Un examen visuel plus scrupuleux, outre les indices relatifs à la présence de mérule, auraient dû conduire le diagnostiqueur à préconiser quelques travaux peu destructifs

 

Note R. Schulz, RGDA 2021-11, p. 42.

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 16 septembre 2021




Rejet


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 640 F-D


Pourvois n°
Y 19-20.153
C 20-11.053 JONCTION






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 SEPTEMBRE 2021

1°/ La société BD Diag 80-62, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4],

2°/ La société Generali IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],

ont formé les pourvois n° Y 19-20.153 et C 20-11.053 contre deux arrêts rendus les 23 mai 2019 et 21 novembre 2019 par la cour d'appel de Douai (chambre 1, section 1), dans le litige les opposant respectivement :

1°/ à la société Avipur Nord Pas-de-Calais, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],

2°/ à Mme [V] [O], épouse [X],

3°/ à M. [B] [X],

tous deux domiciliés [Adresse 2],

défendeurs à la cassation.

Les demanderesses aux pourvois n° Y 19-20.153 invoquent, à l'appui de leur recours, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Les demanderesses aux pourvois n° C 20-11.053 invoquent, à l'appui de leur recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Georget, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat des sociétés BD Diag 80-62 et Generali IARD, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Avipur Nord Pas-de-Calais, de la SARL Corlay, avocat de M. et Mme [X], après débats en l'audience publique du 22 juin 2021 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Georget, conseiller référendaire rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° Y 19-20.153 et n° C 20-11.053 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon les arrêts attaqués (Douai, 23 mai 2019 et 21 novembre 2019), les consorts [Z] ont mis en vente leur propriété.

3. M. et Mme [X] ont manifesté leur intérêt pour ce bien sous réserve de la réalisation préalable d'un état parasitaire.

4. Chargée par les consorts [Z] d'effectuer cet état, la société BD Diag 80-62 (société BD Diag), assurée auprès de la société Generali assurances IARD (société Generali), a, le 30 septembre 2011, déposé un rapport concluant à la présence de champignons sur la charpente de la cuisine. A la demande des consorts [Z], la société Avipur a dressé un rapport d'intervention le 8 novembre 2011.

5. Le 1er juin 2012, les consorts [Z] et M. et Mme [X] ont conclu une promesse de vente.

6. Après avoir effectué un nouveau contrôle de l'immeuble, la société BD Diag a dressé, le 8 juin 2012, un rapport aux termes duquel elle a indiqué ne pas avoir repéré d'indices de la présence d'agents de la dégradation biologique du bois.

7. Par acte authentique du 13 juillet 2012, les parties ont régularisé la vente.

8. Lors de travaux d'aménagement effectués après la vente, M. et Mme [X] ont constaté des traces de moisissure laissant suspecter la présence persistante de mérule.

9. Une expertise judiciaire a confirmé que l'immeuble était infesté par la mérule.

10. M. et Mme [X] ont assigné les sociétés BD Diag, Generali et Avipur en réparation de leurs préjudices.

Examen des moyens

Sur les premier moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches, et les deuxième et quatrième moyens du pourvoi n° Y 19-20.153, ci-après annexés

11. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches, du pourvoi n° Y 19-20.153

Enoncé du moyen

12. Les sociétés BD Diag et Generali font grief à l'arrêt de dire que la première a commis une faute dans l'exécution de sa mission de diagnostiqueur qui engage sa responsabilité et de les condamner in solidum à payer certaines sommes à M. et Mme [X] en réparation de leurs préjudices matériel et de jouissance, alors :

