LES FAITS

 

Lorsqu'un simple problème de facturation donne naissance à un revirement de jurisprudence, telle est la synthèse de cette décision.

L'époque est à l'expansion de la ville de LILLE, la municipalité consacre une part importante du budget communal au financement de travaux d’agrandissement et d’embellissement.  de nouveaux axes de circulation se développent en ville. De nombreuses habitations sortent de terre. La municipalité entreprend également des travaux destinés à améliorer l’hygiène (développement du réseau d’égout, amélioration de l’accès à l’eau potable…) et à embellir la ville, notamment par la réfection du pavage des rues existantes et du pavement des voies nouvelles.

Elle passe un contrat à cet effet. Le travail est effectué.

Toutefois, le 20 novembre 1907, le Maire de Lille donne ordre au receveur municipal de régler à la société une facture correspondant à la livraison d’une commande de pavés. Du montant total à régler, la Ville déduit la somme correspondant aux pénalités pour retard de livraison, conformément à ce qui était prévu dans le cahier des charges.

La Société conteste toutefois la légalité de cette décision considérant que les retards ont été provoqués par un cas de force majeure, des événements climatiques imprévus.

Elle saisit alors le Conseil d’Etat, la plus haute juridiction administrative. A travers sa requête, elle demande l’annulation de la décision de paiement des pénalités au nom d’un excès de pouvoir.

Cependant, la Ville conteste le recours direct au Conseil d’Etat : selon elle, compte tenu de la nature du contrat passé avec la société des granits porphyroïdes des Vosges, le recours aurait dû se faire devant un tribunal ordinaire et non devant le Conseil d’Etat.

 

PROBLEME POSE

 

Il s'agit de déterminer quelle est la juridiction compétente concernant la matière considérée.

 

SOLUTION DE LA JURIDICTION

 

Le contrat de fourniture relève du droit privé et donc l'ordre judiciaire est compétent pour en juger.

La solution détonne car jusqu'à présent, dans une telle situation, prévalait surtout la notion de service public comme critère d'application du contrat administratif.

Ce qui est admis ici, c'est donc que la gestion d'un service public puisse relever du droit privé.

C'est intellectuellement comprehensible, mais cela met fin à la conception doctrinale unitaire exposant le service public comme source unique du droit administratif. Puisqu'ici et en effet, il y a bien un service public en finalité - celui d'entretenir la voie publique - mais qui peut être en partie servi par le privé et en suivant ses règles.

Cependant, la solution ouvre un autre champ de réflexion juridique.

Le commissaire du gouvernement Léon Blum expose, en quelque sorte, le critère de ce qui relève d'un contrat de droit public. Et sans encore l'évoquer de cette manière, il va ouvrir la notion de clause exorbitante du droit commun. En exposant qu'un contrat public doit contenir des clauses particulières, qui ne s'appliquent pas dans le privé.

D'où un glissement des critères du but et des organes, vers le contenu même du contrat. Jusqu'à ce que ce critère soit celui à partir duquel sera identifié le contrat administratif.

En ce sens, cela met fin à l'arrêt du Conseil d'Etat Théron du 4 mars 1910. Et ouvre tout le champ des contrats de droit privé aux personnes publiques.

 

UTILITE DE LA DECISION

 

D'un simple contrat de fourniture sur lequel portait un différend financier, voilà donc qu'une banale question de décompte vient bouleverser le droit des contrats administratifs.

Et cela sera durable, car en pensant résoudre une situation, la décision va ouvrir une autre interrogation : celle de savoir ce qu'une clause exorbitante signifie concrètement. De quoi nourrir de multiples débats et décisions postérieurs.

 

Impacts et filiaitions ultérieurs : 

Quelques exemples

TC, 12 février 2018, n° 4109, SCP Ravisse, mandataire liquidateur judiciaire de la SARL The Congres House c/ Commune de Saint-Esprit (Clause exorbitante du droit commun et application aux prérogatives d’une commune qui pouvait intervenir de façon significative dans l’activité d’une société. Application de la décision TC, n° 3963, 13 octobre 2014, Axa France IARD c/ MAIF). 

CE, 5 février 2018, n° 414846, CNES - Clauses exorbitantes du droit commun (Application de la définition de la Clause exorbitante du droit commun (TC, n° 3963, 13 octobre 2014, Axa France IARD c/ MAIF) selon laquelle un contrat conclu avec une personne publique présente un caractère administratif lorsqu'il comporte une ou plusieurs clauses qui, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l'exécution du contrat, impliquent, dans l'intérêt général, qu'il relève du régime exorbitant des contrats administratifs).

TC, n° 3963, 13 octobre 2014, Axa France IARD c/ MAIF (Une Clause exorbitante du droit commun est une clause qui, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l’exécution du contrat, implique, dans l’intérêt général, qu'il relève du régime exorbitant des contrats administratifs).

TC, 5 juillet 1999, Union des Groupements d'Achats Publics - UGAP, n° 03167.

 

- Critère du service public comme champ d'application du droit administratif - 

 

Référence : Les grandes décisions de la jurisprudence - Jean-François Lachaume - Thémis - 6ème édition P 320.

Archives municipales de la ville de Lille : https://archives.lille.fr/page/1912-les-paves-de-lille-entrent-dans-l-histoire

Image : archives de la ville de LILLE -  https://archives.lille.fr/page/1912-les-paves-de-lille-entrent-dans-l-histoire

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(2 EL-JP ROY)