administratif de Montpellier, en tant qu'il se prononce sur les conclusions dirigées contre M. C...et la société Rourissol frères, est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 6 : La société Rourissol frères et M. C...verseront solidairement à la commune d'Alès une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 7 : La commune d'Alès versera à la société Terreal une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 8 : Le surplus des conclusions de la requête de la commune d'Alès est rejeté.

Article 9 : Les conclusions de la société Rourissol frères tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.