Les produits périmés mis à la poubelle d'un magasin dans l'attente de leur destruction sont des choses abandonnées, insusceptibles de vol.

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En l'espèce, la cour d'appel de Dijon avait déclaré coupable de vol la directrice d'un supermarché pour avoir soustrait des denrées alimentaires retirées de la vente et l'avait condamnée à une peine de 1 000 € d'amende avec sursis.

La prévenue faisait valoir que les biens appréhendés avaient été retirés de la vente afin d'être détruits et constituaient dès lors des choses abandonnées (res derelictae), de sorte que l'infraction n'était pas caractérisée.

En effet l'article 311-1 du code pénal ne réprime la soustraction frauduleuse d'un bien que s'il s'agit du bien d'autrui, ce qui n'est ni le cas des res nullius qui n'appartiennent à personne, ni celui des res derelictae, abandonnées par leur propriétaire.

La cour d'appel ne suivait pas ce raisonnement et concluait que les circonstances étaient insuffisantes pour qualifier les produits périmés de biens abandonnés. Elle relevait que le supermarché avait manifesté sa volonté de demeurer propriétaire des biens, jusqu'à la destruction effective de ceux-ci. En effet, d'une part, le règlement intérieur du supermarché interdisait d'user des marchandises appartenant à l'entreprise et, d'autre part, une note interne à l'entreprise du 16 septembre 2009, rappelait les termes de l'article R. 112-25 du code de la consommation et précisait qu'il était interdit de consommer les produits périmés ou destinés à la casse du magasin.

Ce faisant, la cour d'appel s'inscrivait dans la lignée de la jurisprudence de la Cour de cassation qui apprécie avec rigueur la qualité des res derelectae, en imposant d'examiner les circonstances de son appréhension et de s'assurer de la volonté effective ou incontestable du propriétaire de s'en défaire.

À titre d'exemple, la chambre criminelle a jugé que ne sont pas des res derelectae, des morceaux de lettre récupérés par un salarié dans la corbeille à papiers de son supérieur afin d'être produits dans le cadre d'une instance prud'homale (Crim. 10 mai 2005, n° 04-85.349, D. 2005. 1657  ; ibid. 2986, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé et C. Mascala  ; RTD com. 2005. 859, obs. B. Bouloc ) ou un sac rempli de billets de banque jeté par un individu en vue d'échapper aux poursuites d'un tiers (Crim. 12 mai 2015, n° 14-83.310, Dalloz actualité, 24 juin 2015, obs. C. Gayet  ; AJ pénal 2015. 548, obs. J. Gallois ).

Dans son arrêt, la Cour de cassation casse l'arrêt de la cour d'appel, en relevant que le supermarché avait clairement manifesté son intention d'abandonner les produits périmés, qui étaient devenus impropres à la commercialisation, en les retirant de la vente et en les mettant à la poubelle dans l'attente de leur destruction.

Elle ajoute par ailleurs que, si le règlement intérieur interdisait en effet à la salariée de les appréhender, cette interdiction était sans incidence sur la nature réelle de ces biens. Cette règle répondait à un autre objectif que la préservation des droits du propriétaire légitime, s'agissant du respect par le magasin des prescriptions d'ordre purement sanitaire de l'article R. 112-25 du code de la consommation.

Cette solution inédite et éminemment politique mérite d'être remarquée à plusieurs égards.

Sur le plan judiciaire tout d'abord, elle permet de mettre un terme à des condamnations qui ne manquaient pas de provoquer l'indignation de l'opinion publique et suscitaient chez les juges du fond une certaine gêne. Entre autres, on se rappelle du bruit qu'avait fait le jugement du tribunal correctionnel de Montpellier du 3 février 2015, condamnant trois prévenus dans le besoin, pour avoir volé des denrées périmées dans les poubelles d'un magasin de Frontignan. Témoignage du malaise des magistrats, les prévenus condamnés avaient pourtant été dispensés de peine.

Ensuite, cette décision fait assurément écho à l'actualité législative. La proposition de loi relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire a en effet été adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale, le 9 décembre 2015. Aux termes de ce texte, les moyennes et grandes surfaces ne pourront plus, à l'avenir, rendre les produits périmés jetés dans leurs poubelles impropres à la consommation et devront conclure des conventions avec des organisations caritatives. Les directives de la DGCCRF recommandant aux supermarchés d'asperger leurs poubelles d'eau de javel seront donc abandonnées.

C'est ainsi au moyen d'une appréciation juridique convaincante que la Cour de cassation apporte un éclaircissement bienvenu sur l'application du délit de vol à l'appréhension des produits abandonnés dans les poubelles des supermarchés. À son tour, elle participe ainsi, peut-être à dessein, à l'effort général de lutte contre le gaspillage alimentaire.