On l’a vu précédemment, la légalité d’un trop perçu dépends depuis l’arrêt TERNON du 26 octobre 2001 et l’arrêt SOULIER du 6 novembre 2002, n°223041, du caractère créateur de droit ou non de l’avantage accordé.

S'il est créateur de droit, l’avantage octroyé ne peut être retiré que dans le délai de quatre mois. Il s’agit d’une sorte de principe de sécurité juridique au profit des administrés opposable à l’Etat.

Mais cette distinction s'est avérée assez difficile à appliquer.

En pratique, la détermination du caractère créateur de droit s’avère assez délicate et laisse au juge une grande marge d’appréciation comme le démontre le tableau ci-joint regroupant des exemples de cas d’espèce ayant donné lieu tantôt à qualification « d’acte créateur de droit », tantôt à qualification « d’erreur de liquidation ».

 Erreur de liquidation : validation du trop-perçu

 Acte créateur de droit : trop-perçu annulé

Trop perçu d'indemnité de résidence résultant d’une erreur informatique dans la codification de la zone de résidence de l’intéressé (CE, 3 septembre 2008, n° 299870)

Acte créateur de droit pour un versement d’une prime de qualification à un médecin chef des armées (CE, 5 avril 2006, n° 278904)

Trop perçu d'une indemnité pour charge militaire résultant d’une erreur informatique (CE, 9 mai 2011, n° 339901)

Acte créateur de droit pour un versement d’une prime du fait que l’agent n’exerce plus les fonctions y ouvrant droit (CE, 14 mai 2008, n° 303700)

Erreur de calcul de la solde d’un militaire sur une base indiciaire erronée (CE, 7 décembre 2007, n° 286842)

Acte créateur de droit pour un arrêté plaçant un agent en congé pour accident de service est une décision créatrice de droits au profit de l’agent (Conseil d'État, 2ème / 7ème SSR, 23 juillet 2014, 371460)

Trop perçu d’une NBI à un fonctionnaire territorial en arrêt de travail (CE, 6 novembre 2002, n°223041)

Acte créateur de droit prononcant la suppression rétroactive d’une NBI d’un fonctionnaire placé en Congé longue durée (TA Limoges, 12 mai 2011, n° 1000820)

Trop perçu d’un plein traitement à M. X pendant ses congés de maladie, au lieu d’indemnités journalières correspondant à 80 % de son traitement, n’a pas le caractère d’une décision accordant un avantage financier et constitue une simple erreur de liquidation non créatrice de droits  (CAA Nantes, 31 oct. 2014, n° 13NT02221)

Acte créateur de droit pour un avantage explicitement octroyé maintenu ensuite sur les bulletins de paie sans décision formelle alors que les conditions auxquelles est subordonné son maintien ne sont plus remplies (Avis du CE du 3 mai 2004, 262074, publié au recueil Lebon)

Agent en congé de maladie demi-traitement qui a indûment perçu un plein traitement (CAA de NANCY, 3ème chambre - formation à 3, 24/09/2015, 14NC01640, Inédit au recueil Lebon)

Acte créateur de droit pour un plein traitement accordé au fonctionnaire victime d’un accident de service en cas de fixation rétroactive de la date de sa consolidation (Conseil d'État, 3ème sous-section jugeant seule, 26/11/2013, 355839, Inédit au recueil Lebon)

Erreur dans l’application du taux de l’indemnité de résidence (ord. réf. 22 juillet 2020, Ministre de l'intérieur, n°s 434697, 434702, 434704, 434705, 434707, 434709, 434711, 434713, 434714, 434717, 434719, 434721, 434722, 434724)

 

Maintien de la rémunération après la retraite (CAA Marseille, 8e ch., 9 févr. 2021, n° 19MA02802)

 

 

 

Le Conseil d’Etat a donc commencé à faire machine arrière devant la multiplication du contentieux, suivi par le législateur lui-même qui a ensuite tenter de contrecarrer partiellement la méthodologie préconisée par la jurisprudence TERNON/SOULIER.

Par un arrêt du, 12 octobre 2009, n° 310300, semblant revenir sur sa position précédente,  le Conseil d’Etat a tout d’abord exclu du champ des actes créateurs de droit les décisions implicitement prises par l’administration alors même que le fonctionnaire (il s’agissait d’un militaire) avait informé sa hiérarchie du changement de situation :

« le maintien indu du versement d'un avantage financier à un agent public, alors même que le bénéficiaire a informé l'ordonnateur qu'il ne remplit plus les conditions de l'octroi de cet avantage, n'a pas le caractère d'une décision accordant un avantage financier et constitue une simple erreur de liquidation ; qu'il appartient à l'administration de corriger cette erreur et de réclamer le reversement des sommes payées à tort, sans que l'agent intéressé puisse se prévaloir de droits acquis à l'encontre d'une telle demande de reversement ». 