« 1°/ que seule une faute du diagnostiqueur immobilier dans l'exercice de sa mission est de nature à engager sa responsabilité ; que les normes techniques qui définissent sa mission de diagnostic lui interdisent de réaliser des sondages destructifs ; qu'en jugeant qu'un examen visuel plus long et les indices d'infestation de mérule relevés lors du premier diagnostic « auraient dû conduire le diagnostiqueur à préconiser à ses cocontractants quelques travaux peu destructifs tels que l'enlèvement de planchettes de lambris sur les murs, ce qui lui aurait permis de conclure le 8 juin 2012 à la présence invasive du champignon », tandis qu'il n'appartenait pas au diagnostiqueur de préconiser des travaux destructifs pour déceler une éventuelle infestation de mérule au-delà de la cuisine, la cour d'appel a violé les articles L. 271-6 du code de la construction et de l'habitation et 1382, devenu 1240 du code civil ;

2°/ que seule une faute du diagnostiqueur immobilier dans l'exercice de sa mission est de nature à engager sa responsabilité ; qu'en reprochant à la société BD Diag de n'avoir pas décelé les traces de parasite sur la charpente des combles lors de son examen visuel, tandis que ces traces ne concernaient que la présence d'insectes xylophages, la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs impropres à établir que la société BD Diag aurait pu déceler la présence de mérule dans la charpente des combles, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 271-6 du code de la construction et de l'habitation et l'article 1382, devenu 1240 du code civil ;

3°/ que seule une faute du diagnostiqueur immobilier dans l'exercice de sa mission est de nature à engager sa responsabilité ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a reproché à la société BD Diag d'avoir consacré un temps insuffisant lors de ses deux repérages, le premier d'une durée d'une heure et demie, le second d'une durée de deux heures et demie, compte tenu du nombre de pièces à visiter, et a considéré qu'un « examen visuel plus scrupuleux » aurait dû conduire « le diagnostiqueur à préconiser à ses cocontractants quelques travaux peu destructifs tels que l'enlèvement de planchettes de lambris sur les murs, ce qui lui aurait permis » ; qu'en se prononçant ainsi, sans expliquer en quoi un délai plus long aurait permis de déceler la présence de mérule dans le bâtiment, quand la société BD Diag avait procédé à l'examen de chacune des pièces accessibles du bâtiment en procédant aux investigations prévues par la norme NF P 03-200, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 271-6 du code de la construction et de l'habitation et l'article 1382, devenu 1240 du code civil. »

Réponse de la Cour

13. La cour d'appel a constaté, d'une part, que la société BD Diag était intervenue à la demande des vendeurs pour examiner l'état de l'immeuble concernant la présence d'agents de dégradation biologique du bois, notamment celle de la mérule suspectée en raison de la vétusté de l'immeuble, dégradé par l'humidité et les fuites d'eau et inoccupé depuis cinq ans, d'autre part, que cette société avait établi deux diagnostics, le premier du 29 septembre 2011, aux termes duquel elle observait la présence de mérule dans une seule des vingt-cinq pièces examinées, à savoir la cuisine, et le second du 8 juin 2012, aux termes duquel elle déclarait n'avoir repéré aucun indice d'infestation de parasites du bois dans les vingt-cinq pièces examinées.

14. Elle a relevé que le rapport d'expertise concluait qu'à la date de ce second diagnostic l'immeuble était toujours contaminé et infesté par les champignons et autres parasites de nature à endommager les embellissements et structures de l'immeuble.

15. Elle a retenu que, si la norme Afnor XP P 13-200 [lire NF P 03-200] à laquelle la société BD Diag s'était conformée pour effectuer ses diagnostics, prescrivait un examen visuel des parties visibles et accessibles et un sondage non destructif de l'ensemble des éléments en bois à l'aide d'outils appropriés et notamment d'un poinçon, la société BD Diag se trouvait en présence, lors de ses deux examens, d'indices importants, à savoir humidité, moisissures ou traces d'infiltration, propices au développement du champignon et permettant de suspecter la présence de la mérule dans d'autres pièces que la cuisine.

16. Ayant relevé que le premier repérage, effectué par la société BD Diag, avait duré une heure trente minutes et le second deux heures trente minutes, soit, pour chacune des vingt-cinq pièces visitées, une durée de trois minutes pour le premier examen et de six minutes pour le second, elle en a souverainement déduit que la durée de ces examens, qualifiés de très sommaires par l'expert, était manifestement insuffisante pour parvenir à des diagnostics sérieux.

