L'indemnisation du préjudice subi du fait de la naissance a été source de controverse jurisprudentielle. Les hautes juridictions françaises, administrative et judiciaire, avaient admis l'indemnisation d'un tel préjudice.

Afin de mettre fin à ce système d'indemnisation judiciaire, la loi Kouchner du 4 mars 2002 a mis fin à l'indemnisation de ce type de préjudice. Le débat semblait donc clos. Mais c'était sans compter l'intervention de la Cour Européenne des Droits de l'Homme qui a finalement condamné la France dans deux décisions en affirmant que les parents victimes d'un tel préjudice avaient une créance de réparation protégée par la Convention Européenne des Droits de l'Homme, que la loi Kouchner ne pouvait exclure dans son article premier.

Depuis les juridictions françaises réaffirment le principe de l'indemnisation, faisant fi de l'article 1er de la loi de 2002, par application de la jurisprudence européenne. Certains avaient qualifié cette controverse de «valse à cinq temps». Mais comme l'avait envisagé Jacques BREL, les temps de la valse sont infinis.

1°) Premier temps : Conseil d'Etat du 14 février 1997, arrêt Centre Hospitalier de Nice contre Quarez

L'arrêt rendu par le Conseil d'Etat indemnise le préjudice des parents, découlant des charges particulières notamment en matière de soins et d'éducation spécialisée, causé directement par la faute du centre hospitalier (en l'espèce défaut d'information sur le risque de trisomie 21) = Le préjudice des parents du fait de la naissance d'un enfant handicapé est alors indemnisable.

Par contre, le Conseil d'Etat refuse d'indemniser le préjudice de l'enfant du seul fait de sa naissance.

2°) Deuxième temps : Cour de cassation du 17 novembre 2000 - arrêt PERRUCHE

La Cour de Cassation prend une position en totale opposition avec l'arrêt rendu parle Conseil d'Etat puisque elle admet la réparation du préjudice de l'enfant du seul fait de sa naissance, au surplus de l'indemnisation accordée aux parents du fait des charges particulières résultant de la maladie de leur enfant.

La Cour de Cassation érige la naissance de l'enfant en un préjudice indemnisable.

3°) Troisième temps : La loi Kouchner du 4 mars 2002 : Loi anti PERRUCHE

L'article 1er : « I -Nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance [...] Les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l'enfant, de ce handicap. La compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale [...] Les dispositions du présent I sont applicables aux instances en cours, à l'exception de celles où il a été statué sur le principe de l'indemnisation. »

La loi Kouchner met un terme à la controverse de l'indemnisation dans son article premier. Désormais, le préjudice du seul fait de la naissance ne peut plus être indemnisé. Le texte prévoit une application immédiate.

4°) Quatrième temps : la censure européenne

La Cour Européenne des Droits de l'Homme condamne la France le 6 octobre 2005 dans deux décisions DRAON et MAURICE.

Elle motive sa décision de la manière suivante :

« Les dispositions de l'article 1er de la Loi Kouchner violent l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention Européenne des Droits de l'Homme ».

Selon Cour, une indemnité est une créance assimilable à un « bien » au sens de l'article 1er du protocole premier à la CEDH.

Or, la privation des droits d'une victime est une ingérence du législateur Français dans le droit de propriété qui n'est légitime qu'à deux conditions :

- La privation doit être conforme à intérêt général,

- Elle doit être proportionnée et doit offrir une contrepartie satisfaisante.

Or, ceci n'est pas le cas pour des prestations prévues par la solidarité nationale qui avait un caractère très limité avant l'entrée en vigueur de la loi, à savoir le 7 mars 2002.

Selon la Cour, la première condition est remplie, par contre la seconde ne l'est pas car l'atteinte aux droits des victimes (les créanciers) est disproportionnée.

5°) Cinquième temps : L'alignement des juridictions françaises dans trois arrêts rendus le 24 janvier 2006 par la Cour de Cassation, la mort du système « anti-perruche » ?

Ces trois arrêts permettent à nouveau d'octroyer cette indemnisation « maximale » aux parents et à l'enfant handicapé, dont l'instance était en cours au 7 mars 2002. La Cour de Cassation reconnaît un droit de créance aux parents, mais aussi à l'enfant handicapé. En effet, la personne titulaire d'un droit de créance ne peut être privée de ce droit, au sens de l'article 1er du protocole premier de la CEDH, qu'à la condition que soit respecté un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et les impératifs de sauvegarde du droit au respect des biens.

L'article 1er de la loi du 4 mars 2002 est ainsi mort né. L'enfant handicapé peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance. Un bémol doit cependant être apporté à ces jurisprudences, puisqu'elles octroient une indemnisation dans les instances en cours au 7 mars 2002.

6°) Sixième temps : la résistance des juridictions françaises sur l'application du système « PERRUCHE » aux affaires en cours

La cour d'Appel de Rennes dans un arrêt du 30 octobre 2006 a suivi la jurisprudence européenne ainsi que celle rendue par la Cour de Cassation postérieurement à la condamnation de la France pour admettre l'indemnisation du préjudice du fait de la naissance. Il s'agit d'une créance de réparation protégée par la Convention Européenne des Droits de l'Homme, pour un fait antérieur à l'entrée en vigueur de la loi, mais dont l'instance a été engagée après.

7°) Septième temps : la résistance de la Cour de Cassation et du Conseil d'Etat

Même position du Conseil d'Etat dans une décision du 19 octobre 2007 qui refuse d'appliquer immédiatement l'article premier de la loi du 4 mars 2002 aux instances en cours au jour de la promulgation de la loi.

Même position de la Cour de Cassation dans un arrêt du 30 octobre 2007 qui casse un arrêt d'appel rendu par la Cour d'Appel de Douai du 13 octobre 2005, arrêt rejetant le bénéfice de l'indemnisation pour un dommage pourtant né avant la loi mais faisant l'objet d'une demande postérieurement à la promulgation de la loi.

À la lecture de la motivation des décisions rendues par le Conseil d'Etat et la Cour de Cassation, la question se pose aujourd'hui de l'opportunité de maintenir une telle interprétation compte tenu de l'intervention de la loi n°2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances , la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, et le fait que cette loi permettrait de remplir la deuxième condition invoquée par la Cour Européenne, à savoir offrir une contrepartie satisfaisante aux victimes par le jeu de la solidarité nationale.