A l’occasion de contrôles effectués par la DGCCRF à l’encontre d’une Société française, un nombre volumineux de documents, ont été saisis.

Le problème est que cette enquête s’est prolongée jusque dans un cabinet d’Avocat, la saisie semblant au sein de celui-ci aussi « large » qu’au sein de la Société.

Au visa des articles 6-1 (droit à procès équitable) et 8 (secret des correspondances) de la Convention Européenne des droits de l’homme et de sauvegarde des libertés fondamentales, la CEDH a considéré :

* Que le droit français concerné (ici l’article L 450-4 du Code de Commerce) prévoit un ensemble de règles qui garantissent suffisamment le respect « formel » des textes susvisés ; ce droit de saisies serait donc en son principe licite, notamment en permettant de former recours tant contre l’Ordonnance du JLD, que contre les modalités des saisies pratiquées ;

* En revanche, et dans cette espèce, ce qui est intéressant, surtout au regard des controverses régulières qui agitent la profession d’Avocat lorsque leur Cabinet est perquisitionné, et que des saisies sont pratiquées, est que la CEDH a décidé de vérifier si l’exercice « pratique » des recours possibles contre ce type de saisie permet de sauvegarder le droit à un procès équitable, et le droit au secret des correspondances, lorsque telle ou telle saisie ne se justifie pas.

Or et dans cette espèce, manifestement le Juge qui a rejeté un recours contre la saisie de tels ou tels documents, ne s’est pas attaché à vérifier si parmi les documents saisis, des correspondances confidentielles d’Avocat ne devaient pas être exclues de celle-ci.

En refusant de procéder à cette vérification, ce Juge n’a pas respecté le sacro saint principe de proportionnalité qui entoure ce type de mesures, et l’Etat français a été condamné pour ces causes.

Plus précisément, ce sont les passages suivants de cet Arrêt qui méritent reproduction :

« La Cour rappelle enfin que la protection du secret professionnel attaché aux correspondances échangées entre un avocat et son client est, notamment, le corollaire du droit qu’a ce dernier de ne pas contribuer à sa propre incrimination (André et autre, précité, § 41) et que, dès lors, ces échanges bénéficient d’une protection renforcée (Michaud c. France, no 12323/11, §§ 117-118, CEDH 2012, avec les références citées).

b)  Application des principes au cas d’espèce

i.  Sur l’existence d’une ingérence

69.  En l’espèce, les requérantes dénoncent, pour l’essentiel, la fouille et la saisie de données électroniques, constituées de fichiers informatiques et des messageries électroniques de certains de leurs employés, comprenant notamment des messages relevant de la confidentialité qui s’attache aux relations entre un avocat et son client.

70.  Conformément à sa jurisprudence, la Cour estime que les mesures en cause constituent bien une ingérence dans les droits garantis par l’article 8 de la Convention. Le Gouvernement ne le conteste d’ailleurs pas.

ii.  Sur la base légale et le but de l’ingérence

71.  La Cour estime que pareille ingérence était « prévue par la loi », puisque ces visites et saisies étaient régies par l’article L. 450-4 du code de commerce combiné aux dispositions de l’article 56 du code de procédure pénale (voir, par exemple, Société Canal Plus et autres, précité, § 52). Les requérantes ne se plaignent d’ailleurs pas d’un défaut de base légale, mais de l’absence de proportionnalité et de nécessité des mesures litigieuses dans les circonstances de l’espèce.

72.  Par ailleurs, l’ingérence dans le domicile et le secret des correspondances des requérantes tendait à la recherche d’indices et de preuves de l’existence d’ententes illicites. Elle poursuivait donc à la fois le « bien-être économique du pays » et « la prévention des infractions pénales » au sens de l’article 8 § 2 de la Convention (Société Colas Est et autres, précité, § 44, et Société Canal Plus et autres, précité, § 53).