17. Dès lors, la cour d'appel a pu retenir, au terme d'une décision suffisamment motivée, qu'un examen visuel plus scrupuleux, outre les indices relatifs à la présence de mérule, auraient dû conduire le diagnostiqueur à préconiser quelques travaux peu destructifs tels que l'enlèvement de planchettes de lambris sur les murs.

18. Elle a pu déduire de ces seuls motifs que la responsabilité de la société BD Diag était engagée, l'insuffisance de ses diligences ayant abouti à un diagnostic erroné.

19. La cour d'appel a ainsi légalement justifié sa décision.

Sur le troisième moyen du pourvoi n° Y 19-20.153

Enoncé du moyen

20. Les sociétés BD Diag et Generali font grief à l'arrêt de dire que la société Generali doit relever indemne et garantir la société BD Diag sous réserve de l'application de la franchise contractuelle de 3 000 euros et de condamner en conséquence la société Generali in solidum avec la société BD Diag, à payer à M. et Mme [X] la somme de 396 795 euros en réparation de leur préjudice matériel, indexée sur l'indice BT01 du coût de la construction à compter du 4 avril 2016, date du rapport d'expertise judiciaire, et la somme de 30 000 euros en réparation de leur préjudice de jouissance, alors :

« 1°/ que les termes du litige sont fixés par les prétentions respectives des parties ; qu'en énonçant que la société Generali IARS ne contestait « pas devoir sa garantie sous réserve de l'application de la franchise contractuelle de 3 000 € », quand, dans le dispositif de ses conclusions d'appel, cette dernière demandait expressément la prise en considération d'un plafond de garantie à hauteur de 300 000 €, de sorte qu'elle contestait devoir sa garantie pour le surplus, la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile ;

2°/ que le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motifs ; qu'en l'espèce, la société Generali demandait expressément la prise en considération d'un plafond de garantie à hauteur de 300 000 € ; qu'en condamnant la société Generali IARD, in solidum avec la société BD Diag, à payer aux époux [X] la somme de 396 795 € en réparation de leur préjudice matériel, et celle de 30 000 € en réparation de leur préjudice de jouissance, sans répondre à ce moyen pourtant précis et opérant, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

21. Une demande de donner acte est dépourvue de toute portée juridique.

22. Dans le corps et le dispositif de ses conclusions d'appel, la société Generali demandait qu'il lui soit donné acte «qu'elle assurait la responsabilité civile professionnelle de la société BD Diag aux termes d'une police prévoyant un montant de plafond de garantie de 300 000 euros par sinistre et une franchise de 3 000 euros, tous deux opposables aux époux [X]. »

23. Ces écritures ne contiennent pas la formulation d'une prétention ou d'un moyen quant à l'opposabilité du plafond de garantie à M. et Mme [X].

24. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le premier moyen du pourvoi n°C 20-11.053

Enoncé du moyen

25. Les sociétés BD Diag et Generali font grief à l'arrêt de rejeter leur requête en omission de statuer, alors « que la cassation entraîne l'annulation par voie de conséquence de toute décision qui est la suite, l'application ou l'exécution du jugement cassé ou qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire ; que par un arrêt du 21 novembre 2019, la cour d'appel de Douai a débouté la société Generali IARD et la société BD Diag de leur requête en omission de statuer contre l'arrêt du 23 mai 2019 ; que la cassation à venir de l'arrêt du 23 mai 2019 entraînera l'annulation de l'arrêt du 21 novembre 2019 qui en est la suite et s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire, en application de l'article 625 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

26. La cassation de l'arrêt du 23 mai 2019 n'étant pas prononcée, le grief tiré d'une annulation par voie de conséquence est devenu sans portée.

