ACTUALITE 

L'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 a mis en place un barème d’indemnisation en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse qui s’impose au juge. Si la mesure a été jugé conforme à la Constitution par le Conseil Constitutionnel (Cons. const. 7 sept. 2017, n° 2017-751 DC ; 21 mars 2018, n° 2018-671 DC), la question de son adéquation avec le droit international et le droit européen a été soulevée et pourrait, selon l’évolution de la jurisprudence, conduire à la remise en cause de cette mesure souvent décriée.

 

  • La question de la conventionalité du barème divise

 

Le CPH du Mans a été le premier à se prononcer sur l’inconventionnalité du barème encadrant l’indemnisation prud’homale. Par jugement rendu le 26 septembre 2018, ce CPH n’a pas fait droit à l’argumentation du demandeur à l’instance (CPH. Mans, 26 septembre 2018, n° 17/00538). La conventionalité du barème était dans le cas d’espèce contestée en raison de sa contrariété au droit du salarié au versement d’une indemnité adéquate en application de l’article 10 de la Convention n°158 de l’OIT et de l’article 24 de la Charte sociale européenne du 3 mai 1996.

A l’inverse, le jugement rendu par le CPH de Troyes le 13 décembre 2018, a accueilli les demandes du requérant qui étaient fondées sur les mêmes arguments que ceux soulevés devant le CPH du Mans (CPH. Troyes, 13 décembre 2018, n° 18/00036). Une analyse comparée des deux décisions permet de saisir la divergence d’interprétation entre les deux Conseils.

 

Le jugement du CPH du Mans a d’une part, écarté l’application directe de l’article 24 de la Charte sociale européenne au motif que celui-ci n’est pas directement applicable devant la juridiction prud’homale. Le jugement souligne ainsi que la Charte a seulement un effet direct vertical, c’est-à-dire qu’elle ne peut être invoquée par un justiciable qu’à l’égard d’un Etat signataire et non contre une autre personne privée, en l’espèce l’employeur. Pour le CPH de Troyes, cet article est au contraire d’application directe par les justiciables. Ce Conseil s’appuie à la fois sur la jurisprudence du Conseil d’État qui a reconnu l’invocabilité de la Charte devant lui ainsi que celle de la Cour de cassation qui a, à maintes reprises, reconnu l’applicabilité directe de dispositions de cette même Charte.

 

D’autre part, le CPH du Mans a jugé que le barème d’indemnisation résultant de l’ordonnance de septembre 2017 n’était pas contraire à l’article 10 de la convention n°158 de l’OIT. Sur ce point, le CPH de de Troyes n’a pas adopté la même position et a retenu que :

 

« L’article L.1235-3 du code du travail, en introduisant un plafonnement limitatif des indemnités prud’homales, ne permet pas aux juges d’apprécier les situations individuelles des salariés injustement licenciés dans leur globalité et de réparer de manière juste le préjudice qu’ils ont subi.

 

De plus, ces barèmes ne permettent pas d’être dissuasif pour les employeurs qui souhaiteraient licencier sans cause réelle et sérieuse un salarié. Ces barèmes sécurisent d’avantage les fautifs que les victimes et sont donc inéquitables.

 

En conséquence, le Conseil juge que ce barème viole la Charte Sociale Européenne et la Convention n°158 de l’OIT.

Les barèmes prévus à l’article L.1235-3 du code du travail sont donc inconventionnels. »

 

Ces deux décisions mettent en exergue une divergence d’interprétation entre les juridictions prud’homales sur la question de la conventionalité de l’article L.1235-3 du code du travail. Toutefois, le camp de la contestation semble prendre l’avantage. Les jugements postérieurs à celui du CPH de Troyes s’inscrivent dans la lignée que ce dernier. Les CPH d’Amiens et de Lyon ont également écarté l’application du barème à l’occasion de diverses décisions récentes (CPH. Amiens, 19 décembre 2018, n° 18/00040, CPH. Lyon, 21 décembre 2018, n° 18/01238 ; 7 janvier 2019, n° 15/01398).

 

  • La notion d’indemnisation adéquate au cœur des débats

 

Le plafonnement de la barémisation des indemnités prud'homales a été présenté comme ayant pour ambition de « sécuriser » les relations de travail. Toutefois, le dispositif s'est aussi vu reprocher de limiter la liberté d'appréciation du juge et d'interdire une indemnisation adéquate du préjudice subi par le salarié.

 

Le recours à l’article 10 de la Convention n° 158 de l'OIT et à l’article 24 de la Charte sociale européenne répond à la volonté des requérants de s’affranchir de cette barémisation. L’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT prévoit que l’indemnité versée en cas de licenciement injustifié, reconnu par les juges, doit être « adéquate » ou prendre « toute autre forme de réparation considérée comme appropriée ».

 

L’article 24 de la Charte sociale européenne prévoit des dispositions semblables dans le but de garantir un droit à la protection en cas de licenciement : « En vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s’engagent à reconnaître : [...] le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée ».

 

Ces deux textes ouvrent une voie sérieuse à la remise en cause du plafonnement des indemnités d’autant plus qu’ils ont déjà été usités dans d’autres Etats européens.

 

  • Les cas italien et finlandais : un présage de mauvaise augure pour la barémisation

 

La pratique de la barémisation n’est pas propre à la France. L’Italie comme la Finlande ont instauré des mesures de plafonnement assez similaires. Ces mesures ont aussi été contestées.

 

En Italie, la barémisation des indemnités conçues sur le seul critère de l'ancienneté a été jugé contraire au principe d'égalité par la Cour Constitutionnelle italienne. Cette dernière a notamment retenu que le plafonnement engendre un traitement homogène de situations hétérogènes. Cette conception italienne de l'égalité induit un traitement distinct pour des personnes placées dans des situations différentes. Cette conception de l’égalité dégagée en Italie n’est cependant pas celle qui existe à ce jour en droit français.

 

Dans le cas finlandais, la loi prévoyait une indemnité pour licenciement injustifié reposant sur divers critères mais dans un cadre défini avec une indemnité minimum correspondant à 3 mois de salaire jusqu’à un plafond de 24 mois. La mesure ayant été contestée, le Comité européen des droits sociaux a été saisi sur le fondement de l’article 24 de la Charte sociale européenne. Le Comité a retenu que la loi finlandaise était contraire à l'article 24 de la Charte sociale européenne dans la mesure où d’une part, le plafond de vingt-quatre mois d'indemnisation ne respectait pas le droit « à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée » prévu par la Charte et d’autre part, que le plafond n’était pas de nature à garantir un effet dissuasif à l’égard de l'employeur (CEDS 8 sept. 2016, n° 106/2014, Finnish Society of Social Rights c. Finlande).

 

En définitive, il reviendra à la Cour de Cassation de trancher la question de la conventionalité du barème d’indemnisation prud’homale, toutefois pas avant deux ou trois ans...