Vente immobilière - vice caché - préjudice (évaluation)

 

 

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 2 mars 2022




Cassation


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 221 F-D

Pourvoi n° J 20-14.762




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 2 MARS 2022

1°/ M. [I] [V],

2°/ Mme [S] [V],

tous deux domiciliés [Adresse 2],

ont formé le pourvoi n° J 20-14.762 contre l'arrêt rendu le 22 janvier 2020 par la cour d'appel de Rouen (1re chambre civile), dans le litige les opposant à la société RJP, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Abgrall, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de M. et Mme [V], de la SARL Ortscheidt, avocat de la société RJP, après débats en l'audience publique du 25 janvier 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Abgrall, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 22 janvier 2020), par acte du 6 août 2015, la société RJP a vendu à M. et Mme [V] un terrain à bâtir sur lequel ils ont fait édifier un immeuble d'habitation par la société Extraco avec laquelle ils avaient conclu un contrat de construction de maison individuelle le 27 février 2015.

2. Invoquant l'existence d'un vice caché tenant à un défaut de portance du sol découvert par une étude réalisée à la demande du constructeur après les premiers travaux de terrassement, M. et Mme [V] ont assigné la société RJP en restitution partielle du prix et paiement de dommages-intérêts.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. M. et Mme [V] font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes de condamnation de la société RJP à leur payer la somme de 22 247,30 euros à titre de réduction du prix de vente du terrain et celle de 10 000 euros en réparation de leur préjudice moral, alors :

« 1°/ qu'il résulte de l'article 1644 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige issue de la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 que dans le cas des articles 1641 et 1643, l'acheteur a le choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix, ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix ; que le vendeur est ainsi tenu, au titre de la réduction du prix, au paiement d'une somme correspondant au montant des travaux de reprise dont le prix peut être déterminé par tout moyen ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que le terrain à bâtir vendu par la société RJP aux époux [V] était affecté d'un vice caché antérieur à la vente, nécessitant des travaux spécifiques pour le rendre constructible, et que la société RJP était tenue, en sa qualité de professionnel de l'immobilier, de garantir ce vice caché diminuant tellement l'usage du bien que les époux [V] ne l'auraient pas acquis ou en tout cas, pas au prix fixé s'ils en avaient eu connaissance ; qu'en retenant néanmoins, pour débouter les acquéreurs de leur action estimatoire, que les époux [V] ont communiqué une facture acquittée pour le montant réclamé, mais que le prix avait été fixé unilatéralement par l'entreprise chargée de réaliser les travaux et n'était pas opposable à la société RJP, cependant qu'à supposer excessif le prix pour les travaux supplémentaires dont elle a parfaitement admis qu'ils étaient nécessaires, il appartenait à la cour d'appel d'en déterminer le juste montant et non d'en exclure purement et simplement le remboursement ; qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé ;

2°/ que l'action estimatoire de l'article 1644 du code civil permet de replacer l'acquéreur dans la situation où il se serait trouvé si la chose vendue n'avait pas été atteinte de vices cachés ; que le vendeur est tenu de restituer la fraction du prix correspondant au coût des travaux nécessaires que l'acquéreur a réalisés pour remédier aux vices cachés sans que le vendeur ne puisse prétendre que le coût aurait dû être supporté par un tiers pour s'y opposer ; qu'en se fondant, pour débouter les acquéreurs de leur action estimatoire, sur la circonstance radicalement inopérante qu'ils avaient accepté en toute connaissance de cause de payer le surcoût de travaux d'un montant de 22 247,30 euros en renonçant expressément dans l'avenant signé le 16 mai 2016 à se prévaloir du caractère forfaitaire du prix contractuel fixé dans le marché initial les liant au constructeur, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé ;

3°/ qu'il résulte de l'article 1645 du code civil que si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu'il en a reçu, de tous les dommages-intérêts envers l'acheteur ; que la victime n'est jamais tenue de limiter son préjudice dans l'intérêt du responsable ; qu'en se fondant, pour débouter les acquéreurs de leur demande de réparation de préjudice moral, sur la circonstance inopérante qu'ils avaient renoncé à se prévaloir du caractère forfaitaire du prix du contrat de construction, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1644 et 1645 du code civil :

4. Selon le premier de ces textes, en cas de vice caché, l'acheteur a le choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix, ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix.

5. Selon le second, si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu'il en a reçu, de tous les dommages-intérêts envers l'acheteur.

6. Pour rejeter les demandes de réduction de prix et de dommages-intérêts de M. et Mme [V], l'arrêt retient que, s'ils produisent une facture acquittée pour le montant réclamé, il ressort des pièces du dossier que ce prix a été fixé unilatéralement par la société Extraco, la simple information donnée le 22 janvier 2016 par mail à la société RJP de ce montant ne le lui rendant pas opposable, qu'en outre, ils ont accepté, en toute connaissance de cause, de payer le surcoût de travaux d'un montant de 22 247,30 euros en renonçant expressément dans l'avenant signé le 16 mai 2016 à se prévaloir du caractère forfaitaire du prix contractuel fixé dans le marché initial, et qu'ils ne peuvent, en conséquence, réclamer au vendeur ni le prix du surcoût qui incombait juridiquement au constructeur ni solliciter l'indemnisation d'un préjudice moral.

7. En statuant ainsi, alors qu'elle avait retenu que le terrain acquis par M. et Mme [V] était affecté d'un vice caché nécessitant des travaux spécifiques pour le rendre constructible et que la victime n'est pas tenue de limiter son préjudice dans l'intérêt du responsable, la cour d'appel, qui devait déterminer le juste montant de la réduction du prix sans que le vendeur ne pût prétendre que le coût des travaux correspondant à celle-ci aurait dû être supporté par le constructeur pour s'y opposer, a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 22 janvier 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Caen ;

Condamne la société RJP aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société RJP et la condamne à payer à M. et Mme [V] la somme de 3 000 euros ;