73.  Reste à examiner si l’ingérence apparaît proportionnée et peut être considérée comme nécessaire à la poursuite de ces objectifs.

iii.  Sur la nécessité dans une société démocratique

74.  À l’instar de ce qu’elle avait fait dans l’arrêt Société Canal Plus et autres (précité, § 55), la Cour relève d’emblée que les visites domiciliaires effectuées dans les locaux des requérantes avaient pour objectif la recherche de preuves de pratiques anticoncurrentielles possiblement imputables à ces dernières et n’apparaissent pas dès lors, en elles-mêmes, disproportionnées aux regards des exigences de l’article 8 de la Convention. La Cour réitère également son constat selon lequel la procédure interne en cause prévoyait un certain nombre de garanties et renvoie sur ce point à ce qu’elle avait dit dans l’arrêt Société Canal Plus et autres (précité, §§ 56-57).

75.  Il reste que la question plus spécifiquement posée par la présente affaire est celle de savoir si ces garanties ont été appliquées de manière concrète et effective, et non pas théorique et illusoire, notamment au regard du grand nombre de documents informatiques et messages électroniques saisis, ainsi que de l’exigence renforcée du respect de la confidentialité qui s’attache aux correspondances échangées entre un avocat et son client.

76.  En l’espèce, la Cour considère, avec le Gouvernement, que les enquêteurs se sont efforcés de circonscrire leurs fouilles et de ne procéder qu’à des saisies en rapport avec l’objet de leur enquête. De plus, la Cour ne souscrit pas à l’argumentation des requérantes selon laquelle elles n’auraient pas été mises en mesure d’identifier les documents saisis à l’issue des opérations en cause. Elle relève à ce titre qu’un inventaire suffisamment précis, indiquant le nom des fichiers, leur extension, leur provenance et leur empreinte numérique avait été dressé et leur avait été remis, ainsi qu’une copie des documents saisis. Partant, la Cour estime que les saisies pratiquées ne pouvaient être qualifiées de « massives et indifférenciées ».

77.  En revanche, la Cour constate que les saisies ont porté sur de nombreux documents informatiques, incluant l’intégralité des messageries électroniques professionnelles de certains employés des sociétés requérantes. Or, il n’est pas contesté que ces documents et messageries comportaient un certain nombre de fichiers et informations relevant de la confidentialité attachée aux relations entre un avocat et son client. Elle note à ce titre que la DGCCRF avait expressément indiqué dans ses conclusions en défense devant le JLD ne pas s’opposer à la restitution des pièces couvertes ainsi par le secret professionnel.

78.  La Cour relève ensuite que, pendant le déroulement des opérations en cause, les requérantes n’ont pu ni prendre connaissance du contenu des documents saisis, ni discuter de l’opportunité de leur saisie. Or, de l’avis de la Cour, à défaut de pouvoir prévenir la saisie de documents étrangers à l’objet de l’enquête et a fortiori de ceux relevant de la confidentialité qui s’attache aux relations entre un avocat et son client, les requérantes devaient pouvoir faire apprécier a posteriori et de manière concrète et effective leur régularité. Un recours, tel que celui ouvert par l’article L.450-4 du code de commerce, devait leur permettre d’obtenir, le cas échéant, la restitution des documents concernés ou l’assurance de leur parfait effacement, s’agissant de copies de fichiers informatiques.

79.  À cet effet, la Cour estime qu’il appartient au juge, saisi d’allégations motivées selon lesquelles des documents précisément identifiés ont été appréhendés alors qu’ils étaient sans lien avec l’enquête ou qu’ils relevaient de la confidentialité qui s’attache aux relations entre un avocat et son client, de statuer sur leur sort au terme d’un contrôle concret de proportionnalité et d’ordonner, le cas échéant, leur restitution. Or, la Cour constate qu’en l’espèce, si les requérantes ont exercé le recours que la loi leur ménageait devant le JLD, ce dernier, tout en envisageant la présence d’une correspondance émanant d’un avocat parmi les documents retenus par les enquêteurs, s’est contenté d’apprécier la régularité du cadre formel des saisies litigieuses, sans procéder à l’examen concret qui s’imposait.

80.  Compte tenu de ce qui précède, la Cour juge que les saisies effectuées aux domiciles des requérantes étaient, dans les circonstances de l’espèce, disproportionnées par rapport au but visé.

81.  Il s’ensuit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention… »

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Philippe CANO

Avocat Associé

SCP Corinne CANO et Philippe CANO

Barreau d’AVIGNON.

Postulant à la Cour d'Appel de NIMES

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