Le 23 mars 2023, la Cour d'appel de PARIS a annulé neuf crédit souscrits auprès de cinq banques renommées qui avaient accordé leur concours financier à un emprunteur affecté de troubles psychiques.




I. EXPOSÉ DES FAITS

Démarchée à son domicile par deux sociétés GOURINY & CO (en faillite depuis le 07 novembre 2017 et qui exerçait sous l'enseigne START ENERGIE) et ECO-HOME 47 (radiée depuis le 29 avril 2019), une personne accepte de souscrire neuf crédits auprès de 5 établissements bancaires renommés :

  1. Auprès de la société FRANFINANCE, un crédit affecté à des travaux d'isolation de combles pour un montant de 5 200 euros au taux d'intérêts conventionnel de 4,79 % l'an,  
  2. Auprès de la société Financo, un crédit affecté à l'installation de radiateurs pour un montant de 12 000 euros, au taux d'intérêts conventionnel de 6,72 % l'an,  
  3. Auprès de la société Financo, un crédit affecté à des travaux d'isolation de combles pour un montant de 5 000 euros, au taux d'intérêts conventionnel de 6,72 % l'an,  
  4. Auprès de la société Franfinance, un crédit affecté à des travaux de réfection de la toiture d'un montant de 9 000 euros, au taux d'intérêts conventionnel de 4,79 % l'an  
  5. Auprès de la société CETELEM (ou BNP PARIBAS PERSONAL FINANCE), un crédit affecté à des travaux d'isolation de combles pour montant de 18 000 euros, au taux d'intérêts conventionnel de 4,84 % l'an  
  6. Auprès de la société SOFINCO (ou CA CONSUMER FINANCE), un crédit affecté à l'installation d'un ballon thermodynamique d'un montant de 3 000 euros au taux d'intérêts conventionnel de 7,65 % l'an  
  7. Auprès de la société SOFINCO (ou CA CONSUMER FINANCE), un crédit affecté à l'installation d'un système de traitement de l'eau d'un montant de 8 200 euros, au taux d'intérêts conventionnel de 7,65 % l'an  
  8. Auprès de la société DOMOFINANCE, un crédit affecté à l'installation d'une pompe à chaleur d'un montant de 21 500 euros, au taux d'intérêts conventionnel de 2,23 % l'an  
  9. Auprès de la société DOMOFINANCE, un crédit affecté à l'installation d'un système de ventilation d'un montant de 4 000 euros, au taux d'intérêts conventionnel de 3,87 % l'an.

Le coût total des acquisitions s'élevaient donc à 85.900€, soit plus de 117 800€ avec les intérêts des crédits !!!

Aussi, le remboursement mensuel des crédits englobait l'équivalent du montant de la retraite de l'acquéreur, soit environ 1 500€...

 

C'est inadmissible !

 

Si les vendeurs ont pu escroquer de la sorte l'acquéreur, c'est parce que ce dernier était malheureusement souffrant, car il présentait des facultés cognitives altérées depuis 2012, soit deux ans avant la signature des contrats... En effet, le 29 mars 2016, le juge des tutelles d'AGEN a placé l'acquéreur sous sauvegarde de justice, en attendant qu'il soit placé sous un régime de protection, avec désignation d'un mandataire spécial notamment pour percevoir ses revenus, les appliquer à son entretien et à l'acquittement des dettes auxquelles il pourrait être tenu et faire fonctionner ses comptes bancaires. Mais l'acquéreur est décédé peu après, dans le courant de l'année 2016, à l'âge de 77 ans. Les héritiers du défunt ont alors saisi la justice pour obtenir l'annulation des contrats de crédit pour vice du consentement.




II. CONDAMNATION DES HERITIERS PAR LE TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS

Par jugement du 27 novembre 2020, le Tribunal Judiciaire de PARIS annule les neuf contrats de crédit souscrits par le défunt, mais condamne ses héritiers à restituer aux établissements bancaires le montant des sommes empruntées soit les sommes de 5 200 euros et 9 000 euros à la société Franfinance, de 12 000 et 5 000 euros à la société Financo, de 18 000 euros à la société BNP Paribas personal finance, de 3 000 euros et 8 200 euros à la société CA Consumer Finance, de 21 500 euros et 4 000 euros à la société Domofinance.

 

Face à ce jugement ubuesque, un appel a évidemment été interjeté.




