En matière de performance énergétique, l'impropriété à destination ne peut être retenue qu'en cas de dommages conduisant à une surconsommation énergétique ne permettant l'utilisation de l'ouvrage qu'à un coût exorbitant

 

Cour de cassation - Chambre civile 3

  • N° de pourvoi : 23-18.771
  • ECLI:FR:CCASS:2025:C300499
  • Non publié au bulletin
  • Solution : Cassation partielle

Audience publique du jeudi 23 octobre 2025

Décision attaquée : Cour d'appel de Rennes, du 23 mai 2023

Président

Mme Teiller (présidente)

Avocat(s)

Me Balat, SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SARL Le Prado - Gilbert

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Arrêt du 23 octobre 2025




Cassation partielle


Mme TEILLER, présidente



Arrêt n° 499 F-D

Pourvoi n° D 23-18.771




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 23 OCTOBRE 2025

M. [V] [L], domicilié [Adresse 3], a formé le pourvoi n° D 23-18.771 contre l'arrêt rendu le 23 mai 2023 par la cour d'appel de Rennes (1re chambre), dans le litige l'opposant :

1°/ à Mme [N] [X],

2°/ à M. [K] [D],

tous deux domiciliés [Adresse 4],

3°/ à la société MMA IARD assurances mutuelles, société d'assurances mutuelles, dont le siège est [Adresse 1],

4°/ à la société Elibat expertise immobilière, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],

5°/ à la société MMA IARD, société anonyme à conseil d'administration, dont le siège est [Adresse 1],

défendeurs à la cassation.

Les sociétés Elibat expertise immobilière et MMA IARD ont formé, par un mémoire déposé au greffe, un pourvoi incident contre le même arrêt.

Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, trois moyens de cassation.

Les demanderesses au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Bironneau, conseillère référendaire, les observations de Me Balat, avocat de M. [L], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat des sociétés Elibat expertise immobilière et MMA IARD, de la SARL Le Prado-Gilbert, avocat de Mme [X] et de M. [D], après débats en l'audience publique du 9 septembre 2025 où étaient présents Mme Teiller, présidente, Mme Bironneau, conseillère référendaire rapporteure, M. Boyer, conseiller doyen, et Mme Maréville, greffière de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée de la présidente et des conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à M. [L] du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société MMA IARD assurances mutuelles.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 23 mai 2023), M. [L] (le vendeur) a vendu à M. [D] et à Mme [X] (les acquéreurs) une maison d'habitation qu'il avait lui-même partiellement édifiée.

3. Un diagnostic de performance énergétique (DPE), établi par la société Elibat expertise immobilière (le diagnostiqueur), annexé à l'acte authentique, mentionnait un niveau de performance énergétique de classe C.

4. Invoquant une superficie de la maison moindre que celle convenue et des problèmes d'isolation, les acquéreurs ont, après expertise, assigné le vendeur, le diagnostiqueur et l'assureur de ce dernier, la société MMA IARD, en réparation de leurs préjudices.

Examen des moyens

Sur le troisième moyen du pourvoi principal

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

6. Le vendeur fait grief à l'arrêt de retenir sa responsabilité décennale au titre des désordres et malfaçons concernant l'isolation et de le condamner à payer aux acquéreurs diverses indemnités, alors « que seuls les dommages compromettant la solidité de l'ouvrage ou le rendant impropre à sa destination engage la responsabilité décennale du constructeur ; que la simple surconsommation de chauffage, qui ne rend pas les pièces de l'immeuble inhabitables, ne caractérise pas l'impropriété de l'ouvrage à sa destination ; qu'en retenant que l'isolation thermique insuffisante rendait la maison impropre à sa destination au seul motif que certaines pièces ne pouvaient être chauffées normalement en hiver "sans engager des dépenses importantes d'énergie", la cour d'appel qui n'a pas constaté l'existence d'un défaut compromettant la solidité de l'ouvrage ou le rendant impropre à sa destination, a violé l'article 1792 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1792 du code civil et L. 111-13-1 du code de la construction et de l'habitation, dans sa version issue de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 :

7. Selon le premier de ces textes, tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination.

8. Selon le second, en matière de performance énergétique, l'impropriété à destination ne peut être retenue qu'en cas de dommages conduisant à une surconsommation énergétique ne permettant l'utilisation de l'ouvrage qu'à un coût exorbitant.

9. Pour condamner le vendeur, sur le fondement de la responsabilité décennale, l'arrêt retient que le défaut d'isolation, qui cause une gêne au quotidien, voire une perte de jouissance pour certaines pièces qui ne peuvent être occupées en période hivernale, entraîne des frais annuels d'énergie excessifs.

10. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui incombait, si les défauts d'isolation thermique constatés ne permettaient l'utilisation de l'ouvrage qu'à un coût exorbitant, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Et sur le premier moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

11. Le diagnostiqueur et son assureur font grief à l'arrêt de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il les condamne in solidum à payer aux acquéreurs la somme de 21 500 euros en réparation de leur perte de chance de négocier une réduction du prix de vente et, infirmant le jugement sur ce point, de dire que le vendeur d'une part, le diagnostiqueur et son assureur d'autre part, seront tenus in solidum des condamnations prononcées au profit des acquéreurs mais dans la limite de 21 500 euros en ce qui concerne le diagnostiqueur et son assureur, alors « qu'une perte de chance suppose la disparition d'une éventualité favorable ; qu'en condamnant le diagnostiqueur à indemniser les acquéreurs d'une "perte de chance de ne pas acquérir le bien ou d'en négocier le prix à la baisse" cependant qu'elle constatait que, dans cette éventualité, ils auraient été privés des garanties légales du vendeur-constructeur, dont ils avaient bénéficié et grâce auxquelles ils avaient été placés dans la situation dans laquelle ils se seraient trouvés si l'immeuble avait eu la performance énergétique attendue, et sans rechercher si l'éventualité dont la perte était imputée au diagnostiqueur était plus favorable que celle dans laquelle ils se trouvent, ayant bénéficié des garanties leur procurant par équivalent un ouvrage exempt de vices, notamment de ceux affectant sa performance énergétique, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1240 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1240 du code civil et le principe de la réparation intégrale du préjudice :

12. Il résulte de ce texte et de ce principe que seule constitue une perte de chance réparable la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable.

13. Pour condamner le diagnostiqueur et son assureur à payer aux acquéreurs la somme de 21 500 euros en réparation de leur perte de chance de négocier une réduction du prix de vente, l'arrêt retient que le préjudice subi par ces derniers en raison de la faute commise par le diagnostiqueur ne peut être réparé qu'au titre de la perte de chance de ne pas acquérir le bien ou d'en négocier le prix à la baisse.

14. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui incombait, si la perte d'une éventualité favorable pour les acquéreurs, qu'elle imputait au diagnostiqueur, était certaine, en l'état de la réfection complète de l'isolation thermique et de la réparation des dommages immatériels subséquents auxquelles elle venait de condamner le vendeur, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il :
- juge que le bien immobilier est affecté de désordres et malfaçons concernant l'isolation qui l'affectent dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement et la rend impropre à sa destination,
- condamne M. [L] à payer à M. [D] et à Mme [X] les sommes de 5 000 euros au titre des travaux d'isolation par le sol, 5 780 euros au titre du trouble de jouissance, 2 500 euros, chacun, au titre du préjudice moral,
- condamne in solidum la société Elibat expertise immobilière et la société MMA IARD à payer à M. [D] et à Mme [X] la somme de 21 500 euros au titre de l'indemnisation de leur perte de chance de négocier une réduction du prix de vente,
- condamne in solidum M. [L], la société Elibat expertise immobilière et la société MMA IARD à verser à M. [D] et à Mme [X] la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et en ce qu'il condamne M. [L], la société Elibat expertise immobilière et la société MMA IARD aux entiers dépens, s'agissant de la procédure de première instance,
- condamne M. [L] à payer à M. [D] et à Mme [X] les sommes suivantes : 83 465,23 euros HT au titre des travaux de reprise de l'isolation, 3 282 euros au titre de l'indemnisation du préjudice correspondant à la surconsommation d'énergie et au coût des diagnostics de performance énergétique des 8 février et 25 mai 2016, 24 945 euros avec intérêts au taux légal à compter du 4 novembre 2020 au titre de la réduction du prix de vente,
- dit que M. [L], d'une part, la société Elibat expertise immobilière et la société MMA IARD, d'autre part, sont tenus in solidum des condamnations prononcées au profit de M. [D] et Mme [X], mais dans la limite de 21 500 euros en ce qui concerne la société Elibat expertise immobilière et la société MMA IARD,
- condamne la société Elibat expertise immobilière et la société MMA IARD à garantir M. [L] du montant des condamnations prononcées à son encontre à hauteur de la somme de 21 500 euros,
- rejette les demandes respectives des parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile et dit que chaque partie gardera à sa charge les dépens qu'elle a exposés devant la cour d'appel, s'agissant de la procédure d'appel ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rouen ;

Condamne M. [D] et Mme [X] aux dépens afférents aux pourvois principal et incident ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé publiquement le vingt-trois octobre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.ECLI:FR:CCASS:2025:C300499

Publié par ALBERT CASTON à 11:51  

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