Haut les coeurs, fini la morosité. Le cadeau de noël de la Cour de Cassation a failli passé inaperçu. Mais la Cour de Cassation a rendu sur arrêt sur la définition de déchet du pétrole de l'Erika. Décision qui tire les conséquences d'une décision préjudicielle rendue par la Cour de Justice des Communautés Européennes sur la notion de déchet.

Oui, des hydrocarbures transportées, rejetées accidentellement à la mer, mélangées à l'eau et au sable, sont bien des déchêts.

Non, ces marchandises ne conservent plus aucune valeur marchande.


Apprécions toute la saveur de la motivation de la Cour:

Mais sur le deuxième moyen :

Vu l'article L. 541-2 du code de l'environnement, interprété à la lumière des objectifs assignés aux Etats membres par la directive CEE 75-442 du 15 juillet 1975 ;

Attendu que toute personne qui produit ou détient des déchets dans des conditions de nature à produire des effets nocifs sur le sol, la flore et la faune, à dégrader les sites ou les paysages, à polluer l'air ou les eaux, à engendrer des bruits et des odeurs et, d'une façon générale, à porter atteinte à la santé de l'homme et à l'environnement, est tenue d'en assurer ou d'en faire assurer l'élimination conformément aux dispositions du présent chapitre, dans des conditions propres à éviter lesdits effets ; que l'élimination des déchets comporte les opérations de collecte, transport, stockage, tri et traitement nécessaires à la récupération des éléments et matériaux réutilisables ou de l'énergie, ainsi qu'au dépôt ou au rejet dans le milieu naturel de tous autres produits dans des conditions propres à éviter les nuisances ci-dessus mentionnées ;

Attendu que la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE 24 juin 2008, commune de Mesquer c/ société Total France SA et société Total international Ltd, C-188/07)2) a dit pour droit que des hydrocarbures accidentellement déversés en mer à la suite d'un naufrage, se retrouvant mélangés à l'eau ainsi qu'à des sédiments et dérivant le long des côtes d'un Etat membre jusqu'à s'échouer sur celles-ci, constituent des déchets au sens de l'article 1er, sous a), de la directive 75/442, telle que modifiée par la décision 96/350, dès lors que ceux-ci ne sont plus susceptibles d'être exploités ou commercialisés sans opération de transformation préalable et qu'aux fins de l'application de l'article 15 de la directive 75/442, telle que modifiée par la décision 96/350, au déversement accidentel d'hydrocarbures en mer à l'origine d'une pollution des côtes d'un Etat membre, le juge national peut considérer le vendeur de ces hydrocarbures et affréteur du navire les transportant comme producteur des dits déchets, au sens de l'article 1er, sous b), de la directive 75/442, telle que modifiée par la décision 96/350, et, ce faisant, comme "détenteur antérieur" aux fins de l'application de l'article15, second tiret, première partie, de cette directive, si ce juge, au vu des éléments que lui seul est à même d'apprécier, aboutit à la conclusion que ce vendeur-affréteur a contribué au risque de survenance de la pollution occasionnée par ce naufrage, en particulier s'il s'est abstenu de prendre les mesures visant à prévenir un tel événement telles que celles concernant le choix du navire et que s'il s'avère que les coûts liés à l'élimination des déchets générés par un déversement accidentel d'hydrocarbures en mer ne sont pas pris en charge par le Fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures ou ne peuvent l'être en raison de l'épuisement du plafond d'indemnisation prévu pour ce sinistre et que, en application des limitations et/ou des exonérations de responsabilité prévues, le droit national d'un Etat membre, y compris celui issu de conventions internationales, empêche que ces coûts soient supportés par le propriétaire du navire et/ou l'affréteur de ce dernier, alors même que ceux-ci sont à considérer comme des "détenteurs" au sens de l'article 1er, sous c), de la directive 75/442, telle que modifiée par la décision 96/350, un tel droit national devra alors permettre, pour assurer une transposition conforme à l'article15 de cette directive, que lesdits coûts soient supportés par le producteur du produit générateur des déchets ainsi répandus. Cependant, conformément au principe du pollueur-payeur, un tel producteur ne peut être tenu de supporter ces coûts que si, par son activité, il a contribué au risque de survenance de la pollution occasionnée par le naufrage du navire ;

Attendu que pour dire que la commune de Mesquer n'était pas fondée à invoquer les dispositions de la loi du 15 juillet 1975 sur l'élimination des déchets et la débouter de sa demande de condamnation in solidum des sociétés Total international Ltd et Total raffinage distribution à lui payer une somme, l'arrêt retient que les sociétés Total ne peuvent être considérées, au sens de l'article L. 541-2 du code de l'environnement, comme productrices ou détentrices des déchets retrouvés sur les plages après le naufrage du navire Erika, alors qu'elles ont en réalité fabriqué un produit pétrolier devenu déchet uniquement par le fait du transport ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le vendeur des hydrocarbures et affréteur du navire les transportant peut être considéré comme détenteur antérieur des déchets s'il est établi qu'il a contribué au risque de survenance de la pollution occasionnée par le naufrage et que le producteur du produit générateur des déchets peut être tenu de supporter les coûts liés à l'élimination des déchets si, par son activité, il a contribué au risque de survenance de la pollution occasionnée par le naufrage, la cour d'appel, qui a constaté que la société Total raffinage distribution avait produit le fioul lourd et que la société Total international Ltd l'avait acquis puis vendu à la société Enel et affrété le navire Erika pour le transporter, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a dit que la société Total n'était plus le détenteur du fioul lourd n° 2 et que la commune de Mesquer n'était pas fondée à invoquer les dispositions de la loi de 1975 relative à l'élimination des déchets, l'arrêt rendu le 13 février 2002, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;

Difficile d'être plus explicite : la Cour de Cassation estime de manière très explicite

1- que le responsable d'un déchet est le dernier détenteur de celui-ci;

2- que le produit pétrolier, mélangé à l'eau et au sable, n'est plus une marchandise commerciale mais un déchêt;

3- que le producteur de ce produit pétrolier, initialement marchandise, devenu déchêts, n'est pas responsable "per se" à raison de la production de l'hydrocarbure, mais qu'il est responsable en raison de sa participation dans la survenue du sinistre environnemental;

Il faut donc comprendre, à l'aune de cette décision,

1- que tous les producteurs ne sont pas considérés comme détenteurs des déchets;

2- que le dernier détenteur du déchet est celui qui a un rôle causal dans le sinistre environnemental;

3- que la participation au risque du transport est un rôle causal en matière de sinistre environnemental;

Mais tous les producteurs de pétrole ne seront pas automatiquement responsables. Le débat du futur dans les contentieux environnementaux sera celui de la causalité.

Affaire à suivre, pour l'Erika, à Bordeau.

Ariel DAHAN