Sur le second moyen du pourvoi n°C 20-11.053

Enoncé du moyen

27. Les sociétés BD Diag et Generali font le même grief, alors :

« 1°/ que la juridiction saisie d'une omission de statuer sur un chef de demande doit compléter sa décision dès lors qu'elle n'a pas tranché l'une des prétentions dont elle était saisie, quelle qu'en soit la formulation ; que dans le dispositif de ses conclusions d'appel notifiées le 15 juin 2018, la société Generali demandait, à titre subsidiaire, qu'il lui soit donné acte « qu'elle assurait la responsabilité civile de la société BD Diag 80-62 aux termes d'une police prévoyant un montant de plafond de garantie de 300 000 € par sinistre et une franchise de 3 000 €, tous deux opposables aux époux [X] » ; qu'en jugeant que le simple fait d'employer la formule « donner acte » excluait « une prétention visant à ce qu'une éventuelle condamnation de la société BD Diag 80-62 et de son assureur soit prononcée dans la limite du plafond de garantie et de la franchise contractuelle », tandis que, pour déterminer si une prétention avait été formulée par la société Generali IARD sur l'application du plafond de garantie contractuelle, la cour d'appel ne pouvait s'arrêter aux seuls termes employés dans le dispositif de ses écritures, la cour d'appel a violé les articles 4, 463 et 954 du code de procédure civile ;

2°/ qu'une prétention constitue l'objet d'une demande en justice et s'articule autour de moyens de droit et de fait ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la société Generali IARD avait demandé, à titre subsidiaire, un « donner acte [?] qu'elle assurait la responsabilité civile de la société BD Diag 80-62 aux termes d'une police prévoyant un montant de plafond de garantie de 300 000 € par sinistre et une franchise de 3 000 €, tous deux opposables aux époux [X] » ; qu'il en résultait que la société Generali Iard demandait que le plafond de garantie de même que la franchise prévus au contrat d'assurance soient déclarés opposables aux époux [X], ce qui impliquait la prise en compte de ces limites de garantie le cas échéant ; qu'en jugeant au contraire que la société Generali IARD n'avait formulé aucune prétention à ce titre, la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile, ensemble l'article 463 du même code ;

3°/ que le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé ; qu'en l'espèce, la société Generali IARD faisait valoir que, dans son arrêt du 23 mai 2019, la cour d'appel avait retenu l'application des limites prévues au contrat d'assurance, mais en ne mentionnant que la franchise, et non le plafond de garantie, ce dont elle déduisait que la cour d'appel devait réparer l'omission de statuer sur ce point ; que la cour d'appel a cependant considéré, pour refuser d'accueillir la requête en complément, que l'arrêt du 23 mai 2019 n'avait pas porté la mention « sous réserve de l'application de la franchise contractuelle de 3 000 € » en réponse à une prétention des sociétés BD Diag et Generali, car il n'avait fait que reprendre un chef du jugement qu'il avait confirmé ; qu'en se prononçant ainsi, tandis qu'en retenant, dans son arrêt du 23 mai 2019, l'application de la franchise contractuelle, la cour d'appel avait nécessairement statué sur une demande qui lui avait été présentée, de sorte que, de même, elle était saisie d'une demande tendant à l'application du plafond de garantie sur laquelle elle devait statuer, la cour d'appel a violé l'article 5 du code de procédure civile, ensemble l'article 463 du même code. »

Réponse de la Cour

28. La cour d'appel a retenu, à bon droit, que la demande de donner acte ne constituait pas une prétention à la reconnaissance d'un droit.

29. Elle a exactement déduit, de ces seuls motifs, qu'elle n'avait pas à statuer sur une telle demande et que la requête en omission de statuer devait être rejetée.

30. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour,

REJETTE les pourvois ;

Condamne les sociétés BD Diag 80-62 et Generali assurances IARD aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par les sociétés BD Diag 80-62 et Generali assurances IARD, et les condamne in solidum à payer les sommes de 3 000 euros à M. et Mme [X] et 3 000 euros à la société Avipur Nord Pas-de-Calais ;