La seule fixation d'une jouissance divise ne suffit pas à établir une jouissance exclusive.
L’indemnité d’occupation prévue à l’article 815-9, alinéa 2, du code civil ne peut être mise à la charge d’un indivisaire que si sa jouissance du bien exclut effectivement celle des autres. L’accord des parties sur une date de jouissance divise ne dispense pas les juges du fond de constater, en fait, une privation de jouissance subie par les coïndivisaires.
Par un arrêt du 26 mars 2025, la première chambre civile de la Cour de cassation casse partiellement une décision d’appel ayant fait droit à une demande d’indemnité sur le seul fondement d’un tel accord, sans rechercher si l’usage du bien par l’un des indivisaires avait effectivement empêché l’autre d’en jouir.
Deux anciens concubins avaient acquis en indivision un bien immobilier, à hauteur de 75 % pour l’un et 25 % pour l’autre. À la suite de leur séparation, un partage judiciaire est ordonné. Par jugement, le juge aux affaires familiales fixe rétroactivement au 1er décembre 2016 le point de départ de l’indemnité d’occupation, qu’il évalue à 1 000 € mensuels, répartis selon les droits indivis.
L’un des indivisaires conteste cette décision, en soutenant que l’autre n’a jamais été empêché d’user du bien et qu’aucune jouissance exclusive ne saurait lui être imputée.
La cour d’appel confirme le jugement, retenant que les parties avaient convenu de la date de jouissance divise dans le cadre des opérations de liquidation, et que cette reconnaissance suffisait à justifier l’indemnité.
La Haute juridiction censure cette motivation, relevant que les juges du fond n’ont pas examiné si l’occupation du bien par un indivisaire avait, en droit ou en fait, exclu l’usage concurrent de l’autre. En l’absence de cette vérification, la décision est privée de base légale.
Elle rappelle que la jouissance privative visée à l’alinéa 2 de l’article 815-9 suppose une privation objectivement constatée de la faculté d’user du bien par les coïndivisaires. La seule mention d’un accord procédural sur une jouissance divise est insuffisante à fonder une obligation indemnitaire.
L’indemnité ne vise pas à compenser une dissociation personnelle ou une répartition implicite des lieux de vie, mais à réparer un déséquilibre réel dans l’exercice du droit d’usage attaché à l’indivision.
Cette décision présente une double portée :
- sur le fond, elle réaffirme que le principe de jouissance commune, posé à l’alinéa 1er de l’article 815-9 du code civil et inhérent au régime de l’indivision, garantit à chaque indivisaire le droit d’user du bien indivis selon sa destination. L’indemnité d’occupation, prévue à l’alinéa 2, ne peut être due que si cet équilibre est rompu par une exclusivité de jouissance avérée, empêchant effectivement les autres indivisaires d’exercer leur droit ;
- sur la méthode, elle impose aux juridictions du fond une motivation circonstanciée, appuyée sur des constatations factuelles objectivement vérifiables, et exclut toute référence abstraite à une date de jouissance convenue entre les parties.
Elle s’inscrit ainsi dans une ligne jurisprudentielle constante appelant à un examen rigoureux des conditions d’engagement de la responsabilité indemnitaire d’un indivisaire.
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