Droit d'asile - Référé suspension - Insuffisance de motivation - violation d'une liberté fondamentale - situation d'urgence - Défaut d'information sur les garanties procédurales

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Vu le pourvoi, enregistré le 28 février 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté pour M. A et me B épouse A, agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité de représentants légaux de leurs enfants mineurs (...), domiciliés (...) ; M. et Mme A demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du 8 février 2008 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande tendant, d'une part, à la suspension de la décision du 7 février 2008 par laquelle le préfet a refusé de les admettre sur le territoire national et ordonné leur réadmission vers la Pologne, d'autre part, à ce qu'il soit enjoint au préfet de réexaminer sans délai leur situation personnelle et familiale pour raisons humanitaires et de leur délivrer une autorisation de séjour en vue de l'examen de leur demande d'asile auprès de l'Office français des réfugiés et apatrides (OFPRA), dans un délai de 72 heures et sous astreinte ;

2°) statuant en référé, de suspendre l'arrêté litigieux et d'enjoindre au préfet de transmettre leur demande d'asile à l'OFPRA ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros au profit de la S. et S., leur avocat, qui renonce au bénéfice de l'aide juridictionnelle, en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;

Vu la Constitution ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée le 4 novembre 1950 ;

Vu la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés ;

Vu le règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 ;

Vu le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 ;

Vu la directive 2005/85/CE du 1er décembre 2005 ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

Vu le code de justice administrative ;

(...)

Sur l'intervention du Groupement d'information et de soutien des immigrés (GISTI) et du Service oecuménique d'entraide (CIMADE) :

Considérant que le Groupement d'information et de soutien des immigrés (GISTI) et le Service oecuménique d'entraide (CIMADE) ont intérêt au maintien de l'ordonnance attaquée ; qu'ainsi, leur intervention est recevable ;

Sur les conclusions du pourvoi :

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;

Considérant que, pour rejeter la demande de M. et Mme A formée au titre de l'article L. 521-2 du code de justice administrative et tendant, d'une part, à la suspension de la décision du préfet du 7 février 2008 refusant leur admission sur le territoire français et ordonnant, contrairement à ce que prétend le ministre, leur réadmission vers la Pologne en application du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil, du 18 février 2003, établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers, d'autre part, à ce qu'il soit enjoint au préfet de réexaminer leur situation et de leur délivrer une autorisation provisoire de séjour en vue de saisir l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), le juge des référés du tribunal administratif de Nantes s'est borné à relever que la procédure préfectorale ne portait pas une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale sans se prononcer sur la régularité de celle-ci et sans répondre notamment au moyen développé devant lui et tenant au défaut de traduction dans une langue qui leur était compréhensible des informations auxquelles ils avaient droit et des décisions prises à leur encontre ; que, ce faisant, il a entaché son ordonnance d'une insuffisance de motivation ; que, par suite, M. et Mme A sont fondés à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures » ;

Considérant, d'une part, qu'une décision de remise à un Etat étranger, susceptible d'être exécutée d'office en vertu des articles L. 531-1 et L. 531-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, crée, pour son destinataire, une situation d'urgence au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ;

Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 3 du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil, du 18 février 2003 : « (...) 4. Le demandeur d'asile est informé par écrit, dans une langue dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend, au sujet de l'application du présent règlement, des délais qu'il prévoit et de ses effets » ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que M. et Mme A aient été informés par écrit dans une langue qu'ils comprenaient des conditions d'application du règlement, de ses délais et de ses effets ; qu'ainsi, faute d'avoir mis les requérants à même de bénéficier des garanties procédurales prévues par le paragraphe 4 de l'article 3 du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil, du 18 février 2003, le préfet a porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit d'asile ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu d'ordonner la suspension de la décision du 7 février 2008 par laquelle le préfet a refusé aux requérants l'admission au séjour et ordonné leur réadmission vers la Pologne ; que cette suspension implique seulement que les autorités compétentes sont à nouveau saisies de leur demande d'admission au séjour au titre de l'asile ; qu'il y a lieu, en conséquence, d'enjoindre au préfet de réexaminer la demande d'admission au séjour au titre de l'asile de M. et Mme A dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la présente décision, sans qu'il y ait lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

Considérant que M. et Mme A ont obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle ; que, par suite, leur avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros que la S. et S., avocat des intéressés, qui déclare renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, demande au titre de ces dispositions ;

DECIDE :

Article 1er : L'intervention du Groupement d'information et de soutien des immigrés (GISTI) et du Service oecuménique d'entraide (CIMADE) est admise.

Article 2 : L'ordonnance du 8 février 2008 du juge des référés du tribunal administratif de Nantes est annulée.

Article 3 : L'exécution de la décision du 7 février 2008 du préfet refusant l'admission de M. et Mme A sur le territoire national et ordonnant leur réadmission vers la Pologne est suspendue.

Article 4 : Il est enjoint au préfet de procéder au réexamen de la demande d'admission sur le territoire au titre de l'asile de M. et Mme A dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la présente décision.

Article 5 : L'Etat versera à la S. et S, avocat de M. et Mme A, qui déclare renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, la somme de 3 000 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le surplus des conclusions du pourvoi de M. et Mme A est rejeté.

Article 7 : La présente décision sera notifiée à M. A, à Mme B., épouse A, et au ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire.

CE., 28 juillet 2008