La société de droit irlandais Google Ireland Limited a été notifiée d'impositions supplémentaires et de pénalités à hauteur de 1,115 milliards d'euros sur les exercices 2005 à 2010, l'administration considérant que son activité de publicité "AdWords" en France était exercée par l'intermédiaire d'un établissement stable, en la personne morale de la SARL Google France.
Ces impositions supplémentaires ont été contestées et le tribunal administratif de Paris, le 12 juillet 2017, comme la Cour administrative d'appel de Paris, le 25 avril 2019, ont fait droit à la demande de la société de décharge, les juridictions ayant considéré que la société Google France ne constituait pas un établissement stable de la société soeur irlandaise. Mais le 12 septembre 2019, une convention jurdiciaire d'intérêt public (CJIP) a été conclue entre la société Google Ireland Limited et le Parquet national financier (PNF) mettant fin à ce contentieux.
La société irlandaise Google Ireland Limited commercialise, en France notamment, un service payant d’insertion d’annonces publicitaires en ligne, « AdWords ».
La SARL Google France, société du même groupe, fournit assistance commerciale et conseil à la clientèle française de la société Google Ireland Limited.
Les relations entre les deux sociétés sont définies et formalisées par un contrat de prestation de services, lequel précise les missions spécifiques confiées à la société française. Dans ce cadre contractuel, la rémunération perçue par la société Google France dépend des dépenses réalisées, majorées d’une marge (cost plus). Cette société, Google France, est imposée en France sur ses bénéfices.
Suite à diverses procédures, dont la vérification de comptabilité de la société Google France, l’administration fiscale a considéré que la société Google Ireland Limited exerçait en France une activité de vente de publicité par l’intermédiaire d’un établissement stable, la société Google France, et a notifié à la société Google Ireland Limited des rappels et pénalités d'un montant total de 1,115 millards d'euros portant sur :
- Des retenues à la source (années 2009 et 2010) ;
- L’impôt sur les sociétés (années 2005 à 2010) ;
- La taxe sur la valeur ajoutée (années 2005 à 2010) ;
- La cotisation minimale de taxe professionnelle (année 2009) ; et,
- La contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (année 2010).
Mais par cinq jugements (nos 1505113, 178, 165, 147 et 126) rendus le 12 juillet 2017, le Tribunal administratif de Paris a jugé que la société Google France ne constituait pas l’établissement stable de la société Google Ireland Limited, considérant que :
- les salariés de la société Google France n'avaient pas la capacité d'engager contractuellement la société irlandaise, bien que les deux sociétés soient dans une relation de dépendance économique, notamment de la française vis-à-vis de l'irlandaise – ainsi une seule des deux conditions de l’existence d’un établissement stable était satisfaite au regard du droit conventionnel applicable et pour les besoins de l’IS et des retenues à la source ;
- la société Google Ireland Limited ne disposait pas en France de moyens humains (le personnel de la société Google France n’avait pas le pouvoir de mettre en ligne les annonces publicitaires commandées par les clients français) et techniques (absence, notamment, de serveurs en France) permettant de réaliser des prestations de vente de publicité – ces conditions de l’existence d’un établissement stable au regard des principes de la TVA n'étaient donc pas satisfaites ; et,
- la société Google Ireland Limited ne disposait en France d’aucune immobilisation corporelle, utilisable pour la réalisation des prestations de publicité – cette condition de l’existence d’un établissement stable pour les besoins de la taxe professionnelle et de la CVAE n'était donc pas satisfaite.
Compte tenu des enjeux, le Gouvernement français, en la personne du Ministre de l’Action et de Comptes publics, a indiqué le jour même qu’il interjèterait appel, tout en restant ouvert à un accord – une transaction – qui permettrait de sauvegarder les intérêts des parties et de mettre fin à ce contentieux. Cet outil a depuis été employé en 2018 avec la société Amazon.
Cela étant, bien que Google ait conclu des accords similaires avec la Grande-Bretagne (en 2016) et l’Italie (en mai 2017), tel ne sera pas le cas avec la France, dans un premier temps, puisque par cinq arrêts (nos 17PA03065, 66, 67, 68 et 69) du 25 avril 2019 la Cour administrative d’appel de Paris confirmera les décisions rendues en première instance considérant, pour les mêmes motifs, que la société Google Ireland Limited ne disposait pas d’un établissement stable en la personne morale de la société Google France.
Dans ces circonstances et compte tenu de l’apparente solidité de la défense de la société, matérialisée par deux décisions juridictionnelles favorables, la signature le 12 septembre 2019, par la société Google Ireland Limited et le Parquet national financier, d’une convention judiciaire d’intérêt public mettant fin à ce contentieux créa la surprise.
Mais à bien y regarder, la décision de la société, significative en terme d’enjeux – un total de l’ordre du milliard d’euros réglés au Trésor a été évoqué, soit 500 millions d’euros d’amende et environ 500 millions d’euros d’impôts –, se révèle pragmatique.
En effet, elle évite à Google un éventuel procès pénal pour fraude fiscale aggravée et blanchiment en bande organisée de fraude fiscale aggravée, suite à une enquête ouverte par le PNF en 2015 consécutive à un dépôt de plainte de l’administration fiscale et elle permet de solder les contentieux fiscaux sur la période 2005 - 2018.
Cette affaire, aura posé la question de la juste imposition des activités des géants du numérique – question qui n’a pas manqué d’entraîner des tentatives de réponses internationales (UE et OCDE) et locales (intervention du législateur) sur la manière de taxer certaines activités numériques et l’activité économique d’une manière générale.
A suivre …
Nota bene : l'instrument multilatéral (IM) est une convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices (BEPS). Il prévoit quatre articles (articles 12 à 15) relatifs aux mesures visant à définir le statut d'tablissement stable. La France a choisit d'appliquer sans réserve ces articles à ses conventions fiscales bilatérales (88 notifiées à l'OCDE).
A ce stade, seules 18 conventions bilatérales sont concernées (IM ratifié par l'Etat et convention notifiée à l'OCDE), notamment celles signées avec l'Allemagne, les Pays-Bas et le Royaume-Uni.
Tel n'est pas le cas d'un certain nombre de partenaires, notamment l'Irlande. Dès lors, dans les relations fiscales bilatérales avec cet Etat, la convention n'est pas modifiée et ce sont les définitions de l'établissement stable de le convention en vigueur qui doivent être appliquées.
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