III. ANNULATION DU JUGEMENT PAR LA COUR D'APPEL DE PARIS

A. RAPPEL DE LA LOI EN VIGUEUR (avant l'ordonnance du 10 février 2016)

L'article 414-1 du Code civil (toujours en vigueur) dispose que :

"Pour faire un acte valable, il faut être sain d'esprit. C'est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l'existence d'un trouble mental au moment de l'acte."

L'ancien article 414-2 du même Code ajoute que :

"De son vivant, l'action en nullité n'appartient qu'à l'intéressé.

Après sa mort, les actes faits par lui, autres que la donation entre vifs et le testament, ne peuvent être attaqués par ses héritiers, pour insanité d'esprit, que dans les cas suivants :

1° Si l'acte porte en lui-même la preuve d'un trouble mental ;

2° S'il a été fait alors que l'intéressé était placé sous sauvegarde de justice ;

3° Si une action a été introduite avant son décès aux fins d'ouverture d'une curatelle ou d'une tutelle ou si effet a été donné au mandat de protection future."

Il est bien évident que l'ouverture d'une sauvegarde de justice puis d'une curatelle ou d'une tutelle sont insuffisantes pour établir l'existence d'un trouble mental au moment de la signature des contrats de prêt litigieux.

 

Toutefois l'article 464 du Code civil dispose que :

"Les obligations résultant des actes accomplis par la personne protégée moins de deux ans avant la publicité du jugement d'ouverture de la mesure de protection peuvent être réduites sur la seule preuve que son inaptitude à défendre ses intérêts, par suite de l'altération de ses facultés personnelles, était notoire ou connue du cocontractant à l'époque où les actes ont été passés. Ces actes peuvent, dans les mêmes conditions, être annulés s'il est justifié d'un préjudice subi par la personne protégée."

B. APPLICATION AU LITIGE

On le sait, l'acquéreur a passé commande le 24 mars 2014 et ses enfants ont sollicité le 23 mars 2016 du juge des tutelles d'AGEN, l'organisation d'une mesure de protection en sa faveur et l'acquéreur a été placé sous le régime de la sauvegarde de justice le 29 mars 2016 par une décision immédiatement exécutoire, avant son décès, la même année.

De fait, les héritiers étaient dans les délais pour agir en annulation des contrats de prêt.

 

C. ANNULATION DES CONTRATS DE PRÊT AU MOYEN DE PREUVE DE L'INSANITÉ D'ESPRIT

En premier lieu, un, médecin expert, désigné par tribunal de grande instance de PARIS, du 28 avril 2017 afin de procéder à l'examen du dossier médical de Mme [D] et de fournir tous éléments permettant d'éclairer la juridiction qui sera saisie sur la question de l'altération des capacités mentales de l'intéressée et de déterminer en particulier à partir de quelle date elle n'était plus apte à souscrire des conventions.

Un bilan neurologique pratiqué le 29 avril 2015 sur l'emprunteur à l'occasion de son hospitalisation a fait état d'une altération modérée quoique incontestable de ses fonctions intellectuelles supérieures, avec une affectation de sa capacité à gérer les entrées et les sorties de son propre budget, outre un état général dégradé lié à une alcoolopathie ancienne compliquée de polynévrite des membres inférieurs, une insuffisance respiratoire chronique appareillée, une insuffisance coronarienne qui aggrave la vulnérabilité et l'influençabilité d'ores et déjà constatée.

 

En deuxième lieu, un médecin expert psychiatre inscrit sur la liste du Procureur de la République commis dans le cadre de l'ouverture de la mesure de protection, a examiné l'acquéreur le 26 février 2016.

Ce médecin a conclu que son patient était dans un état grabataire nécessitant une assistance dans l'aide à la nutrition, sans capacité d'exprimer sa volonté, en état de dépendance totale et nécessitant alors une prise en charge dans une structure adaptée.

Dans ses conclusions et après analyse du dossier médical de son patient depuis 2008, l'expert judiciaire conclut que ce dernier présentait en 2014 et 2015 un état d'affaiblissement physique et psychique le rendant vulnérable et influençable, que ses fonctions intellectuelles étaient altérées en 2015 dans le sens d'un amoindrissement de son jugement, de son raisonnement et de ses capacités à gérer son budget.

L'expert estime que ces altérations pouvaient très probablement avoir produit leurs effets délétères dès 2014.