Dans un second temps, par la loi de finance rectificative du 28 décembre 2011, le législateur a réduit à deux ans, à compter du 30 décembre 2011, le délai de prescription des créances résultant de paiements indus effectués par les personnes publiques en matière de rémunération de leurs agents.

Article 37-1 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 : « Les créances résultant de paiements indus effectués par les personnes publiques en matière de rémunération de leurs agents peuvent être répétées dans un délai de deux années à compter du premier jour du mois suivant celui de la date de mise en paiement du versement erroné, y compris lorsque ces créances ont pour origine une décision créatrice de droits irrégulière devenue définitive. »

Cette loi a-t-elle privé la jurisprudence TERNON/SOULIER de tout effet ?

NON. Même si elle a réduit singulièrement son champ d’application depuis ses plus de vingt ans d’existence, la jurisprudence TERNON/SOULIER s’avère toujours d’actualité.

Tout d’abord, la distinction entre acte créateurs de droit et erreurs de liquidation pourrait être un moyen de déterminer l’application ou non de la prescription biennale.

En effet, il faut noter que dans un arrêt du CE 3 mars 2017, n°398121, le Conseil d’Etat à laisser penser que les actes non-créateurs de droit peuvent être répétés sans condition de délai. Pris in extenso, cet arrêt pourrait suggérer que les erreurs de liquidation de créance, qui sont, par définition, non créatrices de droit ne seraient pas soumises à la prescription biannuelle. Toutefois, dans cette espèce, l’acte en question avait été obtenu par fraude. Or, comme l’expliquait le rapporteur publique G. Pellissier « un acte obtenu par fraude ne créé jamais de droits et peut être rapporté à tout moment, sans condition de délai (12 avril 1935, Sarovitch, p.520 ; 10 février 1961, C…, n°49300 p.102; 17 juin 1955, Silberstein, p. 335 ; 17 mars 1976, T…, n°89299p.157 ; 29 novembre 2002, APHP, n° 223027, au rec) ». Ainsi il est délicat d’en déduire l’inapplicabilité de l’article 37-1 à toutes les erreurs de liquidations de créance.

Il convient en outre de rappeler que l’article 37-1 précité ne s’applique qu’en matière de rémunération des fonctionnaires au sens strict.

Ainsi, la circulaire relative « au délai de la prescription extinctive concernant les créances résultant de paiements indus effectués par les services de l’Etat en matière de rémunération de leurs agents » du 11 avril 2013 indique que cette disposition à vocation à s’appliquer aux versements d’indus suivants :

-le traitement : l'agent a été rémunéré sur la base d'un indice supérieur à celui auquel il avait droit, a perçu un traitement correspondant à un temps plein alors qu'il travaillait à temps partiel, a bénéficié d’une rémunération en l'absence de service fait, a continué à être rémunéré alors qu'il était radié des cadres ;

-les compléments de rémunération énumérés à l’article 20 de la loi n° 83-634 du 13modifiée portant droits et obligations des fonctionnaires que sont l’indemnité de résidence et supplément familial de traitement (SFT) : l'agent peut avoir perçu un SFT alors que son conjoint agent public le percevait ou que l'âge de ses enfants n'ouvrait plus ce droit ; il a pu bénéficier d’une indemnité de résidence au taux de Paris alors qu’il était affecté dans une commune n’y ouvrant pas droit ;

- les primes et indemnités instituées par un texte législatif ou règlementaire : l'agent percevait une nouvelle bonification indiciaire (NBI) alors que les fonctions qu'il occupait ne lui ouvraient pas ou plus ce droit ; des primes ont été versées sans base réglementaire ou alors que l'agent ne remplissait pas ou plus les conditions ;

-le remboursement des dépenses engagées par l’agent dans l’exercice de ses fonctions : prise en charge partielle du prix des titres d'abonnement correspondant aux déplacements effectués entre sa résidence habituelle et son lieu de travail, frais de missions etc. ;

-la rémunération accessoire comme lorsque l’agent participe à des activités de formation et de recrutement.

Ainsi, ne sont pas considérées comme des traitement indus les sommes versées à titre indemnitaire ou les pensions dont les règles de prescriptions obéissent au code des pensions civiles et militaires.

Enfin, nous le verrons dans un prochain article, le juge administratif conserve un pouvoir d’appréciation sur les trop-perçus selon que la rémunération accordée par un texte règlementaire l’est à titre définitif ou provisoire.

Le prochain article sera consacré à la méthode qu’il convient d’appliquer en cas de trop-perçu pour analyser les chances de succès d’une éventuelle contestation.

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