Peut-on comparer le don d'enfant (le prêt d'utérus) à un don d'organe?

Quelques réflexions personnelles ainsi qu'un appel à réactions.

Alors qu'il est question de légiférer sur le recours aux mères porteuses, il me semble important de réfléchir aux notions mises en jeu par ce débat:

Définition:

Le processus de "mère porteuse" désigne l'acte par lequel une femme accepte de porter en son sein l'embryon fécondé d'un couple dont la mère ne peut porter un enfant jusqu'à son terme. L'enfant est donc le fruit de l'union (charnelle ou médicale) d'un homme et d'une femme, et détient le patrimoine génétique de ses parents.

Il n'a aucun lien génétique avec la mère porteuse, qui prête son utérus le temps de la gestation.

En revanche, la science nous apprends qu'il développe un lien psychique avec la mère "porteuse".

Le geste ne s'apparente donc pas à une adoption, puisque l'enfant est génétiquement celui des candidats à la parentalité, et non celui de la mère porteuse. Légalement, la mère génétique pourrait contester la filiation de l'enfant si la mère biologique cherchait à le reconnaître comme sien.

Le geste s'apparente plus à un abandon d'enfant, puisque l'enfant, né d'une mère connue apparente. Sauf à celle-ci à accoucher sous X. Et aux parents génétiques à déclarer l'enfant en leur nom. Ce qui pénalement s'appelle une substitution d'enfant.

Le geste est également totalement différent du don de gamètes, par lequel l'homme ou la femme font don de leurs gamètes à un tiers, et renoncent à revendiquer leur paternité sur l'enfant à venir. Bien au contraire, les gamêtes sont fécondées et réunies en un embryon dont ils revendiquent la paternité et la maternité génétique, sauf la gestation et l'accouchement.

Nature de la prestation de prêt d'utérus:

La prestation de prêt d'utérus est-elle ou doit-elle être contractualisée?

A mon sens, elle le doit. Car on ne confie pas un enfant à un tiers sans accord sur la garde de celui-ci. Or, le foetus doit être considéré comme un enfant. Il faut donc déterminer les responsabilités en présence.

En outre, si la mère porteuse vient à subir des maladies, accidents, ou autres liés à la grossesse, elle doit être en mesure de réclamer une indemnisation aux mandants, parents génétiques.

Cette prestation peut être qualifiée de contrat de travail ou de prestation libérale. La qualification juridique importe peu. En revanche, ce qui est important c'est que la prestation doit être qualifiée. Au même titre que le contrat de nourrice au sein de jadis.

Intérêt de l'Enfant

Les associations favorables au recour aux mères porteuses mettent en avant l'intérêt de l'enfant à naître. Mais c'est une malhonêteté intellectuelle grave ! A aucun moment l'intérêt de l'enfant à naître n'est considéré dans le processus de mère porteuse. En effet, ce processus est mis en place artificiellement par un accord entre les parents génétiques et la mère porteuse biologique, "avant" la conception même de l'enfant. L'intérêt de l'enfant n'a donc jamais été abordé lors de l'installation du processus de prêt d'utérus. Mais uniquement l'intérêt égoïste (même si légitime) des deux parents candidats.

Cependant, dans une conception extensive, on peut considérer de s'intéresser à l'intérêt du foetus constitué in vitro, dans la mesure où, celui-ci étant créé, il faut lui rechercher un hôte lui permettant de se développer suffisamment jusqu'à être viable et pouvoir naître. Mais il n'échappera à personne que l'intérêt de l'enfant n'est pris en compte qu'à partir du moment où les candidats parents ont pris le risque de concevoir un foetus, en connaissance de cause, sachant qui ne pourra être mené à terme dans l'utérus de la mère biologique. Il s'agit donc d'une inversion des priorités, et certainement également des concepts. Mettre l'enfant au centre du problème "avant" que le problème n'intervienne. Voir même créer le problème pour permettre à l'enfant d'exister. Il est difficile de ne pas comprendre l'intérêt moral des parents. Mais il est également difficile d'accepter de pervertir des notions aussi fondamentales que celle de l'intérêt de l'enfant à naître.

Assimilation du prêt d'utérus au don d'organe:

De nombreuses associations assimilent le prêt d'utérus au don d'organe : si l'être humain est libre de donner, volontairement, un organe de son corps, il est également libre d'aliéner temporairement l'usage d'un autre organe.

Cependant, autant je peux concevoir qu'on autorise un être humain à aliéner son propre corps (qu'est-ce d'autre que le travail?), autant je ne peux accepter qu'on assimile le recours à une mère porteuse à un simple don d'organe.

Pour la simple raison que l'organe n'a pas d'autonomie d'existence, et qu'une fois détaché du corps du donneur, il ne pourra vivre que dans le corps du receveur.

Alors que l'enfant qui sera conçu dans ces conditions n'est pas "donné" (on ne peut pas donner ce qu'on ne possède pas, et de fait, on ne possède pas un enfant). Il est, juridiquement, soit abandonné, soit revendiqué par les parents génétiques.

Et il possède une autonomie propre qui lui permet, s'il le souhaite, de retourner vers sa mère naturelle, même si non-génétique.

Droit à l'enfant:

Je réfute l'idée qu'il pourrait exister un éventuel "droit à l'enfant".

Aucun couple n'a "droit" à avoir un enfant. La question n'est pas posée en termes juridiques, mais en termes biologiques. Tel couple "peut-il" biologiquement, anatomiquement, génétiquement, avoir un enfant.

Evoquer le "droit" à l'enfant serait d'autant plus dangereux qu'il aurait un corrolaire nécessaire : le "devoir" d'enfant. Car il n'est de droit qu'autant qu'il existe des devoirs qui viennent en confirmer l'application. Or ce "devoir" d'enfant pourrait un jour imposer aux femmes fertiles de "faire" des enfants, nonobstant leurs choix. Il pourrait également remettre en cause le droit des femmes à disposer de leur corps, et à avorter.

Enfin, si l'on pousse le corrolaire à son maximum, le "droit" à l'enfant peut s'inverser en "permis" d'enfant. Si un couple peut un jour revendiquer un "droit" à l'enfant, il peut être envisageable qu'on vienne retirer ce "droit" à un individu ou à un couple, pour des raisons aussi diverses que variées. (moeurs, religion, sanction pénale...).

Raisons pour lesquelles je ne peux pas accepter, en l'état, la légalisation des mères porteuse. Sauf à créer un contrat particulier, par lequel la mère porteuse s'engage à renoncer par avance à ses droits parentaux sur l'enfant.

Or, en l'état actuel du droit français, de telles renonciations anticipées seraient nulles, et la mère pourrait les dénoncer après l'accouchement. Ce qui contraindrait les parents génétiques à une action en contestation de filiation naturelle de l'enfant.

C'est donc un vrai choix de société qui doit être fait.

Vous pouvez donner une idée du votre, anonymement, en votant ci-après.

Ariel DAHAN

Avocat au barreau de Paris