 

En dernier lieu, le certificat médical d'un médecin généraliste daté du 5 janvier 2016 certifie que le patient présentait des troubles cognitifs avérés apparus depuis fin 2012 et qui se sont aggravés au fil des mois, ces troubles ont eu un retentissement sur le jugement du patient et ses capacités à gérer son quotidien ; l'état du patient nécessitait des aides et une surveillance avec mesure de protection à envisager de type tutelle.

 

En résumé, il est incontestable que les capacités physiques et psychiques de l'emprunteur étaient altérées en 2014 et 2015 et que ce dernier n'était pas lucide lors des faits.

Par conséquent, les juges d'appel confirment l'annulation des contrats de crédit.

 

D. Sur les conséquences de l'annulation des contrats de crédit

Le tribunal judiciaire a condamné les héritiers de l'emprunteurs à restituer le capital emprunté pour chaque contrat.

A tort, selon la Cour d'appel de PARIS.

En effet, l'article L. 122-8 du code de la consommation applicable à la date des contrats, définissait l'abus de faiblesse comme suit :

 

Quiconque aura abusé de la faiblesse ou de l'ignorance d'une personne pour lui faire souscrire, par le moyen de visites à domicile, des engagements au comptant ou à crédit sous quelque forme que ce soit sera puni d'un emprisonnement de trois ans et d'une amende de 375 000 euros ou de l'une de ces deux peines seulement, lorsque les circonstances montrent que cette personne n'était pas en mesure d'apprécier la portée des engagements qu'elle prenait ou de déceler les ruses ou artifices déployés pour la convaincre à y souscrire, ou font apparaître qu'elle a été soumise à une contrainte.

En outre, suivant un principe acquis, un banquier est tenu à l'égard de ses clients non avertis d'un devoir de mise en garde en cas de risque d'endettement excessif de l'emprunteur.

 

Ce devoir oblige le banquier, avant d'apporter son concours, à vérifier les capacités financières de son client et à le prévenir sur les risques encourus, sans pour autant être tenu de vérifier la véracité des renseignements indiqués par l'emprunteur quant à ses revenus et son patrimoine, ces indications étant effectuées sous sa seule responsabilité (jurisprudence constante, bien que critiquable).

En l'espèce, il a été démontré que les bons de commande (d'un total de 117 800€) ont été présentés à l'acquéreur en moins deux mois et demi (août à novembre 2015).

Si une partie de ces travaux a été payée comptant, l'acquéreur a accepté d'en financer une partie en souscrivant les 9 contrats litigieux entre mars 2014 et octobre 2015 pour un montant total de 85 900€.

Il est donc manifeste que l'endettement de l'acquéreur a été réalisé par l'intervention des deux sociétés venderesses, qui ont agi en qualité d'intermédiaires des 5 établissements de crédit.

Or, l'état d'affaiblissement psychique et physique apparent de l'acquéreur, constaté médicalement, ne lui permettait pas de comprendre le contenu et la portée des 9 crédits signés en l'espace de moins de deux années.

Selon la Cour, en faisant remplir à l'acquéreur les différents documents contractuels (bons de commande et crédit), les démarcheurs des sociétés ECO HOME 47 et GOURINY AND CO ne pouvaient pans ignorer l'état de faiblesse psychique et intellectuelle de l'acquéreur.

Ils ne pouvaient d'autant moins ignorer que l'acquéreur n'était pas en mesure de comprendre les conséquences des documents qu'il signait et des pièces justificatives de solvabilité qu'il fournissait, afin de justifier ses capacités financières totalement convaincantes dans les différentes fiches de dialogue remplies pour les 9 crédits.

Il en résulte que les 5 établissements de crédit doivent répondre des fautes commises par leurs représentants à l'égard de l'emprunteur, ces fautes ayant induit pour ce dernier et ses héritiers un préjudice lié à un endettement caractérisé.

Aussi, les juges d'appel en concluent que "ces fautes doivent priver chacun des établissements de son droit à restitution du capital emprunté".

Infirmant alors le jugement, les juges d'appel déclarent que les héritiers de l'emprunteur ne seront pas tenus de rembourser les 9 crédits. 




Me Grégory ROULAND - avocat au Barreau de PARIS

Tél. : 0689490792

Mail : gregory.rouland@outlook.fr

Site : https://sites.google.com/view/gregoryrouland/accueil