Le Triibunal correctionnel de Paris vient de rendre une décision interessante en matière de droit de la presse et plus particulièrement concernant l'infraction de provocation à la haine.
Je reproduis le jugement in extenso, il ne me parait pas nécessiter de commentaire, tant il est limpide sur les critères qui permettent ou non de caractériser l'infraction. Le voici.
"Sur les faits :
Par acte d'huissier délivré le 19 janvier 2015, l'association ALLIANCE GENERALE CONTRE LE RACISME ET LE RESPECT DE L'IDENTITE FRANCAISE ET CHRETIENNE (ci-après AGRIF) faisait citer devant ce tribunal X, avocate, pour provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence envers les catholiques.
La partie civile exposait que, le 22 janvier 2014, X avait publié, à partir de son compte TWEETER, « @X », un message ainsi rédigé :
« Vigilants nous devons être car les réactionnaires s'agitent encore et cela ne cessera que lorsqu'ils seront morts.fb.me/27LVjnqoF ».
L'association AGRIF précisait dans sa citation que le lien renvoyait à un article mis en ligne le 19 janvier 2014 sur le site du quotidien LIBERATION, intitulé « Manif anti-IVG : « Les femmes qui avortent sont désespérées » », article relatif à une manifestation s'étant déroulée à Paris ce même 19 janvier.
A l'audience, le conseil de la partie civile sollicitait la condamnation de la prévenue à lui verser la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, outre 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 475-1 du code de procédure pénale, et la publication du jugement dans trois journaux au choix de la partie civile, dans la limite de 5.000 euros par publication.
Le ministère public, dans ses réquisitions, estimait que les propos poursuivis ne visaient pas la communauté catholique dans son ensemble.
Le conseil de la prévenue sollicitait sa relaxe, outre 6.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 800-2 du code de procédure pénale, au motif que les éléments constitutifs de l'infraction n'étaient pas réunis.
Sur le délit de provocation publique à la discrimination, à la haine et à la violence :
L'article 24 alinéa 8 de la loi du 29 juillet 1881 punit d'un an d'emprisonnement et/ou de 45.000 euros d'amende ceux qui, par l'un des moyens énoncés à l'article 23, auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.
Ce délit suppose la réunion de plusieurs éléments constitutifs :
- un caractère public, par l'un des moyens énoncés à l'article 23,
- une provocation, c'est à dire non pas forcément une exhortation, mais un acte positif d'incitation manifeste,
- à la discrimination, à la haine ou à la violence, ce qui n'exige pas un appel explicite à la commission d'un fait précis, dès lors que, tant par son sens que par sa portée, le propos tend à susciter un sentiment d'hostilité ou de rejet,
- à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes déterminé,
- et à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion, étant précisé que pour caractériser ce délit, il n'est pas forcément nécessaire que le message vise individuellement chaque personne composant le groupe considéré, l'infraction étant constituée dès lors que la teneur ou la portée du propos, en lien direct avec l'origine, l'ethnie, la nation, la race ou la religion, rejaillit sur la totalité de la communauté ainsi définie, mais qu'en revanche, il n'y a pas de délit quand est seulement visée une catégorie de personnes qui se distingue du groupe par des comportements spécifiques, auxquels le groupe dans son ensemble n'est pas assimilé,
- un caractère intentionnel, qui se déduit de la teneur même des propos et de leur contexte.
En l'espèce, les termes du « tweet » poursuivi, rédigé suite à une manifestation sur la voie publique, font état de ce qu'il y aurait lieu d'être « vigilants » à raison de l'action des «réactionnaires », qui ne cessera que lorsqu'ils « seront morts ».
Si la référence au décès des manifestants peut être considérée comme une incitation de nature à susciter à un sentiment d'hostilité à leur encontre, l'infraction, pour être caractérisée, suppose que l'ensemble de la communauté catholique soit visé.
Or, il faut relever :
- que le terme « réactionnaires » est le seul utilisé dans le « tweet » poursuivi, son auteur n'évoquant pas les catholiques ;
- que le fait d'être réactionnaire désigne l'attachement à un certain conservatisme et à une volonté de retour vers un état social ou politique antérieur (définition du dictionnaire, pièce 19 de la prévenue) évoquant ainsi principalement une sensibilité particulière par opposition à un camp « réformiste » ou «progressiste», ce sans rapport avec le champ religieux ;
- que, même en prenant en compte les éléments détaillés dans l'article du quotidien LIBERATION mis en lien, il est fait état avant tout des « opposants au droit à l'avortement », défilant dans le cadre d'une
« Marche nationale pour la défense de la vie » ; qu'ainsi, le message litigieux vise, par référence, non pas les catholiques dans leur ensemble, mais bien les personnes opposées au droit à l'avortement et ayant choisi de manifester le 19 janvier 2014 ;
- que l'article de LIBERATION ne rappelle qu'incidemment que la manifestation s'est déroulée à l'appel d'organisations catholiques ou a été soutenue par des responsables catholiques, ces éléments étant insuffisants à établir un lien entre le défilé du 19 janvier 2014 et la globalité de la communauté catholique.
Dans ces conditions, c'est à tort que l'association poursuivante voit dans des propos, qui ne s'appliquent qu'aux manifestants du 19 janvier 2014, une provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence envers les catholiques dans leur ensemble.
Dès lors, la prévenue sera renvoyée des fins de la poursuite.
Sur l'action civile :
L'association AGRIF apparaît recevable en sa constitution de partie civile, mais, du fait de la relaxe intervenue, sera déboutée de ses demandes.
Il y a lieu en outre de constater que les conditions ne sont pas réunies pour faire droit à la demande de la prévenue sur le fondement des dispositions de l'article 800-2 du code de procédure pénale.
PAR CES MOTIFS
contradictoirement
Renvoie X des fins de la poursuite ;
Déclare l'association Alliance générale contre le racisme et le respect de l'identité française et chrétienne (AGRIF) recevable en sa constitution de partie civile ;
La déboute de ses demandes ;
Rejette la demande formée par X sur le fondement des dispositions de l'article 800-2 du code de procédure pénale ;
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